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Les contrats de financement dans les banques islamiques

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par Malika Amri
Toulouse 1 - Master 2 droit international et comparé 2009
  

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SECTION II L'interdiction du riba

Le riba pose de nombreux problèmes de définition. C'est une notion à contenu variable qui ne peut donc pas avoir de traduction exacte en français. La majorité des auteurs l'ont pourtant traduit par la notion de prêt à intérêt, d'autres l'ont restreint à l'usure.

Le terme riba vient du verbe raba, yarbou qui signifie augmenter, accroître. Il s'agit d'une augmentation de la richesse sans contrepartie effective.

Selon Shacht, il s'agit d'un enrichissement sans cause pouvant être défini comme « un avantage monétaire sans contrepartie qui a été stipulé en faveur d'un des contractants, lors de l'échange de deux valeurs de type monétaire »1.

La définition la plus couramment admise est celle selon la quelle le riba est « un profit ou gain illicite découlant d'une inéquivalence dans la contre-valeur des prestations réciproques au cours de l'échange entre deux ou plusieurs biens de la même espèce, du même genre et régis par la même cause efficiente »2.

Dans le modèle économique islamique, le profit est non seulement licite mais encouragé : le travail et l'activité économique sont favorisés. L'idéologie musulmane interdit seulement le profit réalisé par des moyens immoraux : excès de gain, exploitation, gaspillage, corruption, monopole3. Le riba, qui nuit à l'équilibre contractuel et ne résulte d'aucun effort, constitue un excès de gain et une exploitation des difficultés d'autrui.

Le riba implique toujours l'existence d'une transaction, en l'occurrence d'une dette déterminée quelle qu'elle soit à la charge de l'une des parties, une somme supplémentaire à rembourser à cause du terme accordé, ainsi qu'une clause qui assure cette majoration et garantit le capital.

Les jurisconsultes musulmans ont identifié deux types de riba : le riba al-nasî'a ou de report et le riba al-fadl ou de solde.

1SHACHT J., Introduction au droit musulman, Maisonneuve et Larose, Paris, 1999

2 SALEH N., Unlawful gain and legitimate profit in islamic law, éd. Graham & Trotman, 1992, p.16

3 Quardhaoui, Le licite et l'illicite en Islam, Paris éd. Okad, p.222

Le premier consiste en une somme payée pour l'usage de capitaux empruntés ou, en contrepartie, d'un rééchelonnement dans le paiement d'une dette tandis que le second naît de l'achat et de la vente de marchandises avec surplus monétaire. Selon le jurisconsulte Ibn Taymiya, « Le riba est accepté par le pauvre et non par le riche. Seul un nécessiteux contracte un prêt à terme et s'engage à l'assortir d'un supplément (...). Le riba est donc une injustice qui frappe le pauvre et se situe à l'opposé de la charité »1.

La raison d'être de cette interdiction semble être l'injustice qui en découle et le profit que tire le prêteur des difficultés de l'emprunteur.

L'interdiction du riba est en théorie absolue conformément aux préceptes de la Chari'a (§1). Cependant, avec les effets de la colonisation des pays musulmans, face aux nouveaux enjeux économiques et avec le développement des banques islamiques, tous les Etats n'ont pas maintenu cette interdiction telle qu'elle mais ont cherché à en atténuer les effets (§2).

§ I Les fondements charaïques de l'interdiction

L'interdiction du riba est non seulement consacrée par les sources primaires de la Chari'a, mais également dans les différentes interprétations qui en ont été données par les fuqahas.

A) La formulation de l'interdiction dans les sources primaires de la Chari'a

L'on entend par sources primaires de la Chari'a les sources sacrées de la loi islamique, c'està-dire la parole de Dieu, révélée par le Coran (1), et celle de son Prophète, rapportée par ses compagnons sous forme de hadiths (2).

1) Dans le Coran

La prohibition du recours à l'intérêt est clairement et explicitement édictée dans le Coran, ce qui signifie normalement qu'elle est irréfutable car le Coran est la parole directe de Dieu à l'Homme et se trouve donc au sommet de la « pyramide des normes » charaïques.

1 Ibn Taymiya, Madjmou al-fatawa, 5/575

Le Coran a fait preuve d'une sévérité explicite vis-à-vis du riba et les contours de l'interdiction se sont dessinés au fur et à mesure de la Révélation.

Le verbe « multiplier » utilisé dans les versets énoncés ci-après renvoie à la pratique de l'époque qui consistait, lorsque le débiteur ne pouvait pas acquitter sa dette à l'échéance, à doubler voire tripler son montant.

En un premier lieu, le Coran a proscrit l'augmentation de valeur qui n'aura aucune rétribution auprès de Dieu, c'est-à-dire l'augmentation de la richesse qui se fait par l'exploitation d'autrui et a pour effet l'injustice sociale :

... ce que vous prêtez à usure pour accroître vos biens au détriment du prochain ne vous sera de nul profit auprès de Dieu ...1

Par la suite, on trouve une référence au comportement du peuple hébreu qui a désobéi à l'interdiction également présente dans l'ancien testament2. Le Coran condamne leur comportement :

... de même que nous sévîmes contre leur pratique de l'usure, qui leur était pourtant interdite et leur avidité à s'enrichir au détriment de leurs semblables ! A ceux d'entre eux demeurés incrédules seront réservés les pires tourments ! ...3

Puis une référence particulière a été faite à la pratique de l'intérêt composé qui consiste à intégrer l'intérêt non payé au montant du capital de la dette :

... Croyants, ne pratiquez pas l'usure, multipliant abusivement vos profit. Craignez Dieu : vous n'en serez que plus heureux ! ...4

Enfin, la réprobation définitive et générale apparaît dans les versets suivants:

... Ceux Qui se repaissent d'usure se verront, pour le Jugement Dernier, ressuscités en
convulsionnaires possédés par le Démon, pour ce qu'ils ont affirmé : « L'usure est une forme

1 Coran, Sourate 30, Les Byzantins, verset 39

2 Deutéronome, 23-19 et 23-20 ; Lévitique, 25 : 35 ; Exode (22-25)

3 Coran, Sourate 4, Les femmes, verset 161

4 Coran, Sourate 3, la famille d'Imran, verset 130

de vente », quand Dieu a permis la vente et interdit l'usure. Celui qui, dûment averti par Dieu, cessera de la pratiquer, sera absous d'un passé honteux, et son sort relèvera de Dieu. Ceux au contraire, qui récidiveront seront voués au feu éternel

Dieu réduira en poudre l'usure et fera croître l'aumône. Dieu honnit tout impie souillé de péchés

Ceux qui, croyant en Dieu, font le bien, observent la prière et s'acquittent de l'aumône prescrite en seront justement rétribués par Dieu. Toute angoisse et toute affliction leur seront épargnées.

Croyants, craignez Dieu ! Fuyez désormais tout profit usuraire, si vous êtes vraiment croyants !

Si vous ne le faites, Dieu et son Prophète vous déclareront la guerre. Si vous revenez repentants au Seigneur, il vous restera le principal de votre bien , ne lésant personne et n'étant point lésés

Si votre débiteur est dans la gêne, attendez qu'il vienne à meilleure fortune. Si vous saviez pourtant comme il vous serait préférable de renoncer à vos droits ! ...1

Il y a donc eu une volonté forte de rupture avec la pratique à outrance de l'intérêt qui s'expliquait par le contexte de la Révélation : la Mecque où habitait le Prophète était une citéEtat marchande construite dans le désert, donc isolée, d'où le manque de liquidités qui a favorisé l'usure et de la thésaurisation.

Cette interdiction va également être reprise et précisée par les dires du Prophète.

2) Dans la Sunna

L'Imam Muslim a rapporté le hadith suivant : « Echangez l'or pour de l'or, de l'argent pour
de l'argent, du blé pour du blé, de l'orge pour de l'orge, des dattes pour des dattes, du sel pour
du sel, mesure pour mesure et de main en main (immédiatement). Si les articles sont de genres

1 Coran, Sourate 2, La vache, versets 275-281

différents, l'échange peut être pratiqué sans aucune restriction pourvu qu'il soit effectué par transaction de main à main »1.

Ce hadith consacre l'interdiction du riba al-fadl c'est-à-dire lorsque deux biens sont échangés de main en main mais en quantité différente. En effet, à l'époque, le troc dominait l'économie et l'or était un moyen d'échange et non de paiement. Aujourd'hui, par la méthode du qiyas ou analogie, les fuqahas ont assimilé l'or et l'argent cités dans ce hadith à un moyen d'échange en général.

Un autre hadith également rapporté par Muslim dit : « Bilâl, un compagnon du Prophète, rendit visite à ce dernier avec des dattes de très haute qualité, et le Prophète le questionna sur leur origine. Bilâl expliqua qu'il avait échangé deux volumes de dattes de moins bonne qualité contre une de meilleure qualité. Le Messager lui dit alors « Ceci est précisément le riba interdit ! Ne fais pas cela. Vends plutôt le premier type de dattes et utilise ce que tu as récolté pour acheter les secondes »2.

En effet, l'échange relaté dans ce hadith montre un net déséquilibre entre les parties et ne permet pas de déterminer si les prestations sont équivalentes ou si elles créent une injustice en défaveur de l'un ou de l'autre. Seul la vente du produit puis son rachat dans un deuxième temps permet son acquisition à sa valeur réelle et sans lésion.

L'interdiction du riba telle qu'énoncée dans la Chari'a a donné lieu à différentes interprétations doctrinales.

1 Sahih Muslim, livre des ventes, kitab al-buyu' n° 10, n°3846 et suiv. http://islam.about.com/gi/dynamic/offsite.htm?zi=1/XJ/Ya&sdn=islam&cdn=religion&tm=28&gps=9316210 20481&f=00&tt=14&bt=0&bts=0&zu=http%3A// www.usc.edu/dept/MSA/fundamentals/hadithsunnah/musli m/

2 Sahih Muslim livre des ventes, kitab al-buyu', n°10 n°3678 et suiv. http://islam.about.com/gi/dynamic/offsite.htm?zi=1/XJ/Ya&sdn=islam&cdn=religion&tm=28&gps=9316210 20481&f=00&tt=14&bt=0&bts=0&zu=http%3A// www.usc.edu/dept/MSA/fundamentals/hadithsunnah/musli m/

B) La délimitation de l'interdiction selon le fiqh

Les divergences dans l'interprétation du Coran et des hadiths s'expliquent par la notion centrale en Islam de l'Ijtihad, pouvant être définie comme le devoir constant de l'Homme de ne pas s'arrêter à la lettre du Coran et de la Sunna et de rechercher l'interprétation la plus juste en son âme et conscience. Cette possibilité donnée à chacun d'interpréter seul le Coran signifie qu'il peut y avoir autant d'interprétations différentes que de musulmans. Dans les faits, les fuqahas sunnites se sont regroupés par écoles de pensée ou madhahib1 et s'affrontent sur de très nombreux sujets. La prohibition du riba en fait partie et pour ce sujet particulier, les deux théories qui s'affrontent sont celle de l'école hanéfite, rejointe par les hanbalites (1), et celle de l'école chaféite qui s'apparente à la position des Malékites (2).

1) La position de l'école hanéfite

L'école hanéfite a été fondée en Irak par Abou Hanifa Annu'man (80-150 AH) et s'est notamment répandue en Turquie, en Afghanistan, en Inde et en Chine.

Selon les tenants de ce courant de pensée concernant l'interdiction du riba, il faut distinguer entre le riba al-fadl ou riba de solde et le riba al-nasî'a ou riba de report.

Concernant le riba de solde, son interdiction absolue selon les hanéfites s'expliquerait par le surplus de contre-valeur des prestations réciproques dû à une inégalité entre deux objets de même nature et de même quantité. Ainsi, les contrats dans lesquels les conditions de concomitance et d'équivalence ne sont pas appliquées sont interdits dans tous les cas même quand les objets échangés sont de même nature ou quand ils ont les même poids et mesures2.

Pour ce qui est du riba de report, il est également interdit sans dérogation possible car il découle de la simple prorogation d'un terme, qui n'est que l'écoulement du temps sans aucun effort concret l'accompagnant3.

1 L'Islam connaît trois rites principaux : le sunnisme, le chiisme et le khawaridjisme. Chaque rite est subdivisé en écoles de pensée et pour les sunnites, l'on en compte quatre : malikite, hanéfite, hanbalite et chaféite.

2 Al-KASANI, Bada'I' al-sana'I'fitartib ash-shara'i, le Caire, tomeIV, p.88

3 Ag-GAZIRI A., Al fiqh `ala al-mazahib al-arba'at, tome II, Beyrouth, Dar ihya'al-turath al-arabi, 1963 p.250

Les hanéfites semblent ici plus sévères à l'égard du riba que ne le sont les chaféites.

2) La position de l'école chaféite

La pensée chaféite a été initiée par Mohammed Ben Idriss Achaféi (150-204 A.H) qui a vécu à la Mecque, puis en Iraq avant de s'installer en Egypte. Le courant chaféite domine aujourd'hui en Egypte, en Arabie Saoudite, au Koweït, au Yémen et dans certains pays d'Asie comme l'Indonésie, la Malaisie et la Thaïlande

Selon les fuqahas chaféites, le riba al-fadl interdit en droit musulman concernerait seulement l'échange de produits alimentaires et l'échange de l'argent au sens de la monnaie. En effet, la morale interdit aux individus d'utiliser ces objets pour en retirer un profit illicitement gagné, les aliments ayant une fonction vitale et la monnaie n'étant qu'un instrument d'échange ne pouvant avoir de valeur intrinsèque. L'échange de produits alimentaires et de monnaie doit donc se faire de la main à la main, au poids et à la mesure (lorsque l'objet est quantifiable)1.

Concernant le riba al-nasî'a, il faudrait également limiter le riba prohibé lié à la prorogation du terme seulement aux transactions relatives aux produits alimentaires et aux métaux précieux.

L'interdiction du riba remonte donc aux premiers temps du droit musulman et concerne tous les types de contrats. Cependant, elle a connu une évolution et une interprétation nouvelle avec l'apparition des banques islamiques puisqu'elles sont une remise en cause radicale du système bancaire conventionnel qui, lui, repose entièrement sur la technique de l'intérêt.

§2 Les applications pratiques de l'interdiction

Aujourd'hui, les pays musulmans ont adopté des positions différentes par rapport à cette interdiction du riba et les législations de ces pays varient : si certains ont considéré que cette prohibition formulée au VIIème siècle après J.-C. dans un contexte économique et social particulier ne peut être transposée au monde dans lequel nous vivons aujourd'hui, d'autres considèrent qu'il s'agit d'un principe universel et pérenne.

1 SANHOURY A., Masadir al-haq fil fiqh al-islami, tome III, Dar an-nahdha al-`arabiya, Beyrouth, 1964, p.206

Ainsi, les Etats où la place de l'Islam est très importante ont décidé de maintenir l'interdiction du riba dans son acception large (A), d'autres ont trouvé les bases textuelles pour interpréter cette prohibition différemment afin qu'elle soit moins contraignante pour le développement de ces pays souvent émergents (B).

A La conception large du riba : toute forme d'intérêt

Il s'agit de pays qui ont consacré la Chari'a comme seule source du droit, indistincte du droit positif. Il s'agit de l'Arabie Saoudite, le Pakistan, le Soudan et l'Iran. Chacun de ces Etats a consacré dans ses textes la primauté et l'unicité du droit musulman, il en découle que de nombreuses opérations bancaires banales dans les banques conventionnelles sont interdites dans ces pays.

Nous retiendrons l'exemple de la législation iranienne, ainsi que celui de la Lybie qui, si elle n'a pas entièrement adopté la Chari'a comme source unique du Droit, a néanmoins choisi d'interdire complètement le riba.

Contrairement au Soudan et au Pakistan où l'islamisation de l'économie s'est faite de façon progressive, la révolution islamique en Iran a entraîné une modification brusque et radicale de la législation. D'abord, la Constitution consacre la Chari'a comme source du droit iranien :

« L'ensemble des lois et règlements civils, pénaux, financiers, économiques... doit être basé sur les préceptes islamiques. Ce principe prime sur le caractère général et absolu de tous les principes de la Loi constitutionnelle et des autres Lois et règlements ».

« Pour assurer l'indépendance économique de la société (...), l'économie de la république islamique d'Iran repose sur les postulats suivants :

(...)

5. Interdiction des préjudices aux tiers, du monopole, de l'accaparement, de l'usure et autres transactions nulles et illicites »1.

1 Constitution de la République Islamique d'Iran du 24 octobre 1979 telle que modifiée le 28 juillet 1989, principes n°4 et 43

Dans le même esprit, la loi relative aux opérations bancaires du 1er août 1983, dans son article premier, est venu éclairer l'orientation islamique de l'économie et dispose que les objectifs du système bancaire sont les suivants :

« Instituer le système de la monnaie et du crédit sur la base du droit et de la justice - selon les principes islamiques- afin de permettre une bonne circulation de la monnaie et du crédit dans la voie de la croissance de l'économie du pays »

« Créer les facilités nécessaires pour développer la coopération publique, les prêts sans intérêts, en attirant les fonds disponibles et l'épargne, et les orienter de façon à assurer l'amélioration des conditions de l'emploi ainsi que de l'investissement... »

Dans ces conditions, le recours à l'intérêt bancaire est strictement interdit et ce sans aucune dérogation possible. Il en est aujourd'hui de même dans les autres pays cités.

A côté de ce groupe d'Etats, l'on constate qu'un autre pays dont le système juridique n'est pourtant pas entièrement islamisé a également adopté une position radicale vis-à-vis du prêt à intérêt : il s'agit de la Lybie qui autorisait cette pratique, mais a décidé de l'interdire totalement à partir de 1972.

La loi du 5 août 1972 dispose dans son article 1er « le riba al nasî'a est prohibé dans toutes sortes d'opérations aussi bien civiles que commerciales entre les personnes physiques ».

« Est nulle d'une nullité absolue toute clause stipulant un intérêt usuraire exprès ou tacite »

« Est considérée comme intérêt déguisé, toute commission, tout avantage, de quelque nature qu'il soit, que stipule le créancier s'il est établi que cette commission ou cet avantage ne correspond pas à un avantage ou à un service légitime rendu par le créancier »1.

L'interdiction du riba a des conséquences immenses sur le système économique des Etats qui ont choisi de l'écarter, et apporte son lot de difficultés auxquelles les économistes musulmans n'ont pu encore trouver de solution. Cette interdiction a pour effet d'empêcher le recours à de nombreuses techniques bancaires considérables telles que le crédit d'argent, le crédit par signature, le prêt bancaire, l'avance en compte, le découvert en compte, l'ouverture de crédit, l'escompte des effets de commerce, l'affacturage ou encore le crédit documentaire.

1 Loi n°74/72 portant modification du code civil du 13 février 1954, « Journal officiel », 10ème année, du 5 août 1972

B La conception stricte du riba

Les pays qui ont considéré que le recours à l'intérêt n'était pas entièrement prohibé ont la particularité de considérer que la loi applicable sur leur territoire est le droit positif émanant des organes de l'Etat. Dès lors, le droit musulman est une source importante pour leurs législations mais reste une source matérielle et non formelle, du moins en théorie. L'on remarque un manque de cohérence des juges dans l'application du Droit car la cohabitation entre les deux systèmes juridiques, Chari'a et droit séculier, souvent en contradiction, crée une sorte de schizophrénie juridique dont sont atteints les juges qui ne savent plus quel droit a la priorité. L'on trouve donc dans ces pays une jurisprudence très instable.

A titre d'exemple, en Egypte, dans une célèbre affaire portant sur le paiement d'un intérêt au créancier, le débiteur défendeur a argué que la disposition du code civil selon laquelle il doit payer des intérêts est contraire à l'article 2 de la constitution apparu avec la révision constitutionnelle de 1980 qui fait de la Chari'a la source principale de la législation. Il a eu gain de cause en première instance. Mais la haute cour, timide et voulant éviter la polémique a adopté la position suivante : « la nouvelle disposition constitutionnelle qui cite que la Chari'a est la source principale de la législation ne vise que les seules lois qui lui sont postérieures. Les textes antérieurs (donc le code civil et son article 226) ne sauraient être attaqués pour inconstitutionnalité puisque la nouvelle règle n'a pas d'effet rétroactif et qu'ils datent d'une époque où ils ne rencontraient nullement un tel reproche (...) Le législateur doit assumer sa responsabilité politique et entreprendre les réformes nécessaires pour rendre les législations en vigueur conformes aux prescriptions fondamentales de la Chari'a »1.

Aux Emirats Arabes Unis, les articles 61 et 62 de l'ancien code de procédure civile2 légitiment l'intérêt mais les juges ont connu le même dilemme face à la place de la Chari'a dans la constitution et à ces lois contradictoires, la Cour suprême fédérale, à l'occasion d'une importante décision, a adopté la position suivante :

1 Voir Saba Habchy, « commentary on the decision of the Supreme Court of Egypt given on 4 may 1985, concerning the legitimity of interest and the constitutionality of article 226 of the new Egyptian civil code, 1948 » in « Arab law quarterly », volume 1, part 2, February 1986, pp.240-242

2 Code de procédure civile (loi n°3 de 1970), amendé par la loi fédérale de procédure civile n° 11 de 1992

« Les banques sont des entreprises commerciales nouvelles inconnues à l'époque qui a vu l'apparition des principes de la Chari'a, qui prohibent le riba. Il faut donc tenir compte de la nécessité de ces banques qui facilitent les transactions commerciales et financières, et du concours qu'elles apportent aux hommes. Ceux-ci ne peuvent s'en passer »

« Si l'intérêt simple sur les prêts est à l'origine prohibé par la Chari'a, en tant que moyen et non pas comme fin, il peut être exceptionnellement autorisé en cas de nécessité et s'il se trouve justifié par l'intérêt général de la nation. Notre cour, en sa qualité de Cour constitutionnelle, confirme la constitutionnalité des textes du code de procédure civile (articles 61 et 62) et de toutes les lois locales promulguées avant la mise en oeuvre de la constitution. Sa force obligatoire et l'autorité de la chose jugée qui lui sont attachées ont pour conséquence que les juges ne peuvent dans les cas prévus par la loi interdire l'intérêt sous prétexte qu'il est prohibé par la Chari'a »1.

Généralement, les nombreuses décisions qui ont suivi et qui ont interdit l'intérêt au même motif dans ces deux pays ont tout de même fini par être timidement infirmées ou cassées. Néanmoins, deux courants jurisprudentiels, conservateurs et réformistes, continuent de s'affronter, entretenant un climat d'insécurité juridique certain.

Pour éviter les difficultés économiques et techniques découlant de l'interdiction, les pays ont choisi entre deux positions possibles : certains ont choisi de distinguer entre la matière civile et la matière commerciale en permettant l'intérêt dans la première et en l'interdisant dans la seconde, d'autres ont considéré que c'était le prêt usuraire qui était prohibé et non l'intérêt simple et donc fixé des taux d'intérêt légaux

L'explication de l'interdiction du riba réside dans le fait que si un Homme y a recours, c'est qu'il est forcément dans une situation désespérée et a un besoin vital de cet argent. Le prêteur dans ce cas exploite son prochain et profite de sa détresse. Ce schéma ne correspond pas à la réalité où les commerçants ont recours à l'emprunt pour investir et faire fructifier de l'argent.

Au Koweït, l'article 1er du code civil2 considère la Chari'a comme l'une des sources du droit. Le riba y est strictement interdit :

1 Cour fédérale des Emirats Arabes Unis, décision du 6 septembre 1983

2 Décret-loi n°67 du mois d'octobre 1980 portant sur le nouveau code civil koweitien, promulgué dans le journal officiel n°1335 du 5 janvier 1981.

Article 305 : « Est nul tout accord portant sur la perception d'intérêt en contrepartie de la jouissance d'une somme d'argent ou d'un report de la date de l'exécution de l'obligation de remboursement »

« Est considéré comme intérêt tout avantage ou commission, quelle qu'en soit la nature, stipulé par le prêteur s'il est établi que cela ne correspond pas à un service effectif équivalent accompli réellement par le prêteur ».

Article 547 : « Le prêt est gratuit-sans intérêt-toute clause contraire sera réputée nulle et non avenue, mais le contrat reste valable »

« Est considéré comme intérêt tout avantage stipulé par le prêteur ».

Cependant, le recours à l'intérêt est admis en droit commercial, comme nous pouvons le constater dans le nouveau code de commerce1.

Aujourd'hui la pratique de l'intérêt est légale en matière commerciale dans presque tous les pays musulmans mis à part l'Iran, le Soudan, le Pakistan et l'Arabie Saoudite. Cela ne signifie pas qu'elle ne soit pas encadrée par des règles très strictes.

En effet, les textes contiennent souvent des taux d'intérêt légaux dont on s'interroge sur la force obligatoire : sont-ils d'ordre public ou alors supplétifs de la volonté des parties ?

En Tunisie, le Code des obligations et des contrats2 a adopté un taux d'intérêt légal de 7% en matière civile. En matière commerciale, ce taux doit correspondre au taux maximum des découverts bancaires, fixé par la Banque Centrale de Tunisie, majoré d'un demi-point. Il semblerait qu'il s'agisse ici, comme dans d'autres pays3, de taux maximum permis puisque s'ils sont dépassés, le taux stipulé dans le contrat pourra même être annulé d'office par le juge :

Article 1103 du COC tunisien : « Celui qui, abusant des besoins, de la faiblesse d'esprit ou de
l'inexpérience d'une autre personne, se fait promettre, pour consentir un prêt ou le

1 Décret-loi n°68/1980 portant sur le nouveau code de commerce koweitien, journal officiel n°1338 du 19 janvier 1981

2 Code Tunisien des Obligations et des Contrats, tel que modifié par les lois n°83-14 du 18 février 1983 et 2000- 57 du 13 juin 2000, art. 1096 et suiv.

3 Voir également le code de procédure civile des Emirats Arabes Unis, article 61 et 62 évoqués précédemment

renouveler à l'échéance, des intérêts ou autres avantages qui excèdent notablement le taux normal de l'intérêt, et la valeur du service rendu, selon les lieux et les circonstances de l'affaire, sera l'objet de poursuites pénales. Les clauses et conventions passées en contravention du présent article pourront être annulées, à la requête de la partie et même d'office, le taux stipulé pourra être réduit, et le débiteur pourra répéter, comme indu, ce qu'il lui aurait payé au-dessus du taux qui sera fixé par le tribunal. S'il y a plusieurs créanciers, ils seront tenus solidairement ».

Une dernière remarque s'impose concernant les intérêts moratoires : dans de nombreux Etats tels que l'Algérie ou les Emirats Arabes Unis, il y a une confusion entre intérêts moratoires et intérêts compensatoires : des intérêts supplémentaires pour le retard de paiement ne peuvent être ordonnés par le juge que si le créancier prouve que le retard de paiement lui a causé un dommage.

A l'issue de cet état des lieux des différentes législations de pays musulmans, l'on constate que les positions vis-à-vis du riba sont très variables d'un Etat à l'autre, ce qui ne nous permet pas d'avoir un seul modèle de banque islamique mais plusieurs modèles même si la philosophie de départ reste la même. L'ensemble des principes évoqués ci-dessus qui régissent les banques islamiques ont permis de dégager un certain nombre de contrats dont la forme obéit aux préceptes de la Chari'a.

En somme, les jurisconsultes musulmans contemporains ont convenu par idjma' ou consensus que les banques et les sociétés dont le fonctionnement va à l'encontre des règles de la Chari'a sont celles qui se trouvent dans l'une des situations suivantes :

- L'activité exercée est illicite (haram) du point de vue du droit musulman ;

- L'activité permise mais la majorité des actifs sont représentés par du cash ou des dettes ;

- Les actifs de la société sont représentés par des liquidités. Dans ce cas, acheter ses actions revient à acheter de l'argent, ce qui est assimilable à du riba ;

- Les actifs de la société sont représentés par des dettes. Ici, acheter des actions revient à acheter une part des dettes, ce qui est également interdit.

De ce fait, pour que la banque ou la société soit conforme à la Chari'a, elle doit répondre cumulativement aux conditions suivantes :

- Exercer une activité licite (halal) du point de vue du droit musulman ;

- Le total de ses dettes doit être inférieur au tiers de ses actifs ;

- Le total de ses actifs exigibles doit être inférieur à 45% de ses actifs ;

- La somme des produits interdits qu'elle perçoit comme l'intérêt doit représenter moins de 5% de ses produits1.

Après avoir vérifié que ces conditions sont remplies par le client demandeur de financement, la banque pourra envisager de financer l'entreprise par la conclusion d'un contrat de financement. Un grand débat a opposé les fuqahas contemporains quant à savoir si la liste de contrats aujourd'hui disponible est exhaustive ou si l'élaboration de nouvelles formes est possible sur la base du principe de la liberté contractuelle. Aujourd'hui, face à l'évolution galopante des banques et du monde de la finance, il semble évident que l'innovation en matière d'instruments bancaires islamiques est nécessaire.

Quoiqu'il en soit, nous nous proposons dans le cadre de cette étude d'analyser les principaux contrats de financement proposés par les banques islamiques et reposant sur le mécanisme du crédit.

1 KARICH I., op. cit., pp.89 et suiv.

CHAPITRE II
Les conditions de forme

En vertu des nombreux principes exposés, il a fallu penser à des modes de financement originaux étant donné que les techniques conventionnelles ne cadraient pas avec l'esprit de la Chari'a. La solution a été de puiser dans les contrats classiques de droit musulman et de les adapter, dans le respect de la Chari'a, aux besoins actuels des entreprises.

L'on peut distinguer deux types de financement : le premier consiste, pour la banque, à s'associer avec son client pour lui faire acquérir les biens dont il a besoin afin d'exercer son activité. Cette association est proposée à titre onéreux (section I). Le second financement charge la banque d'une mission caritative consistant à aider ses clients dans le besoin ou victimes d'un sinistre et est, en principe, à titre gratuit (section II).

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984