1.2.
La consécution, la finalité et la manière
Le terme manière exprime une façon
d'être, d'agir. Nous n'étudions pas ici la manière en tant
que constituant de phrase qui exprime cette fonction ; nous en parlons
parce que le sémantisme des locutions qui énoncent la
finalité et la conséquence exprime également la
manière comme nous l'avons déjà signalé. Cela se
vérifie dans les échantillons ci-après :
4a. Alors, avec son vilebrequin, il desserra les vis des
équerres, de façon à ce
qu'une dernière poussée pût les arracher
toutes. (Ge, p435) ;
4b. Catherine avait échappé à la
surveillance du gardien ce soir-là et s'était avancée au
milieu du tunnel, en tenant la gauche, d'une manière telle
que tout train arrivant de face pût passer à sa
droite [...] ; (Lbh, p302) ;
4c. Dix minutes plus tard, il (Jacques) était en route
pour la Croix-de-Maufras, après avoir enjambé cette
fenêtre, sans être vu, en ayant bien soin de repousser les volets
[...], de façon qu'il pût rentrer
par là, secrètement. (Lbh, p342).
4d. Quand les interrogatoires furent terminés,
l'affaire était jugée, tellement le président les avait
menés avec adresse de façon que
Roubaud et Cabuche, [...], parussent s'être livrés
eux-mêmes. (Lbh, p372) ;
Dans [4a], ce n'est pas le fait de desserrer les vis des
équerres qui peut permettre à une poussée de les arracher,
mais une façon spécifique, particulière de les
dévisser. La relation consécutive entre les deux processus
exprimés respectivement dans P1et P2 n'est donc pas validable pour
toute occurrence de la relation prédicative P1 il desserra les vis
des équerres. Il a desserré les vis avec une intention
spécifique ; laquelle le pousse à procéder d'une
manière spéciale, tout dépend ici de la qualité,
c'est-à-dire du soin que l'agent de l'action décrite dans P1 met
dans le fait décrit. Le but visé se traduit linguistiquement par
le subjonctif. Dans l'énoncé [4b], ce qui caractérise le
déplacement de Catherine dans le tunnel se fonde sur la manière
dont ce déplacement s'effectue. De cela dépend l'aboutissement de
la visée. Son mouvement s'effectue d'une manière
particulière, celle qui permet que la raison finale, à savoir que
tout train arrivant en face puisse passer à sa droite, soit atteinte.
C'est dans ce sens qu'Hybertie (op cit : 109) mentionne que
si la propriété différentielle est
présentée comme celle qui permet à la visée
d'aboutir, elle suppose la mise en oeuvre d'un mode particulier d'agir qui
permette effectivement d'atteindre la fin visée.
En outre, l'intentionnalité de la conséquence
suppose forcément l'intentionnalité de la cause. Il faut agir
d'une certaine manière pour obtenir l'effet visé. Si Catherine
veut que tout train qui arrive en face passe à sa droite, alors, il lui
faut marcher d'une certaine manière. Il en est de même pour [4b et
4c], si Jacques ne veut pas être vu à son retour, il doit
repousser les volets d'une certaine manière. Nous constatons que, de
tous les marqueurs de consécution, seuls ceux qui sont susceptibles de
corréler manière et consécution sont communs à
l'expression du but et à celle de la conséquence. En commutant
[4c] en fait par si bien que, et afin que nous obtenons,
4c*. Dix minutes plus tard, il (Jacques) était en route
pour la Croix-de-Maufras, après avoir enjambé cette
fenêtre, sans être vu, en ayant bien soin de repousser les volets
[...] si bien qu'il pouvait rentrer par
là, secrètement ;
4c'. Dix minutes plus tard, il (Jacques) était en route
pour la Croix-de-Maufras, après avoir enjambé cette
fenêtre, sans être vu, en ayant bien soin de repousser les volets
[...] afin qu'il pût rentrer par là,
secrètement.
Nous avons vu dans l'étude de la consécution
factuelle que le marqueur si bien que introduit une conséquence
pure. Or, le procès décrit dans P1 : en ayant bien soin
de repousser les volets, est susceptible de connaître
différents modes de réalisation et dont la conséquence
exprimée en P2 n'en est qu'un aspect. C'est pourquoi la commutation avec
si bien que n'est pas possible. En effet, dans l'environnement
contextuel de la locution si bien que, on note la structure en
ayant bien soin de ... et secrètement qui induisent
l'objectif de l'agent de l'acte décrit dans l'énoncé.
C'est dans ce sens que nous nous disons que la commutation avec afin
que est possible. Tout le dispositif discursif que nous avons
relevé ne présente qu'un ensemble des moyens spéciaux mis
en oeuvre par l'agent pour atteindre son but ; afin que qui
exprime également l'intentionnalité, énonce que, puisque
le processus réalisé l'est en vue d'une conséquence, cela
exige obligatoirement que l'on mette en oeuvre un mode particulier d'agir.
Aussi, la possibilité d'un enchaînement comme [4c'] ne peut-elle
être expliquée qu'à partir des affinités entre
manière et consécution. Et Hybertie (op. cit : 112) de dire,
l'expression de la finalité véhicule en même temps
l'expression d'une manière, pour le processus cause, d'être
réalisé. L'auteur renchérit plus loin et à la
même page,
des faits de cet ordre manifestent l'affinité
étroite existant entre manière et finalité, et cette
affinité permet de comprendre que les locutions corrélant
manière et consécution puissent aussi servir à exprimer la
finalité.
En revanche, dans les systèmes corrélatifs,
Hybertie (1996 :112) ne pense pas que toutes les expressions
corrélées soient capables d'exprimer la finalité. C'est le
cas avec les expressions corrélant intensité et
consécution. Dans les exemples suivants empruntés à
l'auteur :
5a. Il a crié à tel point qu'il l'a
réveillé ;
5b. Il a crié tellement qu'il l'a
réveillé ;
5c. Il a crié de manière à le
réveiller.
Nous avons vu au chapitre deux que l'intensité est une
question de quantité, d'échelle, de degré. Nous voyons ici
que la manière relève de la façon de faire ou
d'être, donc de la qualité. Mettre en oeuvre un processus
d'augmentation quantitative pour produire l'effet voulu, c'est agir d'une
certaine façon, c'est accorder au fait cause la qualité
suffisante pour produire la conséquence voulue. Pour l'auteur, le but
n'est exprimé que dans [5c] qui comporte la locution de
manière à, expression de la finalité. Cependant,
nous pensons que tout dépendant de l'interprétation et de la
situation de l'énonciation qui peut varier d'une lecture à une
autre, la situation contextuelle étant d'un apport
très précieux dans l'interprétation d'un
énoncé. En guise d'exemple, si le locuteur en [5a] porte une
accusation sur il pour expliquer que c'est l'intensité de ses
cris qui est à l'origine du réveil du bébé, et
qu'il l'a fait dans ce but (celui de faire du mal en réveillant
l'enfant), P2 introduit par à tel point que cache
l'intention de l'agent du cri : celle d'atteindre un degré de cris
capable de réveiller l'enfant qui dort ; vue sous cet angle,
l'intensité peu induire une finalité. Les énoncés
[5a et b] sont donc ambivalents. Si l'intention n'est pas linguistiquement
marquée, l'effet pragmatique est donc capable de favoriser
l'interprétation d'une notion.
En définitive, il apparaît que la
conséquence et le but sont proches aussi bien au niveau factuel que par
leur expression linguistique. Et que la différence entre ces deux
notions ne se situe qu'au niveau de la visée qui sous-tend l'expression
de la finalité et qui se traduit linguistiquement par la
présence, dans P2 du subjonctif, mode du possible, du virtuel et marque
de la subjectivité. Pour ce qui est de la visée, elle
dépend de l'agent de l'action décrite dans P1. On en vient
à dire que la finalité se manifeste par certaines locutions et
que, dire que le subjonctif est la seule façon d'exprimer la
finalité avec les connecteurs afin que et pour que,
etc. constitue une vision réductrice de la question. Pour une meilleure
lecture de la notion de but, l'analyste du discours gagne à prendre en
compte l'aspect pragmatique. Là, on verrait que les
locutions exprimant l'intensité peuvent également traduire le
but. Toutefois, la prise en compte de certains éléments
contextuels est aussi nécessaire pour éviter des cas
d'ambiguïté.
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