1. La
relation consécution et finalité
Encore appelée but, la finalité
représente un objectif ou un résultat qu'on veut atteindre.
Ainsi, Descourbes et alii (1993 :187) soutiennent ce que pense Popin
(1993 : 122) de la notion de but. En effet, pour ce dernier, les
finales marquent le but, qui fait l'objet d'une visée et
d'une intention du sujet, si bien qu'elles sont modalisées au
subjonctif, porteur de valeurs potentielles. La finalité est, en
outre, exprimée par de nombreuses locutions qui traduisent
également la conséquence. Il s'agit de : d'une
manière telle que, d'une façon telle que, de telle manière
que, de telle façon que, de manière telle que, de façon
telle que, de manière que, de façon que, de telle sorte que, de
sorte et en sorte que. Ainsi les deux relations en question se
rejoignent dans la pratique linguistique par certains connecteurs et par le
mode, deux aspects communs dont l'étude gagne à être
menée simultanément.
1.1.
Les locutions conjonctives
A propos des locutions conjonctives, nombre de grammairiens
entre autres, Wagner et Pinchon (1962 :592), Chevalier et alii (1964),
Riegel et alii (1996 :516), voient en ces locutions des marqueurs
originels de la conséquence. Ainsi, pour Brunot (1965 :849),
cité par Hybertie (op cit : 104) ces locutions constituent une
adaptation à la finalité de locutions marquant d'autres
rapports, et sont employées chaque fois que le but à
atteindre est considéré comme devant être atteint, si
l'action ou l'état prend un certain caractère. Il se
dégage que les locutions qui se construisent avec des mots
(façon, manière, sorte) qui comportent dans leur
sémantisme l'idée de manière, peuvent exprimer aussi bien
la conséquence que la finalité. Toutefois, il s'avère que
cette proximité de la finalité avec la conséquence
constitue une véritable source de confusions. Par ailleurs, si les
locutions conjonctives qui expriment et la conséquence et le but
comportent dans leur sémantisme l'idée de manière, il est
évident qu'il faudrait montrer, d'une part, le lien entre la
finalité et la conséquence, et voir, d'autre part, ce qui
rassemble la manière, la consécution et le but.
Tout comme la conséquence, la finalité fait
partie de la catégorie de la causalité. La finalité est
inscrite au nombre des faits qui sont provoqués par un autre fait
appelé cause ; il existe donc un lien causal entre la cause et la
finalité. A ce propos, déclare Hybertie (op cit : 104),
selon la représentation commune, dans le monde
physique, tout fait qui advient est produit par un autre fait, l'un est cause
et l'autre conséquence. Dans le monde humain, raison et volonté
font que certaines actions sont produites en vue d'une fin, qu'elles sont des
motifs ou des raisons, [...].
Cette explication de l'auteur fait ressortir un point
essentiel : il existe un rapport étroit entre, d'une part, la
cause, et d'autre part, la conséquence et la finalité. Au sujet
de la terminologie cause finale, elle exprime la cause qui a trait à
l'acte volontaire, c'est-à-dire à l'humain ; elle s'oppose
donc à la cause efficiente, qui représente celle qui provoque,
c'est-à-dire celle qui constitue la source de la conséquence.
Ainsi cause finale, but et fin sont diverses dénominations d'une seule
et même réalité ; la cause finale étant la
finalité pour laquelle une action est posée tels que le
soulignent ces énoncés :
1a. Nous comprenons qu'il n'y a pas d'amélioration
possible pour nous, tant que les choses iront comme elles vont, et c'est
même à cause de ça que les ouvrier finiront [...], par
s'arranger de façon à ce qu'elles
aillent autrement. (Ge, p213) ;
1b. Le vieux, c'était le grand-père, Bonnemort,
qui, travaillant la nuit, se couchait au jour, de sorte
que le lit ne se refroidissait pas. (Ge, p20).
Dans ces énoncés, le rapport entre les
propositions est effectivement marqué par les locutions qui traduisent
à la fois la consécution et le but. Les locutions de
façon à ce que et de manière à ce que
sont des variantes de de façon que et de manière
que. Pour Brunot (1965 : 849) encore mentionné par Hybertie
(op. cit.) les locutions marquant la manière interviennent donc dans
l'expression des intensions. L'effet de sens que construit le subjonctif
fait de la subordonnée non une conséquence simple, mais une
conséquence intensionnelle. Pour cela, pense Cohen (1965 :56),
il (le subjonctif) peut aussi marquer de manière autonome une nuance
d'éventualité et donc avoir une valeur modale. Le subjonctif
fait donc partie des différents moyens d'expression de la
modalité, et aussi de ce que la tradition grammaticale appelle mode.
Elle en distingue quatre : l'indicatif, le conditionnel,
l'impératif et le subjonctif. Ces différents modes traduisent,
chacun à sa manière, des nuances de sens.
Ainsi, dans [1a], l'état de chose
représenté par la subordonnée est
présenté non pas comme une simple conséquence mais comme
une conséquence intentionnelle. Le subjonctif modal exprimant l'attitude
prise par un sujet à l'égard de l'énoncé, il est
évident qu'il permet de construire un point de vue subjectif,
distinguant ainsi la conséquence visée de la conséquence
factuelle. En clair, la cause finale étant le but pour lequel une action
est entreprise, elle peut aussi être perçue, non plus d'un point
de vue antérieur à sa réalisation, c'est-à-dire,
comme motif ou mobile, raison pour laquelle une action est produite, mais d'un
point de vue postérieur à sa réalisation, autrement dit
comme effet escompté. Ainsi, dans [1a], le pronom nous et le
mot ouvriers renvoient à une seule réalité, et la
situation qui est décrite en P1 : il n'y a pas
d'amélioration possible pour nous, tant que les choses iront comme elles
vont, est la cause de l'action future décrite dans P2 :
les ouvriers finiront [...], par s'arranger de façon
à ce qu'elles aillent autrement.
P2 constitue la conséquence voulue, intentionnelle,
souhaitée par les ouvriers ; et P1, la cause efficiente. Le
point de vue présenté dans [1a] est donc celui de l'agent
(ouvriers). L'emploi du futur ne change rien à la conséquence qui
est présentée comme une certitude à venir, comme
validable, une possibilité envisagée dans le futur. Ici, le
subjonctif permet de présenter l'agent du procès de P1 comme le
support de visée, c'est-à-dire la source de
l'intentionnalité inhérente tant à la réalisation
du processus cause qu'à celui de la conséquence. Il
s'avère donc que seul le subjonctif permet d'établir la
différence entre la conséquence voulue et la conséquence
factuelle. Quel que soit le moment où les processus cause et
conséquence sont réalisés, l'état de chose
décrite dans P2 par le subjonctif, est présenté comme
n'étant pas atteint, mais comme visé. L'emploi du subjonctif le
présente comme non actualisé par rapport à un moment
choisi comme repère, celui de la réalisation intentionnelle du
processus cause. En d'autres termes, le procès de P2 est vu en fonction
de celui de P1, et antérieurement à une réalisation qui
produirait ses effets : P2 est perçu comme ce pourquoi le processus
de P1 est enclenché. Le but participe ainsi de deux formes de
causalité : à l'intentionnalité s'ajoute la cause
efficiente qui est la causalité inscrite dans les faits. Ceci parce que,
note Hybertie (op cit :105),
la volonté humaine serait vaine et son action
inefficace si elle ne se subordonnait pas à la causalité
factuelle. Elle est, si elle veut aboutir, obligée de se soumettre
à l'ordre du monde ; autrement dit la conséquence voulue ne
peut être réalisée que moyennant des conditions d'ordre
physique.
En effet, la conséquence visée n'aurait pas de
sens ou n'existerait pas si, par exemple, P1 était : il y a une
amélioration possible ou en vue. Le fait que la finalité
s'inscrive d'abord dans la causalité factuelle justifie que certaines
locutions puissent servir aussi bien à exprimer la finalité que
la conséquence.
Dans l'énoncé [1b], le mode est l'indicatif,
mode de l'actualisé, il représente celui de la relation
consécutive. En effet, exprimées à l'indicatif, la cause
et la conséquence sont posées comme atteintes.
L'énonciateur décrit les faits qu'il observe de
l'extérieur et les présente avec objectivité. En
narratologie, on parlerait de narrateur extradiégétique qui,
comme le pense Tisset (2000 :185), est la position du narrateur quand
il est en dehors de l'univers de fiction. Le niveau
extradiégétique correspond à la position standard du
narrateur. Cette position lui permet d'exercer sa fonction essentielle qui est
celle de narrer. Comme narrateur, il est absent de l'histoire qu'il raconte. Il
n'est pas mis en scène par l'auteur ; il est donc
extra-diégétique : hors de la diégèse.
Hybertie (op cit) renforce cette perception en reconnaissant que la relation
cause-conséquence, à l'indicatif, présente les faits comme
si le locuteur embrassait d'un seul regard la chaîne de
causalités. Pour décrire en fait, avec tant de détails et
d'assurance les habitudes de la famille Maheud, l'énonciateur doit
nécessairement être un narrateur omniscient. Ainsi, P1 :
Le vieux [...] se couchait au jour entraîne P2 : le lit
ne se refroidissait pas. P1 est la cause et P2 la conséquence.
L'emploi de l'indicatif permet de présenter les faits avec
objectivité ; et parlant de la conséquence factuelle, nous
avons vu que l'emploi des connecteurs factuels donnait au
phénomène de causalité un caractère objectif. Ce
constat se renforce d'autant plus qu'en [1b'] :
Le vieux, [...], se couchait au jour, de
sorte que le lit ne se refroidît pas.
On aurait affaire à une finale parce que la
conséquence qui, avec l'indicatif était présentée
comme objective, a subi un effet d'intentionnalité avec le
sémantisme du subjonctif. Ainsi, la différence entre la
conséquence et la finalité induite par la différence entre
le mode indicatif et le mode subjonctif, correspond donc, pour Hybertie (op
cit. : 107) à un choix différent du point de vue
à partir duquel le monde est représenté. En
conséquence, deux différences fondamentales distinguent la
conséquence de la finale : premièrement, le point de vue est
celui de l'énonciateur dans l'expression de la conséquence, et
celui de l'agent du procès de P1 dans l'expression du but ;
deuxièmement, pendant que la finalité exprimée par le
subjonctif se révèle être subjective, la
consécution, à l'indicatif présente les faits
objectivement, un peu comme si la relation consécutive relevait, elle,
du déterminisme, pour qui tout dans le monde arrive
nécessairement selon la loi de cause à effet. Le mérite du
narrateur est tout simplement de les présenter tels qu'ils sont, sans
état d'âme.
Cependant, le subjonctif modal censé établir la
différence entre la conséquence et la finale, parce qu'exprimant
l'intention du locuteur, c'est-à-dire sa subjectivité
vis-à-vis de son énoncé, soulève quand même
un problème. En effet, si on considère la visée comme la
direction de la vue vers un but, celle de l'énonciateur, il y a lieu de
se demander dans quelle catégorie l'exemple [2] doit être
classé :
[...], sur la voie de Dieppe en réparation, stationnait
un train en ballast, que son ami Ozil venait d'y aiguiller ; et, dans une
illumination subite, elle trouva, arrêta un plan ; empêcher
simplement l'aiguilleur de remettre l'aiguille sur la voie du Havre,
de sorte que, l'express irait se
briser contre le train de ballast. (Lbh, p303).
L'évènement décrit dans cette
séquence est celui de l'agent (Catherine). Celle-ci est rongée
par la jalousie, elle aime en effet Jacques, le cheminot qui en aime une autre.
Catherine envisage donc de commettre un crime, elle veut dévier le train
de Jacques des rails dans l'intention de tuer le couple qui voyage ensemble. Le
conditionnel apparaît dans la subordonnée et la principale est
à l'infinitif, mode de l'action en puissance, et comme le dit Moignet
(1981 :65) la forme qui inaugure le verbe et contient en puissance la
totalité du défilé de ses formes. Rien ne dit donc que
l'action ne sera pas effectuée, dans ce cas, elle est soutenue par une
intention, celle de tuer. Par ailleurs, la visée décrite dans
l'énoncé est bien celle de l'agent du procès. Alors,
où devons-nous classer la subordonnée, dans la consécution
hypothétique ou la finalité hypothétique ?
Par ailleurs, on peut voir dans les subordonnées en [3a
et b], des finales à cause de la présence de pour que et
du subjonctif. Pourtant, des indices phrastiques permettent
d'interpréter P2 comme des conséquences.
3a. Mais un mot de lui a suffi,
pour que toute la vie du travail
reprenne. (Ge, p285) ;
3b. L'idée qu'il suffisait d'un regard,
entre les planches de cette porte disjointe, pour
qu'on les massacrât, la glaçait.
(Ge, p334).
En effet, [3a] est formé de deux
séquences : P1 : mais un mot de lui a suffi et
P2 : toute la vie du travail reprenne. P1 et P2 sont
reliées par la locution pour que, laquelle exprime aussi la
finalité. Toutefois dans ce contexte, il se note que certaines
conditions doivent être remplies pour que la conséquence ait lieu.
Dans la séquence
il a suffi, souligne Diffo
(2005 :58), il y a une prévision à la réalisation
d'un effet, d'un résultat. Il a suffi est une condition
suffisante à l'accomplissement de l'action de la
subordonnée.
Ainsi, l'énoncé [3a], exprime la
conséquence malgré la présence au sein de
l'énoncé du subjonctif. Il ressort que pour départager les
deux types de relation logique, il faut s'appuyer sur la relation qui lie les
faits décrits. Dans la conséquence, la séquence P1 aboutit
à l'accomplissement de la séquence P2 alors que dans la
finalité, on envisage un fait à partir d'un fait premier, celui
de P1.
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