2. Les types et les valeurs de la
relation de cause à effet
L'étude des types et des valeurs de la relation de
cause à effet consiste, d'une part, à préciser la nature
des éléments ou des syntagmes que le discours met en oeuvre pour
introduire la conséquence, et, d'autre part, à veiller sur la
portée de ces éléments sur l'expression de la
causalité. Dans nos occurrences, nous avons relevé que ce type de
relation se capitalise dans les constructions détachées et les
autres formes linguistiques.
2.1.
Les constructions détachées
Les constructions détachées sont des
constructions dont la place est libre, qui sont séparées du reste
de la phrase par une virgule, qui ont, généralement, une
relation de coréférence avec le sujet de la phrase et qui forment
une valeur prédicative. C'est dans ce sens que Havu (2002 :1)
souligne que les constructions détachées sont
considérées par de nombreux linguistes comme des appositions
puisqu'elles
forment une prédication seconde apportant une
information supplémentaire au terme support qui constitue une composante
de la prédication première ; (ii) sont relativement mobiles
et peuvent occuper la place initiale, (iii) [peuvent] être placées
après leur support ; (iv) sont séparées du reste de
la phrase, le plus souvent par une virgule, mais aussi par deux points, des
tirets, des parenthèses, ou simplement par une pause, dans le discours
oral [...].
Par ailleurs, dans la construction détachée,
l'élément apposé ne joue pas un rôle semblable
à celui de l'épithète qui complète un nom, mais il
introduit plutôt dans l'énoncé, une nouvelle structure
prédicative en créant les circonstances ou les conditions du
déroulement de l'action du verbe. A propos, pense Tomassone
(2002 :241), les constructions détachées ont toutes un
même rôle en ce qui concerne l'apport d'information dans
l'énoncé : elles introduisent une nouvelle information
nouvelle, [...].Toutefois, dans l'expression de la relation causale,
certaines structures détachées, peuvent présenter des
relations asymétriques, avec un support clos sur le plan
morphosyntaxique, mais qui sont d'un apport prédicatif significatif tel
que le démontre ces exemples :
5a. Effrayée devant le malaise
général, la Compagnie, en diminuant son extraction
et en affamant ses mineurs, s'était fatalement trouvée,
dès la fin de décembre, sans un morceau de charbon sur le
carreau de ses fosses. (Ge, p360) ;
5b. Furieux, il (Chaval)
descendit, [...]. (Ge, p295) ;
5c. Cecile, toute rose de santé, heureuse
de respirer l'air si pur, s'égayait, plaisantait, [...].(Ge,
p465).
Il n'est pas question dans [5] de relation de symétrie,
encore moins de duplication. Qu'il soit intra ou extraphrastique, l'adjectif
qualificatif mis en apposition en [5b et c] ou la participiale apposée
en [5a] fonctionnent comme des structures indépendantes par rapport
à leur contexte. La valeur circonstancielle qu'a l'élément
apposé vient de sa prédicativité. Dans [5b],
furieux ne duplique pas il (Chaval), mais l'adjectif
apposé est une structure libre, il est donc indépendant. Le sens
que dégage ce prédicat est celui de l'explication. L'adjectif
qualificatif furieux explique le comportement ou l'attitude de l'agent
du fait décrit dans P2. L'énoncé peut donc être
glosé ainsi qu'il suit : parce qu'il était furieux, il
descendit... Furieux constitue à lui seul une phrase. Aussi
Scheppers (2002 :6) souligne que : est prédicatif tout
constituant morphosyntaxique dont la structure sémantique
prévoit, de par le noeud supérieur de sa représentation
sémantique, une position libre.
De ce fait, les mots en position de détachement
constituent des structures prédicatives et leurs apports
prédicatifs ne s'interprètent pas comme des reformulations de
leurs supports, mais comme des apports structurellement indépendants par
rapport à leur contexte. C'est pourquoi, explique Délechelle
(2004 :129),
De part sa position initiale, l'identification et donc la
construction de la valeur référentielle du terme source, fonde la
relation prédicative, puisque c'est en tant que qu'occurrence de la
notion repère que le terme source est mis en rapport avec le
prédicat.
La structure apposée forme une prédication
seconde apportant une information supplémentaire au terme support qui
constitue une composante de la prédication première. Du coup, la
définition de l'apposition mérite d'être revue ; en
fait si les constructions détachées peuvent être des
appositions, il peut ne pas exister entre le terme apposé et le terme
source une relation de symétrie ou d'identité, ce que montrent
les occurrences [5]. Dans tous les cas, les constructions
détachées sont de natures diverses : un groupe nominal, un
adjectif, un adverbe, une conjonction.
2.1.1.
L'adjectif apposé
L'adjectif qualificatif peut être
épithète, attribut ou apposé. En position
détachée, le participe passé en emploi adjectival a valeur
de complément circonstanciel de cause. Mais, comme la cause
précède généralement la conséquence, il
n'est pas étonnant que la valeur causale soit teintée
d'idée de succession temporelle. C'est le lieu de le vérifier
dans [6]
6a. Effrayé, il l'avait retenue sur son
coeur. (Ge, p488) ;
6b. Catherine,
résignée, avait appuyé contre la
veine sa tête endolorie, [...]. (Ge, p483) ;
6c. Dès le premier voyage, Catherine,
effrayée, revint en disant qu'il n'y avait plus
personne au plan incliné. (Ge, p442) ;
6d. Au jour, M. Hennebeau anxieux attendait Négrel.
« Eh bien, quoi ? »
demanda-t-il.
Mais l'ingénieur,
étranglé, ne parlait point. (Ge,
p448).
L'interprétation tient compte des critères
morphosyntaxique (ce sont des propositions participes) et des critères
sémantiques (absence des liens de marque logique explicite avec la
principale). Tout en exprimant la cause, les adjectifs apposés
décrivent un état qui explique ou justifie
l'évènement décrit dans la conséquence. Dans [6a'],
le locuteur fait comprendre ceci:
Etant effrayé / parce qu'il
(Etienne) était effrayé, il l'avait retenu sur son coeur.
Ainsi il se dégage que lorsque la construction
détachée contient une valeur causale, il doit exister une
relation de causalité entre elle et le contenu de la proposition
principale. Cependant, cette relation de causalité est implicite et,
selon Havu (2002 :394), elle dépend pour une
grande partie de l'interprétation subjective du lecteur et de sa vision
du monde. En fait, dans une culture où par exemple un amoureux sert sa
petite amie sur son coeur lorsqu'il est effrayé, l'interprétation
de la construction détachée est causale et celle de la principale
est consécutive, cela explique bien la structure de [6a'].
Sur le plan pragmatique, par l'adjectif détaché,
le locuteur oriente le co-énonciateur afin qu'il puisse identifier les
paramètres nécessaires à un ancrage discursif
adéquat du contenu de la proposition qui suit. Il fournit une
information qui doit être validée telle quelle, pour ensuite
pouvoir affirmer la proposition qui suit. Cela dit, elle peut exprimer, comme
on peut le constater dans les exemples susmentionnés des informations
nouvelles pour l'interlocuteur (qui ne sont pas introduites
préalablement dans le contexte antérieur du discours, et dont
l'interlocuteur peut ne pas être au courant). Nous parlons des
informations nouvelles, parce qu'il est difficile de dire ou de prévoir
que, chaque fois que le fait décrit par la participiale se produit ou se
produira, la même conséquence se produit ou se produira. Cette
attitude morale est une information nouvelle que le locuteur vient d'introduire
dans le discours, et qui décrit le comportement d'un personnage. En plus
de l'information, le locuteur restreint l'univers du discours, en d'autres
termes, rien ne prouve que le personnage d'Etienne n'a ce comportement que
lorsqu'il est effrayé. En clair, en commutant le lexème
effrayé par les lexèmes du même paradigme
(effaré, inquiet, troublé, etc.), on est pas certain d'avoir les
mêmes effets.
Dans tous les cas nous pensons que l'orientation que donne le
locuteur vise à faire admettre au co-locuteur qu'il n'y a que cette
circonstance qui produit la conséquence énoncée. Il limite
le domaine de validité de l'information qui suit. Par ailleurs, Havu (op
cit.) fait observer qu'avec la valeur causale, la construction
détachée peut être glosée par comme.
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