3.1.2.
Sans + GN
Dans la structure sans suivi du
groupe nominal, le connecteur nie plutôt l'action que décrit le
groupe nominal. C'est dans ce sens que ces exemples nous semblent
pertinents :
20a. Son frisson ancien le reprenait :
L'aimait-il donc, était-ce donc celle-là qu'il
pourrait aimer, [...] sans un monstrueux
désir de destruction ? (Lbh, p151) ;
20b. Les hommes, pour éviter d'aller au cabaret,
dormaient la journée entière ; les femmes [...] devenaient
raisonnables [...] ; et jusqu'aux bandes d'enfants qui avaient l'air de
comprendre, d'une telle sagesse, qu'elles couraient pieds nus et se griffaient
sans bruit. (Ge, p 202) ;
20c. [...], nous qui vivons sans
fracas, [...], qui nous contentons de vivre sainement avec ce que nous
avons, en faisant la part des pauvres ! (Ge, p 216).
Les évènements P1 : pouvoir aimer
et P2 : monstrueux désir de destruction décrit dans
[20a], ne permettent pas d'établir facilement un lien logique de
consécution. Seulement, le contexte d'emploi de sans favorise
l'interprétation de P2 comme une conséquence manquée. En
fait, Jacques, l'agent dont les pensées sont indirectement
exprimées par le locuteur, est issu d'une famille éthylique.
Alors, lorsqu'il se trouvait en face d'une fille, il n'avait qu'une seule
envie, celle de tuer. Le locuteur s'interroge si en aimant Séverine, ce
serait sans conséquence : sans avoir le monstrueux désir
de tuer. En revanche, dans l'exemple [20b], la séquence sans
bruit est, selon notre point de vue, une séquence ambiguë qui
ne peut s'interpréter que selon le contexte. En effet, si l'on s'attend
au cri, après les griffes, alors on a affaire à une
conséquence manquée ; par contre la même
séquence peut être interprétée comme la
manière si le locuteur exprime la façon de se griffer.
3.1.3.
Le connecteur Sans que
Le connecteur sans que est composé de la
préposition sans et de la conjonction que. Il est
classé comme sans, parmi les connecteurs plurifonctionnels,
donc équivoques. En effet, Wagner et Pichon (1962) le classent parmi les
connecteurs de cause. Pendant ce temps, Mauger (1968 :339) infirme
l'approche de ces auteurs en relevant que sans que induit une
conséquence manquée. A ce propos, Riegel et alii (1996 :
512) relèvent que : une orientation négative unit sans
que qui marque la négation d'un procès concomitant ou
consécutif, tandis que Jazé Zanfack (2005 :46)
reconnaît qu'avec sans que,
le locuteur commence par admettre une idée, [...],
puis énonce un contre argument qui vient modérer la
vérité admise. Ainsi la relation sémantique qui
existe entre la principale et la subordonnée peut être
identifiée comme une conséquence inopérante ou
absente.
Toujours dans le même sens GONTSOK ASSAMA (2006 :
18) déclare que : sans que marque la cause fausse,
c'est-à-dire la cause alléguée par un autrui et
rejetée par le locuteur.
Dans l'un ou l'autre cas, les échantillons qui suivent
permettront de vérifier ces équivoques.
21a. Les revendications pratiques de Rasseneur se mêlaient
en lui aux violences destructrices de Souvarine ; et, quand il sortait du
cabaret de l'Avantage, [...], il assistait à la
régénération radicale des peuples, sans
que cela dût coûter une vitre cassée ni
une goutte de sang. (Ge, p.160) ;
21b. Pendant quinze années, le ménage habita la
même ville de province, sans qu'un
évènement rompît la monotonie de son existence, [...].
(Ge, p 192) ;
21c. Georges ce soir-là restait pâle, [...]. Au
sortir de table, il avait entendu Philippe plaisanter avec la jeune
femme ; et, maintenant, c'était Philippe, ce n'était pas lui
qui se trouvait près d'elle. Toute sa poitrine se gonflait et
s'éclatait, sans qu'il sût pourquoi. (Na,
p.319).
Ainsi dans [21a], P1 : il assistait à la
régénération radicale des peuples, et la
vérité admise qui est modérée par P2 :
cela dût coûter une vitre cassée ni une goutte de
sang. Ce qui arrive généralement dans une situation de
grève est la casse. Le fait décrit n'est pas encore réel
ni pour P1, ni pour P2. Le locuteur décrit un état mental, celui
du héro (Etienne) qui a hâte de voir non seulement le
déroulement de la grève, mais son issue qu'il espère
heureuse. L'énonciation de [21a] n'est qu'une prolepse qui permet au
lecteur de partager l'enthousiasme des mineurs et du héro. Toutefois
cela permet de voir qu'il s'agit dans P2 d'une conséquence niée.
En revanche, cette analyse n'est pas possible avec les
énoncés [21b], nous avons deux situations P1 : pendant
quinze années, le ménage habita la même ville de
province, et P2 : un évènement rompît la monotonie
de son existence. Sans que introduit ici la cause car, dans
l'expérience du monde, ce qui rompt la monotonie est la cause. Or,
sans que signifie que cette cause n'a pas eu lieu ; c'est
pourquoi la monotonie demeure.
La valeur d'emploi des connecteurs sans et sans
que dépend du contexte d'utilisation et même de
l'environnement extralinguistique. Pour ce faire, Muller note que la
négation est pleine de supposition pendant que Riegel et alii parlent de
polémique et Feigenbaum d'affinité sémantique
conservée hors texte. Quelle que soit la terminologie, cela
réside dans l'intention de l'auteur qui n'est pas clairement
exprimée. Le rôle primordial des connecteurs étant de
guider l'interlocuteur dans son parcours interprétatif comme le pense
Gary-Prieur (1999 :17), ces deux marqueurs ne souscrivent pas à
cette fonction principale puisqu'ils ne permettent pas au co-locuteur de
minimiser ses efforts cognitifs.
Ce chapitre consacré à l'étude des
marqueurs morphologiques de la conséquence et à
l'évaluation de leurs impacts sur le plan argumentatif a mis en
lumière leur rôle d'indicateur de la conséquence explicite.
Tout en exprimant la conséquence, le locuteur la présente comme
une suite réelle ou objective, irréelle, manquée. Il
apporte aussi d'autres précisions à la conséquence
réelle qui peut être un fait attendu ou inattendu. Certains
marqueurs inférentiels tout comme les marqueurs factuels introduisent la
conséquence factuelle. Les marqueurs inférentiels jouent en
commun le rôle de structuration du discours, mais avec une visée
spécifique pour chaque connecteur. Et, l'interchangeabilité qu'on
observe entre certains connecteurs n'est qu'apparente. En dehors de ces
considérations générales, le fait marquant que nous avons
dégagé est que le groupe prépositionnel à
l'infinitif exprime une conséquence mitigée et peut permettre
à l'énonciateur de dissimuler la signification exacte de son
propos ; le groupe prépositionnel nominal est une tournure
stylistique qui est en l'occurrence l'hyperbole. Il peut, à ce titre,
être rapprochée de la forme d'expression de la conséquence
par l'intensité, selon notre perception. Par ailleurs, nous
considérerons la locution finir par comme un outil d'expression
de la conséquence à l'instar de suffire.... pour que, achever
de, entraîner etc.
Dans la perspective, d'élucider toutes les nuances dont
un connecteur pragmatique est chargé, l'allocutaire recourt à
l'environnement contextuel du connecteur et à l'univers
extralinguistique. L'étude de la position de ces outils de liaison dans
les énoncés s'avère donc nécessaire.
La conséquence étant une relation à la
fois morphologique, syntaxique et sémantique, il est nécessaire
de se pencher également sur le deuxième aspect pour voir comment
se comporte cette notion sur le plan morphosyntaxique ainsi que les valeurs
qu'elle dégage. C'est l'objet du prochain chapitre.
CH APITRE 3
LA CONSÉQUENCE MORPHOSYNTAXIQUE :
PROPRIÉTÉS ET VALEURS
L'analyse des outils morphologiques de la conséquence
nous a permis de constater deux éléments :
premièrement, la classe des connecteurs pragmatiques ne forment pas une
classe unique et homogène, ils forment donc une classe ouverte. Ce que
Nølke (1993 : 22) a déjà relevé de même
que Zufferey (2007 : 250) ; deuxièmement, les connecteurs
pragmatiques introduisent la conséquence explicite avec plusieurs
valeurs. Les connecteurs inférentiels qui sont à la source de la
plupart de ces valeurs n'ont pas de position fixe dans les
énoncés. Ce qui, d'une part, explique le caractère
éventuel de leur commutation et d'autre part, met en lumière les
relations qu'ils établissent entre les unités linguistique et
discursive de divers niveaux. Ceci amène Plantin (2002a : 1-2)
à relever que :
Dans le discours, les énoncés
succèdent aux énoncés [...] et les thèmes
discursifs ou conversationnels se succèdent en fonction des
intérêts, des phobies et des histoires des locuteurs,
partagés ou non : un contenu qui en implique un autre, un champ
sémantique qui développe son isotopie, une idée
reçue qui en convoque une autre, des constructions syntaxiques qui, en
parallèle ou en opposition, se complètent, des sonorités
et des rythmes qui s'appellent et s'organisent en formes globales.
Un constat se fait : la seule
présence d'un connecteur dans un énoncé ne peut pas
permettre de déterminer les différentes visées qui
accompagnent l'utilisation d'une forme d'expression de la conséquence.
L'aspect pragmatique étant marqué dans le discours par des formes
liées tant à la syntaxe qu'à la morphologie, voire
à la stylistique, ce chapitre se propose de se pencher sur l'aspect
morphosyntaxique de la notion pour en étudier les structures qui entrent
dans l'expression de la conséquence. Pour cela, nous commencerons par
l'étude des structures implicites de la conséquence pour arriver
à l'analyse des types et valeurs de relations de cause à effet,
en passant par le rapport entre la consécution et les
modalités de phrase.
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