3. La
conséquence niée
La négation est l'action de nier, de refuser. Dans la
logique, l'opération de négation inverse la valeur de
vérité d'une proposition. Cependant, le concept de
négation n'est pas si facile à définir. D'ailleurs Muller
(1991 : 16-17) fait une revue de la littérature de cette notion, il
conclut qu'on ne peut définir la négation ni par
l'altérité comme le disait Platon, ni par l'absence comme le veut
Katz car, pense Muller,
la négation n'est pas autre chose que ce qu'elle
dit, et que la sémantique ne peut formuler qu'en recourant à
elle : qu'un « énoncé n'est pas adéquat,
qu'un ordre n'est pas accepté, qu'une situation n'est pas
réalisée.
Pour ce faire, la négation n'est pas une notion
opératoire, c'est-à-dire qu'elle ne permet pas d'effectuer des
raisonnements logiques ; dans ce cas, dit Muller, écartons tout
d'abord les tentatives faites pour donner à la négation un
contenu substantiel. Pour ce qui est de la conséquence
manquée ou niée, Mauger (1968 : 339), affirme qu'elle
désigne celle qui n'a pas eu lieu. Elle est exprimée de
différentes façons : la préposition sans, la
locution conjonctive sans que.
3.1.
La préposition sans
La préposition sans traduit le manque, la
privation, l'exclusion. Elle établit un rapport d'un terme à un
autre. Brunot (1965 :615) repris par Hybertie (op cit.: 103) note que
sans établit qu'une réalisation a eu lieu
alors que l'autre ne s'est pas produit. Dans ce sens Muller
(1991 :403) souligne que sans est un négatif inverse
pouvant être remplacé par le gérondif ; négatif
inverse parce que l'opérateur de négation inverse la valeur de
vérité de ce qui est affirmé ; de ce fait le
connecteur sans est un mot négatif, conclut Muller. Feigenbaum
(1996), donne à sans le titre de connecteur parce qu'il
établit un rapport entre les termes en y joignant une nuance de sens.
Comme marqueur de conséquence manquée, sans crée
deux structures : Sans + infinitif et sans + GN.
3.1.1.
Sans + infinitif
Dans la structure sans suivi de l'infinitif, le
connecteur vient nier le procès que représente l'infinitif pour
les verbes qui sont favorables à la valence, c'est-à-dire qu'ils
(les verbes) représentent, comme l'affirme Peirce
(1965 : 278) repris par Feigenbaum (1996 :295), un
évènement qui est normalement accompagné, suivi ou
précédé d'un autre évènement. Nous
rencontrons ces cas dans les énoncés suivants :
19a. C'était imbécile d'avoir un si gros
désir, l'un de l'autre, sans jamais se
contenter. (Ge, p167) ;
19b. Cela (l'alcool) remuait en lui tout un inconnu
d'épouvante, le mal héréditaire, la longue
hérédité de soûlerie, ne tolérant plus une
goutte d'alcool sans tomber à la fureur
homicide. (Ge, p357) ;
19c. Maintenant, vous allez rester là cinq minutes,
sans vous retourner ... nom de Dieu !
si vous vous retournez, il y aura des bêtes qui vous mangeront. (Ge, p
258).
Dans l'énoncé [19a], l'énonciation de
P1 : avoir un si gros désir prévoit une
conséquence -P2 se contenter : cependant le connecteur
sans établit un rapport de P1 à P2 : se
contenter, affirme la fausseté de P2, c'est-à-dire
l'évènement qui est normalement attendu ne se réalise pas.
Pour une interprétation pragmatique, il faut recourir aux connaissances
du monde. En effet, dans l'univers référentiel, lorsque deux
personnes se désirent, l'action la plus attendue est de les voir
contenter leur désir. Or dans le cas présent cette
conséquence n'a pas eu lieu, le désir est comme suspendu. C'est
dans ce sens qu'on parle de conséquence niée que Feigenbaum
(1996 : 293) représenterait par le schéma suivant :
« (+A) avoir (-B) se contenter) le signe (-) devant B
signifie que B n'a pas été réalisée. Ainsi
reconnaît l'auteur il existe une affinité sémantique
entre A et B, qui est conservée hors texte. C'est cette
affinité sémantique conservée hors texte qui
permet de parler de conséquence niée. Cet aspect de l'analyse
permet de distinguer la conséquence manquée du complément
de manière.
En effet, dans l'énoncé [19c]
l'évènement aller rester là
décrit dans P1, n'induit pas automatiquement
l'évènement sans se retourner de P2. Le locuteur
décrit la manière, c'est-à-dire l'attitude que doivent
adopter les enfants. Le même phénomène est observé
dans la structure avec GN.
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