2. La
conséquence irréelle
L'irréel représente ce qui n'est pas effectif
et ne peut même pas l'être. Il s'oppose donc au réel et au
potentiel. Pour Riegel et alii (996 :318), l'énoncé qui
exprime l'irréel dénote un état du monde possible mais
qui est ou a déjà été annihilé par le
réel. La grammaire offre une diversité de moyens d'exprimer
l'irréel. Il existe aussi, sur le plan linguistique, d'autres moyens
pour traduire la même notion, et qui varient suivant le contexte. On peut
donc avoir : l'adverbe d'intensité, le groupe
prépositionnel.
2.1.
L'adverbe
Parmi les outils d'expression de la conséquence
figurent les adverbes trop ....pour, assez ....pour. Toutefois,
suivant le sens de l'adjectif sur lequel porte l'adverbe trop ou
assez, la conséquence peut, dit Mauger (1968 : 331-332),
être réalisable ou irréalisable. Le second cas est
celui qui nous intéresse ici et dont les échantillons se trouvent
dans ces exemples :
17a. Mais Etienne, la nuit suivante désespéra de
nouveau. La compagnie avait les reins trop forts
pour qu'on les lui cassât si
aisément, [...]. (Ge, p362) ;
17b. Mangeons, tant pis ! ....Ils sont
assez grand pour
s'égarer. [...].
(Ge, p117).
Dans l'expérience qu'on a du monde, il est rare sinon
impossible de voir un plus faible s'attaquer de manière frontale
à un plus fort et à plus forte raison le vaincre. Ainsi les
mineurs en grève ne pouvaient aisément ébranler la
Compagnie. L'adverbe d'intensité trop indique que la
qualité (forts) a atteint le degré suffisant pour que la
conséquence ne soit pas réelle. On peut gloser la séquence
par la compagnie avait les reins si forts qu'on ne pouvait les lui
casser.... Il en va de même de [17b], l'intensité atteint par
la qualité grand est suffisante pour rendre la
conséquence s'égarer irréelle. Ainsi
perçue la conséquence irréelle dans ces exemples sont
semblables à la conséquence négative. On ne sait pas s'il
en va de même avec le groupe prépositionnel.
2.2.
Le groupe prépositionnel
La notion de conséquence irréelle est si
délicate à cerner que, devant certains cas introduits par la
préposition, l'interprétation n'est pas du tout aisée.
Voyons les exemples suivants :
18a. Ce pauvre diable d'ouvrier, perdu sur les routes,
l'intéressait. Lorsqu'il le quitta, il dit aux autres :
« Hein ! on pourrait être comme
ça...Faut pas se plaindre, tous n'ont pas du travail à
crever. » (Ge, p30)
18b. Négrel, énervé, dit très
haut au surveillant :
« Mais faites-les donc taire ! C'est
à mourir de chagrin. Nous ne les avons pas, les
noms. » (Ge, p450) ;
En définissant la conséquence
réelle comme celle qui s'est effectivement déroulée, il
est difficile de percevoir comme nous le dit Mauger (1968 : 329) une
conséquence réelle dans ces occurrences. En effet, à
crever de [18a], conséquence de la cause travail n'est
pas, à notre humble avis, présentée comme effective, ou
même éventuelle. Il en est de même pour [18b], à
mourir conséquence de chagrin. On a tendance à
prendre ces suites (à crever et à mourir) comme
des locutions verbales qui expriment une figure de style, en l'occurrence
l'hyperbole. Alors, le locuteur affirme-t-il que l'intensité du travail
est capable de provoquer le fait crever ? Or, comme le dit
Moignet (1981 : 65) l'infinitif donne une image du temps en pur
accomplissement, sans rien en elle d'accompli, et que designer un
verbe par sa forme d'infinitif n'est pas une convention sans fondement ;
c'est utiliser, pertinement (sic), la forme qui inaugure le verbe et contient
en puissance la totalité du défilé de ses formes. En
somme dans le discours donc, au moment de l'énonciation, le locuteur
fait de ce verbe à l'infinitif ce qu'il veut. Il peut décider de
conserver la forme infinitive. Tout dépend de ce qu'il veut exprimer.
C'est la raison pour laquelle les énoncés supra ne sont pas
faciles à interpréter. Chaque sens est possible :
l'éventualité, l'irréalité et la
réalité. Autant de raisons qui ne militent pas en faveur d'une
décision. L'infinitif est donc une forme mitigée qui permet au
locuteur de camoufler ses pensées.
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