1.1.2. Les marqueurs de consécution factuelle
Les marqueurs de conséquence factuelle sont ceux qui
expriment un lien de cause à effet entre deux faits auxquels
réfèrent les énoncés, et ne peuvent pas être
utilisés pour marquer une inférence. Il en existe deux
catégories : les marqueurs qui expriment la conséquence par
l'intensité et ceux qui expriment la conséquence par la
manière.
1.1.2.1. L'expression de la conséquence par
l'intensité
Parler de l'expression de la conséquence par
l'intensité revient à admettre que l'accomplissement de la
conséquence est tributaire de l'atteinte d'une certaine
intensité. Ce seuil est considéré comme le degré de
force, de tension ou d'activité. En grammaire, il est exprimé par
des adverbes d'intensité. Il désigne le degré plus ou
moins haut qu'atteint une qualité, un état, un sentiment, etc.
C'est pourquoi Riegel et alii (1996 :361) relèvent que dans son
organisation de la réalité, le français distingue deux
échelles, selon que la variation est considérée en
elle-même ou en rapport avec un élément
extérieur. L'approche énonciative présente les
adverbes intensifs comme ceux qui montrent que l'avènement de la
conséquence est conditionné par l'atteinte d'une certaine
intensité. Sur le plan sémantique, Romero (2005 :2) pense
que l'intensité d'un phénomène X se définit
comme la différence ou l'écart entre deux états x1 et x2
relatifs à ce phénomène. Cette définition
parait très abstraite ; néanmoins, nous relevons que
l'écart dont parle l'auteur peut constituer à la fois un
contraste (avec la comparaison par exemple) ou une quantité. C'est sur
l'aspect quantitatif de l'intensité que nous nous attarderons ici. En
fait, pour l'appréhender vraiment, nous revenons à la notion
d'échelle déjà notée par Riegel et alii. Quel que
soit le cas, un groupe de marqueurs, à savoir si...que, tant que,
tellement que à un (tel) point (tel) que, à ce point, à
tel point, au point que, forment les systèmes corrélant
l'intensité et la consécution. Dans ce sens, Hybertie
(1996 :73) reconnaît que
l'énonciateur construit sur le prédicat de
P1 une propriété différentielle, propriété
qui consiste dans le fait qu'une qualité ou un
processus possèdent une intensité telle qu'ils peuvent
être tenus comme une cause efficiente de la conséquence
représentée.
Par ailleurs, l'élément de P1 susceptible
d'être déterminé par l'intensité peut soit
être un verbe, soit un adjectif, soit un autre adverbe ou même un
nom. Dans ce sens, on parle d'incidence, c'est-à-dire que l'adverbe
intensif apporte une précision supplémentaire au mot auquel il
adjoint et on note dans les échantillons suivants :
9a. Lorsqu'il sut qu'on le mariait
enfin, Zacharie se mit à rire si fort
qu'il
en étranglait. (Ge,
p.155) ;
9b. Elle (Flore) avait tant souffert,
qu'un soir, elle s'était cachée,
voulant écrire à la justice. (Lbh. p.301) ;
9c. Elle continuait, jurant, se soulageant, au milieu de la
saleté du ménage, abandonné depuis
si longtemps déjà,
qu'une odeur insupportable s'exhalait du
carreau. (Ge, p 251 ;
9d. J'ai travaillé au fond pendant vingt tans, j'y ai
sué tellement de misère et de fatigue,
que je me suis juré d'obtenir des douceurs
pour les pauvres bougres [...]. (Ge, p 228) ;
9e.Elle (Séverine) devenait farouche, elle l'accusait
d'avoir gâté son existence, à ce point
que la vie était désormais impossible
côte à côte. (Lbh p283).
Dans [9], la relation de cause à conséquence
établie par les marqueurs est présentée comme une
condition déterminée par l'atteinte d'un niveau
d'intensité conduisant à la réalisation du processus de
cause à effet. Le processus représenté dans P1
(fort) représenté dans [9a] doit connaître un
accroissement quantitatif pour permettre la réalisation de l'effet
projeté dans P2 : il en étranglait. Voilà
pourquoi Hybertie (1996 :75) déclare que
la valeur propre des systèmes qui corrèlent
intensité et consécution est donc d'exprimer que la relation
consécutive n'est pas validée pour toute occurrence de P1, mais
seulement pour une sous-classe d'occurrence du prédicat.
[9a] exprime l'attitude de Zacharie, jeune mineur, dont
l'annonce de son mariage réjouit. Toutefois, dans l'univers habituel, il
est difficile de penser que le fait de rire puisse être la
cause du fait que l'on s'étrangle, même la force liée au
fait n'est pas suffisante pour déclencher la conséquence. Ainsi,
la relation prédicative, étrangler pour avoir ri fort ne
s'explique que si on adjoint à l'assertion de la qualité fort
une notion d'intensité, notion qui rend compréhensible et
réalisable la conséquence. Ainsi, l'emploi de l'adverbe
d'intensité si se présente comme devant atteindre un
certain seuil, une certaine échelle pour déclencher la
conséquence. Cette analyse est valable pour tous ces adverbes. Parlant
d'échelle, Romero (op cit:2) dit qu'il s'agit d'un ensemble
d'éléments totalement ordonnés dont un plus
petit. Les adverbes si, tellement, tant,
à ce point que, etc. renforcent l'assertion de P2 et lui donnent un
caractère objectif. En deçà de cette échelle que
représente cette intensité, l'interprétation de ces
énoncés sera différente comme il est question en
[9'] :
9a'. Lorsqu'il sut qu'on le mariait enfin, Zacharie se mit
à rire fort, il en
étranglait ;
9b'. Elle (Flore) avait souffert, un soir, elle
s'était caché, voulant écrire à la justice
;
9c'. Elle continuait, jurant, se soulageant, au milieu de la
saleté du ménage, abandonné depuis longtemps
déjà, une odeur insupportable s'exhalait du
carreau ;
9d'. J'ai travaillé au fond pendant vingt tans / ans / ,
j'y ai sué de misère et de fatigue, je me suis juré
d'obtenir des douceurs pour les pauvres bougres ;
9e'. Elle (Séverine) devenait farouche, elle l'accusait
d'avoir gâté son
existence, la vie était désormais
impossible côte à côte.
Les énoncés sont juxtaposés.
L'intensité est au degré zéro. On pourrait voir en cette
disposition une addition qui favorise la description des faits. La
conséquence devient ici inférentielle, car c'est par un calcul
interprétatif que l'allocutaire doit la déduire. Aucune condition
n'est à remplir pour que le fait conséquence se réalise ou
soit validée si ce n'est celle de la relation primitive de
causalité. L'absence du marqueur de l'intensité atténue la
force argumentative et ôte à l'énonciation les effets
pragmatiques escomptés. Pour ce faire, au sujet de la présence
des adverbes intensifs dans l'énoncé, Roméro (2005 :
5) déclare qu'ils servent à introduire une conséquence
qui, de par sa nature, est à même d'augmenter la force assertive
que l'on veut donner à la cause, [...]. L'effet pragmatique que
vise le locuteur se situe donc au niveau de cette force, qui est une condition
à la réalisation de la conséquence voulue.
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