1.1.1.4. Le marqueur aussi
Pour le dictionnaire Latin-Français (1959 : 34,
618), aussi vient du latin aliud qui signifie
autre chose et de sic : ainsi. Dans ses divers
emplois, il connaît plusieurs acceptions. Il sert par exemple
à indiquer la répartition d'un fait semblable ou d'une
éventualité envisagée et peut signifier
pareillement. En corrélation avec la conjonction que,
il sert à exprimer la comparaison ou la concession selon le cas.
Comme adverbe conjonctif, il peut permettre d'indiquer que ce
qui va être annoncé représente la conséquence de ce
qui vient d'être annoncé. Comme connecteur consécutif, il
sert à introduire l'énonciation d'une conséquence comme
nous le relevons dans les occurrences suivantes :
8a. Comme il le disait, il fallait des
vérités ; aussi voulut-il,
[...], procéder à une perquisition nouvelle, [...] (Lbh.
P361) ;
8b. [...] dans notre position, nous avons besoin d'eux. Ce
n'est guère adroit de refuser leurs politesses ; [..].
Aussi n'ai-je cessé de te pousser à
accepter [...] (Lbh. P162) ;
8c. Il fallait au plus vite couper le membre gangrené.
Aussi, de nouveau, défilèrent dans le
cabinet du juge le personnel de la gare du Havre (Lbh. p369) ;
8d. Elle (Flore) connaissait chaque recoin du pays ; elle
défiait bien dès lors les gendarmes de la prendre si on se
lançait à sa poursuite. Aussi
cessa-t-elle brusquement de courir, [...] (Lbh p322).
Comme avec les autres connecteurs (donc, alors,
ainsi), avec aussi, on est en présence de deux
énoncés qui se suivent : P1 et P2 reliés par une
relation de causalité où P1 exprime la cause et P2 l'effet. En
structurant le discours, ce connecteur ne reprend ni le contenu de P1 comme
donc, ni la situation temporelle comme alors. Il n'assure pas
non plus une reprise comme c'est le cas de ainsi. Sa valeur
anaphorique permet tout simplement de référer P2 par rapport
à P1 en établissant une relation avec une valeur
consécutive.
En effet, dans [8a] par exemple, le locuteur commente la
réflexion d'un vieux policer à la retraite, à qui on vient
de confier les enquêtes d'une affaire criminelle dont les
présumés coupables sont dans sa localité.
L'énonciation de P1 : il fallait des vérités
est la raison de l'énonciation de P2 : voulut-il, [...],
procéder à une perquisition nouvelle. Comme indicateur de P2
par rapport à P1, le connecteur n'accomplit pas un mouvement de
raisonnement au terme duquel il pose la conséquence ou la conclusion
d'un énoncé. En d'autres termes, pour que aussi soit
perçu comme connecteur inférentiel au même titre que
donc et alors, il faut que ce connecteur exprime un
raisonnement au terme duquel il pose une conclusion ou une conséquence.
Il additionne par contre les informations qu'il met en relation ; c'est ce
qui justifie l'inversion du sujet dans la plupart de nos occurrences. En fait,
cette inversion fait intervenir un sujet clitique qui rend plus neutre
l'assertion, surtout lorsqu'il est à la troisième personne. En
revanche, dans l'énoncé [8b], le sujet parlant est
représenté par le déictique je, donc le
référent normalement est Séverine, l'épouse de
tu (Roubeau), cependant, le locuteur présente les faits comme
une succession de raisons qui va rendre vital l'énonciation qu'introduit
aussi. Ainsi, l'énonciation de n'ai-je cessé de te
pousser à accepter apparaît comme un ajout d'information
à celle émise dans P1 : Ce n'est guère adroit de
refuser leurs politesses. Avec aussi, la structure
argumentative des énoncés amène les
évènements ou les états de chose décrits ou
présentés à établir la vérité de la
relation. C'est pourquoi, déclare Hybertie (1996 :57),
grâce à une connaissance sur le monde, et
plus précisément sur un état particulier du monde, on dit
que le fait exprimé dans P1 entraîne le fait exprimé dans
P2, que l'on ne peut poser l'un sans poser l'autre, parce que tels sont les
faits, tel est l'ordre des choses. [...], l'énonciateur se soumet
à l'ordre réel des faits, sans prendre en charge la relation
consécutive établie, ni même l'assertion de P2 ; tout
se passe ici comme si c'étaient les faits eux-mêmes qui validaient
l'une et l'autre, avec pour conséquence, l'inversion du sujet, non
obligatoire, [d'ailleurs].
Toutefois, au sujet de la valeur d'adjonction du connecteur
aussi, Medina (2001 :189), déclare:
La ausencia de estos operadores origina un sentido
puramente aditivo en les secuencias A, B. La presencia, en cambio, impone la
interpretación de B como explicación de A. La diferencia entre
ausencia y presencia representa une oposición entre une función
de adición y une función de explicación.
(l'absence de ces opérateurs est à l'origine du
sens additif dans les séquences A, B (P1 et P2 dans notre étude).
Leur présence, au contraire, impose l'interprétation de B comme
explication de A. La différence entre absence et présence
représente une opposition entre une fonction d'addition et une fonction
d'explication).
Pour Medina, on ne saurait parler d'une simple addition en ce
qui concerne un connecteur. Son absence dans un énoncé permet une
interprétation nettement différente de l'énoncé
dont la présence est marquée. De ce fait, dans [8'] :
8a'.Comme il le disait, il fallait des
vérités ; il voulut, [...], procéder à une
perquisition nouvelle, [...];
8b'. [...] dans notre position, nous avons besoin d'eux. Ce
n'est guère adroit de refuser leurs politesses ; [..]. je n'ai
cessé de te pousser à accepter [...]
8c'. Il fallait au plus vite couper le membre gangrené.
Les personnels de la gare de Havre défilèrent .... ;
8d'.Elle (Flore) connaissait chaque recoin du pays ; elle
défiait bien dès lors les gendarmes de la prendre si on se
lançait à sa poursuite. Elle cessa brusquement de
courir.
L'absence de aussi permet de voir en ces
énoncés juxtaposés, une simple addition. Alors qu'avec la
présence du connecteur, P2 apparaît comme une explication de
P1. On note de ce fait que la notion d'explication dans l'expression de la
conséquence n'est pas facile à détecter comme dans
l'expression de la cause. En effet, Charaudeau (1992 :539) définit
l'explication causale comme un mouvement de pensée qui part de A2
pour remonter à son origine, c'est-à-dire A1. A2 sert à
expliquer A1 et se met en relation de subordination causale avec A1.
Ainsi, l'existence de A1 représente le point de départ de A2.
Cette relation est introduite par parce que et ses synonymes pour
ce que, de ce que, du fait que, etc. Ces outils de subordination
introduisent une cause simple et établit une relation de cause à
effet dans une phrase où la base est l'effet et le complément la
cause. Il se dégage un constat réel : dans l'expression de
la conséquence, il n'est pas dit que tel ou tel autre connecteur
exprime l'explication, on réalise qu'il faut, à chaque moment, se
référer au contexte d'emploi pour tirer des valeurs qui peuvent
changer d'un emploi à l'autre. D'ailleurs, Médina affirme qu'il
est difficile de montrer l'existence d'un sens naturel aux connecteurs.
C'est-à-dire un sens non contextuel, qui ne dépend pas de la
situation du discours. Cela est la preuve que, pour une analyse pertinente des
connecteurs, il faut prendre en compte le contexte d'émission du
discours.
Dans l'ensemble donc, l'on constate que les connecteurs
inférentiels renforcent l'argumentation du locuteur et lui permet
d'orienter la conclusion à tirer. Ainsi avec donc et
aussi, la conclusion peut être explicative ou
justificative ; alors quant à lui annonce une conclusion
prévisible, tandis que ainsi présente le point de vue du
locuteur. Toutefois, malgré ces diverses nuances liées à
la visée discursive, ces connecteurs expriment également une
conséquence factuelle.
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