1.1.1.3. Le Connecteur ainsi
L'adverbe ainsi connaît plusieurs acceptions. Il sert
tantôt à reprendre ce qui vient d'être dit tantôt
à introduire ce qui va être dit. Dans ce cas, il signifie:
de cette manière. Il sert aussi à introduire une
conclusion et entre de ce fait dans la catégorie des marqueurs de
consécution au même titre que par conséquent, aussi,
alors, donc. Plus précisément, Hybertie (1996 : 44)
note qu'il marque une opération de repérage, soit contextuel,
soit énonciatif, et indique la conformité avec ce qui vient
d'être dit [ou va être dit], ou alors ce que l'on constate dans la
situation d'énonciation. Cependant, nous nous attarderons sur
l'étude de ainsi consécutif. Dans les emplois
consécutifs, ainsi n'est pas paraphrasable par de cette
manière, mais par pour cette raison comme le montrent ces
énoncés :
6a. Je n'ai pas non plus l'optimisme de mon oncle, reprit-il.
Je crains de graves désordres... Ainsi,
monsieur Grégoire, je vous conseille de verrouiller la Piolaine.
On pourrait vous piller. (Ge, p 202) ;
6b. Lorsque les Maheu et les autres avaient
digéré trop vite leur soupe d'eau claire, ils montaient
ainsi dans un demi vertige, l'extase d'une vie
meilleure qui jetait les martyrs aux bêtes. (Ge, p 218) ;
6c. Le parti le plus sage, quand on ne voulait pas se casser
le nez, c'était de marcher droit, [...].
Ainsi, lui se faisait fort, s'il s'en occupait,
d'amener la Compagnie à des meilleurs sentiments ; [...] (Ge,
p 229) ;
6d. Oh ! Moi, je comprends ces sentiments... Mais un coup
d'oeil lui a suffit, il s'est conduit en homme du
monde...Ainsi, ne t'inquiète plus,
tout est fini, il va tranquilliser ta maman (Na, p.306).
Dans [6a], il est question de la grève des
mineurs ; les bourgeois sont menacés ; P1 : je crains
de graves désordres et P2 : je vous conseille de
verrouiller la Piolaine ont un même énonciateur qui analyse
une situation et donne son point de vue. Le connecteur ainsi, en
attaque du deuxième énoncé, n'établit pas qu'une
connexion directe avec l'énoncé précédent comme on
peut le croire ; il reprend l'état de chose décrit dans
P1 pour donner une orientation à P2. Tout en
structurant le discours, le connecteur ainsi crée plutôt
une relation d'identification entre les termes qu'il met en relation. Le
rapport de causalité n'est donc pas justifié par la
présence de ce marqueur, même s'il est relevé que les
évènements qu'il met en relation dans des énoncés
entretiennent entre eux des rapports de cause à conséquence au
niveau factuel. Son rôle ne consiste pas véritablement à
introduire la conséquence d'un fait mais, surtout, nous le pensons,
à présenter le jugement de l'énonciateur des faits ;
jugement qui apparaît comme la preuve de l'énonciation. A ce
sujet, on peut dire que l'acte illocutoire, qui est celui de conseiller, est
issu de l'évaluation que le locuteur se fait de la situation
d'écrite dans P1. En revanche, ce qui permet de voir la causalité
entre ces deux énoncés, c'est le fait de verrouiller la
Piolaine qui est la conséquence de la grève que craint
Négrel, neveux de M. Hennebeau. Cette observation permet de nuancer la
position de Le Bidois (1971 : 246) qui souligne que
ainsi se révèle on ne plus voisin
pour le sens de donc de conséquence. L'affinité
sémantique qu'il y a entre les deux mots fait qu'on les unit
volontiers. Pourtant, dans l'énoncé [7]
ci-dessous :
Tiens ! c'est toi, dit-il en reconnaissant la Mouquette.
Aide-moi donc, il faudrait lui faire boire quelque
chose. (Ge. P243).
La Mouquette doit aider Etienne à réanimer une
vieille femme qui a perdu connaissance des suites des affres de la famine.
Etienne avait besoin de quelqu'un pour l'aider dans cette tâche et
à ce moment arrive la Mouquette, une charbonnière que le locuteur
(Etienne) connaît bien, d'où l'énonciation de [7]. D'une
part, la vue de la Mouquette provoque chez Etienne un raisonnement logique du
genre « j'ai besoin d'une aide et ta présence me permet de
l'avoir ». L'emploi de donc lui permet de renforcer son
assertion et de présenter sa conclusion comme nécessaire. Le
rapport de cause à conséquence dans ce cas est un rapport de
différenciation. En effet, donc ne reprend pas, comme le fait
ainsi, le fait décrit en P1 d'où s'origine P2, mais
c'est le contenu propositionnel de P1 qui conditionne l'inférence d'un
autre fait P2 (distinct de celui de P1), qui est cependant la
conséquence de P1. Le rapport de différenciation est donc une
qualité inhérente à la causalité. C'est pourquoi la
commutation par ainsi n'est pas possible comme on peut le constater
dans [7*]
Tiens ! c'est toi, dit-il en reconnaissant la Mouquette.
Aide-moi ainsi, il faudrait lui faire boire quelque
chose
Ceci permet de tirer avec Hybertie (1996 :49) la
conclusion selon laquelle le marqueur ainsi joue plus un rôle de
cohésion discursive en tant que marqueur d'opération d'anaphore,
en assurant la reprise de la cause ou de la raison de P2, et non celui d'un
connecteur logique. Cette observation nous permet de nous interroger sur le
lien entre ainsi et alors, également anaphorique.
Comme présenté supra, alors anaphorique
joue également un rôle de connecteur entre deux propositions. Il
ne reprend pas, à la manière de ainsi, un
élément du contenu de P1, mais la situation pour laquelle P1 est
validée et qui permet d'envisager la validation de P2. Aussi alors
est-il à la fois anaphore et connecteur tandis que ainsi
n'est qu'un marqueur anaphorique. La valeur anaphorique de alors est
disjonctive alors que celle de ainsi est assimilative. Dans la
même optique, nous en venons à l'étude du connecteur
aussi.
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