1.1.1.2.2. La valeur consécutive
Le connecteur alors, dans son emploi
consécutif, exprime une relation de cause à conséquence
entre deux évènements, ou entre deux énonciations :
le moment de l'énonciation de x étant déterminant
du moment de l'énonciation de y qui précède. Cela
est illustré par des exemples ci-dessous :
5a. Une pluie rouge rayait les ténèbres, la
plaie de la gorge, [...], baillait comme une entaille faite à la hache.
Alors, il ne lutta plus [...] (Lbh,
p258).
5b. Les Tuileries se scandalisaient de la conduite du
chambellan, depuis qu'il s'affichait.
Alors, [...], il venait de rompre. (Na,
p.338) ;
5c. - Qu'as-tu ce matin ? [...]
- Ma mère est morte hier soir, [...]
- Oh ! ma pauvre Flore ! il fallait s'y attendre
depuis longtemps, mais c'est si dur tout de même !
Alors, elle est là, je peux la voir,
[...] (Lbh, p308) ;
5d- Ecoute donc, c'est une lettre qu'elle a dû trouver
dans la poche de Fauchery, une lettre écrite à cette rosse de
Fauchery par la comtesse Muffat. Et, dame ! Là-dedans, c'est clair,
ça y est en plein... Alors, Rose veut
envoyer la lettre au comte, pour se venger de lui et de toi. (Na,
p.340)
L'énoncé [5a] n'a pas de repère temporel
dans l'énoncé antérieur. Alors qui pourtant
signifie à ce moment là, n'est plus uniquement la
marque d'une simultanéité réduite entre les
évènements décrits dans les deux
énoncés. En effet, ils n'ont pas un déroulement
strictement contemporain l'un de l'autre. Ce marqueur met aussi en relation
deux étapes d'un déroulement temporel et dérive vers une
consécution, dans le sens d'une succession d'évènements,
sans que cette succession soit simple comme c'est souvent le cas de
puis et ensuite. Avec ces marqueurs, la seule relation entre
les évènements est celle de se succéder dans la
durée. En [5a], Roubeaud lutte avec son beau-père et rival, le
premier a réussi à assassiner le second ; le décor
tel que décrit dans x : Une pluie rouge rayait les
ténèbres, la plaie de la gorge [...] baillait comme une entaille,
à l'heure-là, la victime cessa de lutter. Le rapport
logico-sémantique est celui de la conséquence. Le premier
évènement provoque le second qui est le résultat du
premier. Avec alors, ce résultat est même
prévisible, souhaité, attendu. Pendant la lutte, Roubeaud tranche
le cou de son rival pour le mettre hors de course. Ce rôle ne peut pas
être assumé par puis ou ensuite comme nous le
constatons dans
5a*. Une pluie rouge rayait les ténèbres, la
plaie de la gorge, démesurée, baillait comme une entaille faite
à la hache. Puis/ensuite, il ne lutta plus
Il n'y a pas seulement eu un premier évènement
suivi d'un second comme semble le faire croire ces deux marqueurs, mais
l'état de chose en P1 (premier énoncé) est cause de
l'état de chose en P2 (deuxième énoncé). Ceci
amène Hybertie (1996 :25) à noter que
alors construit une
séquence d'évènements temporellement ordonnés. Il
indique que les états de choses exprimés respectivement en P1 et
P2 sont ordonnés selon un ordre de succession temporelle qui est
lié à un ordre logique de déroulement des faits, faisant
apparaître le premier comme la condition de la réalisation du
second.
Ainsi, lorsque alors marque une relation de cause
à effet entre les faits comme [5a], il peut être
paraphrasé, selon Hybertie (op cit: 29), par de ce fait, en
conséquence, si bien que, etc.
Pour ce qui est de [5b], alors marque une relation de
cause à effet entre des états inférentiels, donc de
l'information donnée dans l'expérience du sujet parlant en P1
(Les Tuileries se scandalisaient de la conduite du chambellan), il
déduit la conséquence P2 (il venait de rompre). P1 et P2
représentent deux états des choses : le premier exprime une
situation, une attitude, une condition qui permet d'envisager la validation de
l'état des choses dans P2. Dans le cas de l'inférence, le fait
qu'un état de chose soit réalisé entraîne
l'énonciation de P2 et sa validation. Il (alors) peut
être paraphrasé par dans ce cas.
En ce qui concerne l'énoncé [5c], le connecteur
apparaît en situation interdiscursive, c'est-à-dire, entre deux
énonciations. En effet, il est question d'un dialogue entre Flore dont
la maman est décédée la veille de la conversation et son
cousin Jacques qui est mécanicien du train Express. Alors est
paraphrasé dans cet emploi par dans ces conditions. Il
présente l'énonciation de P2 : elle est là, je
peux la voir, comme découlant, de manière légitime,
de l'énonciation de P1 : Ma mère est morte hier
soir. Pour mieux exprimer cette relation, l'énonciation de P2 et
l'acte illocutoire qu'elle réalise, affirme Hybertie (op.cit. :
31), apparaît comme la conséquence de l'énonciation au
cours de laquelle P1 est présentée comme assertée.
Ainsi, l'énonciation de P1 constitue les conditions qui rendent P2
énonciable, de là peut naître la glose suivante :
maintenant que tu m'apprends le décès de ta mère, je
peux te dire que je monte la voir. Le fait qu'il y ait eu assertion de P1
constitue la condition qui permet d'énoncer P2. D'ailleurs, en
affirmant à Jacques que sa mère est morte, Flore, le locuteur de
l'assertion s'attend effectivement à ce que celui-ci aille voir le
corps, vu le type de lien qui existe entre eux. Cette réflexion est
valable pour [5d]. L'inférence que alors introduit
présente une situation prévisible que le locuteur de P1,
énonce lui-même. La construction du discours ou
schématisation selon Grize (1982) cité par Chanet (2001 :44)
est un simulacre de l'image du monde qu'il note Im(M),
c'est-à-dire que
alors signale que l'état
de la schématisation, et particulièrement l'état de Im(M),
permet, aux yeux de L (locuteur), la réalisation d'une certaine
action/opération discursive signalée comme une conséquence
possible de cet état de Im(M).
Le concept image du monde représente
l'activité discursive de reconstruction que les interactants se font,
c'est-à-dire que, chacun d'eux élabore sa propre
représentation de ce qui se passe dans le discours. Mais comme c'est le
locuteur qui oriente le premier la conversation, il met des indices ou des
informations qui favorisent la conclusion ou la conséquence à
tirer soit par lui-même, soit par l'autre. A titre d'exemple, [5c]
fournit les indices de temps (ce matin et hier soir) tandis
que [5d] insinue une relation sous-jacente à l'énonciation, il
s'agit de la situation de rivalité qui existe entre deux femmes du
monde : Rose et Nana. Ces femmes se disputent et les amants et la gloire.
Alors, Rose qui vient de perdre son amant, le comte Muffat, arraché par
Nana, et qui a découvert une lettre écrite à Fauchery par
la comtesse Muffat, veut l'envoyer au comte pour se venger et de lui, et de sa
rivale. Cette schématisation de l'histoire permet de percevoir
alors, qui introduit P2, comme le signe d'une conséquence
voulue. Le locuteur, qui n'est autre que le mari de Rose, donc qui
maîtrise bien le drame, sait que sa femme veut expédier la lettre
dans le but de se venger. Cette image du monde, bien connue du locuteur, lui
permet de tirer une conclusion, surtout que alors, admet Riegel et
alii (1996 :621), indique en outre que cette conclusion est
prévisible.
En conséquence, on constate que, tout en
établissant un lien de cause à conséquence, alors
conserve toutefois sa valeur première qui est la valeur
temporelle ; en fait, dans l'enchaînement discursif, la relation
temporelle est celle autour de laquelle l'énonciation d'un fait est
possible, c'est-à-dire la condition ou la situation qui permet
d'envisager la validation du second état de chose est tributaire du
temps à partir duquel le premier évènement est
validé. Néanmoins, alors présente le second fait
comme prévisible alors que donc le présente comme
nécessaire.
|