1.1.1.2. Le Marqueur alors
Le mot alors fait partie de la classe des adverbes.
Un adverbe est traditionnellement défini comme un mot invariable capable
d'assumer une fonction dans la phrase. Si la grammaire pense aux fonctions
grammaticales, dans la structuration du discours, alors, comme bien
d'autres adverbes, joue le rôle de connecteur, d'une part, par le lien
qu'il établit entre deux phases d'un même énoncé et,
d'autre part, par la propriété qu'il a d'impliquer une relation
temporelle stable. A ce propos, souligne Nølke (1990 :15),
sont considérés comme connecteurs tous les adverbes temporels
qui associent à la relation temporelle une relation d'un autre type,
logico-pragmatique - une relation de discours. C'est dans ce sens que l'on
peut dire que le marqueur alors établit deux types de rapports
généralement considérés comme ses valeurs :
une valeur temporelle et une valeur consécutive.
1.1.1.2. 1. La valeur temporelle de alors
La valeur temporelle est historiquement perçue comme la
valeur première du marqueur alors. Dans ce sens, il reprend
l'expression temporelle d'une localisation et signifie à ce moment
là, en ce temps là, à cette époque là,
à cette heure là. Nous avons des échantillons dans
les énoncés suivants :
4a. Aussi ne se pardonnait-il pas la bêtise d'avoir dit
autrefois qu'on, devait bannir la politique de la question sociale. Il
(Etienne) ne savait rien alors, et depuis, il avait lu, il
avait étudié. (Ge, p231) ;
4b. Comprenez donc, elle était gamine, pas quatorze ans
encore, quand je suis revenu de là-bas
(prison)...Alors, tout le monde me fuyait.
(Lbh, p153) ;
4c. Il fallut que l'un des cochers leur montrât du bout
de son fouet les ruines de l'ancienne abbaye de Chamont, perdues dans les
arbres : [...]. Vrai, ça ne valait pas la peine de faire deux
heures. Le cocher leur indiqua alors le château dont
le parc commençait près de l'abbaye, [...] (Na, p199).
Dans [4a], deux évènements qui se
suivent sont relatés : le moment où Etienne avait dit
qu'on devait bannir la politique de la question sociale,
c'est-à-dire autrefois, et celui où il avait
lu. Alors reprend de manière anaphorique, le
repère temporel (autrefois) de l'énoncé
antérieur pour en faire le repère temporel de
l'énoncé qu'il introduit. Son emploi dans ce cas est conforme
à sa valeur d'origine qui est la valeur temporelle. Il est
équivalent à à cette époque là,
à ce moment là. La même analyse est valable pour
[4b] où alors reprend un repère temporel qui est
marqué par une structure plus complexe introduite par le marqueur
temporel quand (quand je suis revenu de là-bas) et qui
peut vouloir dire à cette époque là. Dans ces
usages, écrit Hybertie (1996 :24), il (alors) assure une
concomitance stricte entre les deux états de choses décrits dans
l'énoncé, c'est-à-dire les deux sont
présentés comme ayant le même repère temporel, comme
se présentant et se déroulant en même temps.
Avec l'énoncé [4c], par contre, on note
l'absence de tout repère temporel donné dans
l'énoncé antérieur. Le repère temporel subsiste.
Tout laisse penser que alors, utilisé dans ce contexte, a le
même sens que ensuite. Dans ce cas, le connecteur
alors reprend la situation qui valide x pour en faire le
repère de y ; en d'autres termes, dans les emplois
temporels, le repère qui situe l'évènement décrit
dans x devient également le cadre temporel de celui
décrit dans y. Dans [4c] par contre, c'est au moment où
les touristes s'indignent de l'inutilité de leur voyage (x) que
le cocher leur indique le château dont le parc commençait
près de l'abbaye (y), raison de leur
déplacement.
Ainsi, l'emploi temporel de alors présente
deux cas de figure : l'un où l'énoncé
antérieur comporte un repère temporel et celui où il n'en
comporte pas. Toutefois, tout en assurant une relation de succession temporelle
entre les évènements dont il assure la liaison, alors
dans l'énoncé [4c], présente le moment où
l'inquiétude des touristes se manifeste comme celui qui pousse le cocher
à montrer l'objet de curiosité (le château d'abbaye). On
est donc en face de l'évolution sémantique de alors qui
lui permet d'assumer pleinement son rôle de connecteur en introduisant
quelquefois, dans son emploi temporel une nuance logico-sémantique de
conséquence.
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