1. La
conséquence réelle
Ce qui est réel est concret, palpable, évident.
La conséquence réelle est donc celle qui s'est effectivement
produite comme l'illustrent les énoncés ci-après :
1a. [...], jamais les débits n'avaient eu moins de
clients. Aussi Mme Rasseneur, immobile au
comptoir, gardait-elle un silence irrité.
(Ge, p380) ;
1b. Déballée de sa couverture, elle grelottait sous
cette lueur vacillante, d'une maigreur d'oiseau agonisant dans la neige,
si chétive qu'on
ne voyait plus que sa bosse (Ge, p379) ;
1c. Les mioches rentraient avec la faim, ils voulaient manger
[...] et ils grognèrent, se traînèrent, finirent par
écraser les pieds de leur soeur mourante, qui eut un
gémissement (Ge, p378) ;
1d. Mais Etienne, la nuit suivante désespéra de
nouveau. La compagnie
avait les reins trop forts
pour qu'on les lui cassât si
aisément,
(Ge, p362).
La conséquence réelle a cependant deux
caractéristiques : la conséquence réelle attendue et
la conséquence réelle inattendue.
1.1.
La conséquence réelle attendue
Ce qui est attendu est souhaité, calculé,
prévu. On parle de conséquence attendue lorsqu'elle est
sollicitée. Ducrot et alii (1980 :164) parlent de
conséquence voulue. C'est le cas des énoncés [2] :
2a. Le coron des Deux-Cent-Quarante ne devait être
payé que vers quatre heures. Aussi les
hommes ne se pressaient-ils pas, [...]. (Ge, p.169) ;
2b. Mais sa voix se perdit au milieu d'un tumulte
si épouvantable,
qu'il dut quitter de nouveau la
fenêtre, [...].(Ge, p408) ;
2c. Une cage l'attendait, on l'appelait avec colère, en la
menaçant d'une amende. Alors, elle se
décida, elle lui serra la main. (Ge, p498) ;
2d. Dans les estaminets, on se fâchait tout haut, la
colère séchait tellement les gosiers,
que le peut d'argent touché restait sur
les comptoirs. (Ge, p 177).
Ce type de conséquence est introduit par des marqueurs
de relation inférentielle et les marqueurs de conséquence
factuelle.
1.1.1.
Les marqueurs de relation inférentielle
Un marqueur, encore appelé connecteur, est un mot de
liaison qui établit entre les éléments reliés une
relation logique et une nuance de sens. Avec les connecteurs pragmatiques, le
locuteur donne à son propos une orientation argumentative que seul le
contexte permet d'évaluer. A ce sujet, Hybertie (1996 :5) parle, de
marqueurs de raisonnement qu'elle définit comme ceux qui
ont plus spécifiquement pour fonction de mettre en relation les
différents moments d'un raisonnement, qu'il s'agisse ou non d'une
inférence. Et Nølke et Olsen (2000a :47-48) de
schématiser de la sorte : dans la séquence X
donc Y, l'argument véhiculé par Y
est présenté comme la conséquence de X, qui est
trouvée par un raisonnement.
De ce fait, inférer, c'est partir d'un fait pour en
déduire les conclusions. Réboul et Moeschler (1998 : 57)
perçoivent l'inférence comme un processus logique qui,
à partir d'un certain nombre d'informations, connues (les
prémisses), en dérive de nouvelle (la [ou les]
conclusion[s]). L'inférence traduit donc une opération de
pensée qui, à partir d'un fait donné dans
l'expérience du locuteur, permet de déduire l'existence d'un
autre fait non donné dans son expérience. Et les marqueurs de
conséquence inférentielle sont les traces de cette
inférence. Pour Hybertie en tout cas, les connecteurs les plus
utilisés sont : donc, alors, ainsi, aussi, par
conséquent.
1.1.1.1. Le connecteur donc
Initialement perçu par la grammaire comme l'un des sept
conjonctions de coordination, le connecteur donc occupe aujourd'hui
une place de choix dans la construction du discours. En effet,
l'étymologie de donc est riche en informations ; cette
richesse suscite des hypothèses divergentes quant à la
genèse même de ce connecteur. Il est tantôt
dérivé du latin dunc, tantôt de dum. Dans l'un ou l'autre
cas, Hybertie (op cit : 8) tranche en définissant ce marqueur comme
une particule temporelle marquant la simultanéité de deux actions
qui se déroulent. Par ailleurs, l'auteur
signale que cette particule a évolué, et est passée
d'une simultanéité constatée à l'expression d'une
causalité considérée comme existant en
dehors du discours qui la représente, et sur laquelle se fonde la
relation établie en discours. En guise d'exemple,
dans les énoncés [3] ci-après:
3a. Des camarades, les premiers, étaient sortis ;
il n'y avait donc
pas d'échelles cassées (Ge, p
302) ;
3b. C'est qu'il y a d'ennuyeux, dans ces machines-là,
c'est que ce
sont toujours les mêmes femmes...Il faudrait du
nouveau.
Tachez donc d'en inviter une.
(Na, p238) ;
3c. Des éboulements menaçaient partout, les voies
avaient tellement
souffert, qu'il fallait raccommoder les
boisages sur des longueurs de
plusieurs centaines de mètres.
En bas, on formait donc des équipes
de dix hommes, chacune sous la conduite
d'un porion ; (Ge, p442).
En [3a], le connecteur donc exprime une relation de
causalité entre les faits être sortis et n'avoir pas
d'échelles cassées. Parlant des valeurs des connecteurs dans
les énoncés, Medina (2001 :192) reconnaît que les
instructions procédurales, c'est-à-dire, l'emploi en contexte des
connecteurs consécutifs comme donc, en conséquence, par
conséquent provoque deux types d'informations. Il déclare
à cet effet :
1) dados dos enunciados, A, B, el enlace presenta B como
implicación de A (A>B) ; y 2) la relación A>B como
relación de presupuesta.
(entre deux énoncés donnés A, B,
le connecteur présente B comme la déduction de A (A>B) ;
et 2) la relation A>B comme la relation préconstruite).
Ce que Medina note A>B est une relation de cause à
effet, où A représente la cause (ou prémisse, origine,
source, évènement) et B, l'effet ou la conclusion que l'on tire
de A. Ainsi, l'énoncé [3a], présente A : Des
camarades, les premiers, étaient sortis comme origine de
l'évènement énoncé en B : il n'y avait pas
d'échelles cassées. La relation consécutive
s'établit donc entre deux termes orientés, où l'un sert
d'argument, c'est-à-dire l'acte subordonné, et l'autre la
conclusion, ou acte directeur introduit par le connecteur. A propos de l'acte
directeur, il s'agit de l'information essentielle qui motive
l'énonciation de B. Dans le cas précis, étant dans la
fosse (les mines), il est évident que si les échelles qui
assurent la liaison entre le monde souterrain et l'extérieur se cassent,
la sortie de la fosse est quasi impossible. En conséquence, il peut ne
pas s'agir ici de donner l'information selon laquelle les camarades sont
sortis, mais également de chercher à dissiper les
inquiétudes de ceux qui sont encore dans la fosse et qui s'interrogent
sur leur sort. Le connecteur permet alors d'établir la relation de
concomitance préconstruite entre les deux faits qui sont décrits.
De ce fait, on interfère la conséquence y non
donnée dans l'expérience du sujet de la cause x. Le
locuteur présente les arguments de sorte que la conséquence soit
justifiée par l'argument de x. Ainsi, en [3a], le connecteur
donc ne dit pas seulement qu'un fait x a produit ou
causé un autre fait y, mais que x et y
correspondent, et donc permet de légitimer la validation de
y (n'avoir pas d'échelles cassées) à partir du
moment où x (être sortis) est elle-même
validée. La sortie des camarades de la fosse se présente comme
une évidence l'assertion de il n'y a pas d'échelles
cassées. L'énoncé peut être modulée de
la manière suivante : x j'affirme que y. Aussi, dans la
réalisation des deux mouvements argumentatifs qui donnent lieu à
une relation d'implication, la vérité de y est-elle
rendue incontestable, parce qu'elle est suggérée par celle de x
qui est censée être déjà acceptée.
En établissant donc une relation logique de cause
à effet, le connecteur donc permet au locuteur de
présenter les prémisses comme vrai et, déclare
Rossari (1996 :271), de prétendre à
l'objectivité que garantit le mouvement consécutif en
tant que procédure argumentative. Soulignons que l'auteur parle de
prétention à l'objectivité et non de certitude de
l'objectivité. Il s'agit donc d'une aspiration du locuteur à la
vérité de son propos. Cela justifie l'emploi de donc
qui vient renforcer l'acte illocutoire d'assertion et guide le
co-énonciateur dans l'inférence de y. La relation
x donc y ne concerne plus la stricte
causalité, l'enchaînement qu'établit le connecteur donc
exprimant la logique argumentative qui impose de voir en la conclusion
y l'explication de x en [3a et 3c] et sa
nécessité en [3b]. Comme marqueur d'explication,
donc peut être commuté par de ce fait, par
conséquent, voilà pourquoi, c'est pourquoi. Dans la
perspective de l'utilisation du même cadre d'analyse, que
révèle l'emploi de alors ?
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