3.2.4.
L'argumentation
L'argumentation est l'action d'argumenter et
argumenter, c'est vouloir convaincre, persuader, ou délibérer. Si
argumenter consiste à soutenir ou à contester une opinion, cette
tentative vise aussi dans le même temps à agir sur le destinataire
en cherchant à le convaincre ou à le persuader. Cela permet
d'affirmer que l'argumentation tire sa substance de la rhétorique de la
Grèce antique. Pour ce faire Blanchet (1995 :9-10) constate qu'il
existe le principe de réalité agissante au coeur de la
pragmatique qui constitue un mode d'approche des phénomènes. Ce
qui fait des premiers rhétoriciens des pragmaticiens. En effet, pour
Blanchet, ils abordèrent depuis Platon et Aristote jusqu'à
Sénèque, Cicéron et Quintilien un modèle classique
fondé sur la connaissance des passions et des moeurs. Pour ces
anciens, le discours ne s'adresse pas un être humain abstrait, amorphe,
réduit à l'état de sujet partageant le code linguistique
de son interlocuteur, mais à un homme réel capable de
faculté de jugement. La rhétorique décrit et explique les
modalités selon lesquelles un discours oral ou écrit tente d'agir
sur le public. La rhétorique décrit et explique les
modalités selon lesquelles un discours oral ou écrit tente d'agir
sur le public. Pour Amossy (op. cit : 3), la rhétorique
conçue par Aristote
apparaît comme une parole destinée à
un auditoire qu'elle tente d'influencer en lui soumettant des positions
susceptibles de lui paraître raisonnable. Elle s'exerce dans tous les
domaines humains où il s'agit d'adopter une opinion, de prendre une
décision, et non sur la base de quelque vérité absolue
nécessairement hors de portée, mais se fondant sur ce qui est
plausible.
En d'autres termes, toute étude sur l'argumentation
s'interroge sur la nature des moyens que mobilise l'orateur pour persuader son
auditeur. Mais avant toute chose il est utile de voir ce que pensent les
théoriciens de l'argumentation.
Pour Grice (1979) l'argumentation est définie
schématiquement. Elle est perçu par l'auteur comme un ensemble
des stratégies discursives d'un orateur A qui s'adresse à un
auditeur B en vue de modifier, dans un sens donné, le jugement de B dans
une situation S. Perelman (1977 :23) pense que par
l'argumentation le locuteur veut provoquer ou accroître l'adhésion
des esprits aux thèses qu'il présente. Reprenant Saint Augustin
(1887 :13), Perelman note que l'auditeur ne sera persuadé que
s'il est conduit par vos promesses et effrayé par
vos menaces, s'il rejette ce que vous condamnez et embrasse ce que vous
recommandez ; s'il se lamente devant ce que vous présentez comme
lamentable, et se réjouisse de ce vous présentez comme
réjouissant ; [...].
En conséquence, pour parvenir à ce
résultat, il faut mettre en oeuvre un ensemble de procédés
discursifs que nous nous proposons d'étudier. L'approche discursive est
toutefois contestée par Anscombre et Ducrot (1988 :8) pour qui
un locuteur fait une argumentation lorsqu'il présente un
énoncé E1 [...] destiné à en faire admettre un
autre E2. La structuration de l'énoncé (E1 vers E2) passe
par plusieurs types de relations selon que le locuteur sollicite ou non
l'emploi d'un connecteur. Dans le premier cas, l'analyse des différents
procédés de marquage et d'articulation renvoie essentiellement
à l'étude de l'emploi des connecteurs argumentatifs, qui
représentent dans notre étude les formes morphologiques de la
conséquence. Les auteurs pensent que l'argumentation n'est pas un
ensemble de stratégies verbales visant à persuader ; elle
consiste donc en une relation entre un ou des arguments et une conclusion.
Ainsi perçue, le terme conclusion recouvre plusieurs valeurs :
conséquence, résultat, résumé, finalité,
etc. De toutes les façons, ces auteurs prennent l'argumentation pour un
fait de langue et non un fait de discours ; cela peut se justifier par le
fait qu'ils sont les partisans de la pragmatique sémantique.
L'argumentation est donc nécessaire, voire
indispensable en pragmatique dans la mesure où elle n'utilise pas
seulement des arguments logiques validés, mais aussi des
procédés rhétoriques dans le but de persuader. En plus, si
la pragmatique est la science qui étudie le langage en situation et en
action, alors il devient évident qu'elle ne peut se passer de
l'argumentation au cours de ses réflexions multiples sur les
interactions conversationnelles dans leurs contextes. En effet, qu'il s'agisse
d'un monologue, d'un dialogue, d'un trilogue ou d'un polylogue, la pragmatique
analysera :
- le dispositif d'énonciation qui se préoccupe
de savoir qui parle ; à qui et dans quelle situation de
discours ;
- la dynamique interactionnelle qui étudie la logique
et les stratégies de l'échange entre les partenaires ;
- les données institutionnelles, sociales,
historiques car toute parole est située dans un espace social dont les
règles varient selon les cultures et les époques.
Par ailleurs, une argumentation, pour être efficace,
doit être organisée ; il ne suffit pas d'aligner les
arguments les uns derrière les autres, et cela indéfiniment.
Chaque discours a une ampleur déterminée, variable selon les
circonstances. Les arguments sont présentés dans un ordre qui
leur donne le plus d'efficacité, car, au fur et à mesure que le
discours se déroule, l'auditoire se transforme sous son influence. En
clair, dans ce fragment de discours de notre corpus,
16. Il (Jeanlin) tenait un bloc de houille entre ses cuisses, il
le débarrassait, à coups de marteau, des fragments de
schistes ; et une fine poudre le noyait d'un tel
flot de suie, que jamais le jeune homme ne
l'aurait reconnu, [..]. (Ge, p499).
La conséquence arrive dans un ordre effectivement
chronologique. En fait, si Etienne ne voyait pas Jeanlin, c'est parce que ce
dernier était noyé dans le flot de suie. L'inverse ici
n'est pas possible. Argumenter ne revient donc pas à démontrer la
vérité d'une assertion, ni à indiquer le caractère
logiquement valide d'un raisonnement, mais il revient à donner des
raisons pour telle ou telle conclusion. Ces raisons constituent autant
d'arguments.
Moeschler et alii (1985 :18) propose d'analyser le
rapport entre les faits argumentatifs et les faits conversationnels. Il
déclare donc que :
Toute interaction verbale, dont le lieu de
réalisation est la conversation, définit un cadre de coaction et
d'argumentation. A savoir, un espace où certaines action étant
engagées, ou certaines conclusions visées, les interlocuteurs
sont obligés de débattre, perdre ou gagner la face, [...].
L'analyse du discours conversationnel aura donc pour objectif de mettre
à jour les coactions et argumentations qui interviennent dans les
interactions verbales.
Pour atteindre donc cet objectif, l'analyse du discours
combine l'aspect syntaxique et sémantique auquel elle associe
l'étude des valeurs en contexte des unités linguistiques comme
l'adverbe, la conjonction etc. Dans ce sens Moeschler et Reboul
(1992 :37) : déclarent que
Le traitement syntaxique précède le
traitement sémantique, qui précède le traitement
pragmatique. En d'autres termes la sortie de la syntaxe constitue
l'entrée de la sémantique, et la sortie de la sémantique
constitue l'entrée de la pragmatique. Quant à la sortie de la
pragmatique, elle décrit la valeur de l'action.
Dans l'étude de la conséquence, il se
révèle que tous les concepts sont opératoires, d'ailleurs,
ils sont indissociables. L'approche des auteurs nous semble plus
appropriée parce qu'une telle combinaison autorise beaucoup plus de
flexibilité dans la description et permet l'intégration de
dimensions (syntaxiques, sémantiques) souvent séparées
dans les autres approches.
Sur le plan fonctionnel, la grammaire distingue deux
principales formes d'expression de la conséquence : la
conséquence simple et la conséquence subordonnée. Sur le
plan notionnel au contraire, il existe plusieurs autres manières de
l'exprimer. Et les connecteurs qui impliquent la conséquence
n'introduisent pas toujours un CCC. Quelle soit classique ou structurale, la
grammaire ne se préoccupe que de la phrase qui est le résultat de
l'acte d'énonciation, sans remonter en amont de la production de
l'énoncé. Elle n'exploite, en outre, que des phrases extraites
des corpus éparpillés, ce qui ne peut favoriser une étude
en contexte des énoncés choisis. Pour pallier ces insuffisances
qu'accuse la grammaire, la pragmatique crée les conditions propices
à l'étude de l'intension de l'auteur, de la visée du
discours et de la cohérence du texte. Ces différentes approches
de l'énoncé montrent que la parole ne s'analyse pas seulement en
termes grammaticaux et logiques, mais qu'elle est aussi examinée en
terme d'influence, de la manière d'agir sur l'autre. L'approche
pragmatique envisage donc diverses manières pour traduire la
conséquence, entre autres les moyens morphologiques dont l'étude
constitue l'objet du prochain chapitre.
CHAPITRE 2
LES MARQUEURS MORPHOLOGIQUES
DE CONSEQUÉNCE ET LEUR PORTÉE
ARGUMENTATIVE
Le premier chapitre a révélé que le
français offre divers moyens d'expression du rapport logique de cause
à conséquence. Il a aussi établi que la grammaire
distingue deux principales manières pour exprimer la conséquence.
Hybertie (1996 :2) met en lumière, selon les opérations de
pensée relatives à l'établissement d'une relation
consécutive, deux types de marqueurs couramment utilisés pour
décrire ce lien logique. Il s'agit des marqueurs de
consécution factuelle et de raisonnement. Ces deux types
de connecteurs expriment la conséquence explicite ; l'une des deux
importantes catégories de la conséquence. Quel que soit le cas,
Reboul et Moeschler (1998 : 77) définissent un connecteur
pragmatique comme
une marque linguistique, appartenant à des
catégories grammaticales variées (conjonctions de coordination,
conjonctions de subordination, adverbes, locutions adverbiales), qui : a)
articule des unités linguistiques maximales ou des unités
discursives quelconques ; b) donne des instructions sur la manière
de relier ces unités ; c) impose de tirer de la connexion
discursive des conclusions qui ne seraient pas tirées en son absence.
Pour appuyer les propos de ces auteurs, Nølke
(2008 :1-2) affirme que les connecteurs pragmatiques précisent non
seulement les relations discursives, mais aussi sont susceptibles
d'introduire des structures souvent très complexes et, notamment, ils
introduisent un jeu polyphonique assez subtil. Les formes d'expression
introduisant la relation logique de cause à conséquence
étant fort nombreux et leur utilisation délicate, ce chapitre se
fixe pour objectif, d'abord, de les décrire, ensuite de dégager
leurs valeurs en langue et les différents effets de sens en discours,
enfin de mettre en évidence la visée discursive qui sous-tend
chaque emploi. Pour y parvenir, nous irons de l'étude de la
conséquence réelle à celle de la conséquence
irréelle pour aboutir à l'examen de la conséquence
manquée.
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