2.
MOTIVATION
Lors de la soutenance de mon mémoire en cycle de
maîtrise, il y a deux ans, j'ai été interpellée par
un membre du jury pour justifier l'emploi de la conjonction de coordination
et dans une phrase. Sur le champ, j'ai réalisé que
et était en attaque de phrase. Sa valeur était difficile
à déterminer alors qu'il n'y avait pas de faute de construction.
Voyant mon embarras, le président de jury m'a invitée à
poursuivre la recherche de la valeur de et. Et c'est dans cette
perspective que j'ai découvert que j'ai utilisé et, de
manière intuitive, pour exprimer la conséquence. Ce qui m'a
amenée à préconiser qu'il y a plusieurs formes
d'expression de la conséquence que j'ai appréhendée comme
une notion à la fois fonctionnelle et notionnelle.
Sur le plan fonctionnel, la conséquence est
exprimée, selon les grammaires, à travers le complément
circonstanciel de conséquence (CCC). Cette forme ne représente,
dans notre étude, qu'un des divers moyens susceptibles d'exprimer ce
concept. Sous cette forme, elle se présente sous une étiquette
globalisante de complément circonstanciel qui est apparue au
Moyen-Âge. La grammaire de cette époque entrevoyait
déjà l'expression du complément dans l'étude de la
notion de rection. A ce sujet, Linacre commenté par Chevalier
(1968 :163) parle de complémentation secondaire. Il donne l'adverbe
pour exemple et déclare : les adverbes appartiennent aux verbes
et servent à établir un fait ou à répondre à
une question suscitée par un fait, et à exprimer le temps, la
place, la manière ou tout autre circonstance par rapport à ce
fait. Au XVIIème siècle, l'abbé
Girard également glosé par Chevalier (op cit : 685)
reconnaît que dans la phrase, chaque mot concourt à l'expression
du sens bien que cela ne soit pas de la même manière ;
les uns étant en régime dominant, les autres en régime
assujetti, et les troisièmes en régime libre, selon la fonction
qu'ils y font. Le complément circonstanciel, déjà
reconnu par l'abbé Girard comme l'élément de la phrase qui
est en régime libre, n'a donc pas été
inventé au XIXème par la grammaire scolaire, comme le
déclare Petiot (2000 : 57-58). D'ailleurs, l'auteur souligne que ce
constituant existe depuis le 1er siècle avant J.C. sous un
aspect plutôt rhétorique. Elle le signifie en ces termes :
c'est à Quintilien qu'on doit le terme circumstantiae
qui regroupe temps, lieu, personnes, choses, motif, finalité,
moyen. Dans son évolution cependant, la notion
subit un changement au niveau de son appellation et de la catégorie du
discours qui le représente. En effet, l'auteur ajoute à la
même page qu'
en fait jusqu'à l'entrée des
compléments circonstanciels dans la grammaire scolaire du
XIXè siècle, c'est l'adverbe qui est
la catégorie apte à exprimer la circonstance : au
XVIIIè siècle, Dumarsais propose le terme de
complément adverbiale, ce qui souligne son
caractère périphérique par rapport au noyau propositionnel
qui est un « objet grammatical »
Toutefois, il s'agit d'une révolution sur le plan
pédagogique qui est liée à la compréhension et
à l'écriture du texte. Et ce changement a renforcé la
classification amorcée par la grammaire antique. C'est de cette
révolution que nous tenons aujourd'hui le complément
circonstanciel de cause, de but, de concession, de conséquence, etc. Cet
étiquetage se fonde sur le contenu de l'information que
véhiculent les compléments circonstanciels.
Pour Wagner et Pinchon (1962), Chevalier et alii (1964) et
même Grevisse (1969), comme pour Leeman (1998 :58), le CCC, tout
comme n'importe quel complément circonstanciel,
complète l'idée exprimée par le verbe
en indiquant les conditions, les circonstances dans lesquelles se trouve le
sujet, ou s'accomplit l'action du sujet. Il indique donc la manière, le
but, le lieu, la cause, etc. dans lesquels se déroule l'action du
verbe.
Pour Tomassone (2002 :181), il ne sert à rien de
multiplier les désignations et d'identifier les fonctions si tout cela
ne permet pas de mettre en évidence le fonctionnement des unités
dans les phrases ou, ajoutons-nous, de reconnaître l'apport du sujet
parlant. Quel que soit le cas, cette brève revue synchronique permet de
constater que le complément circonstanciel connaît beaucoup de
difficultés tant au niveau de la délimitation de ses bornes que
de son fonctionnement. D'où l'intérêt de découvrir
ce qu'en disent les grammaires.
Les Le Bidois (1938 : 446) ne définissent pas la
conséquence, ils reconnaissent tout de même qu'elle se
dévoile dans deux propositions liées par des subordonnants qui
traduisent le lien de conséquence. Brunot et Bruneau (1949 : 551)
ne donnent pas non plus de définition à la notion que nous
étudions. Les efforts de ces auteurs sont concentrés sur la
distinction entre le but et la conséquence. Pour cela, ils
déclarent que toute proposition introduite par une conjonction
de « manière » (de sorte que, de façon que,
etc.) qui présente le mode de subjonctif doit donc être
considérée comme une proposition de but.
Quant à Wagner et Pinchon (1962 :
591-594), ils pensent qu'en plus du fait que le contenu des propositions
subordonnées de conséquence est présenté comme la
conséquence ou le résultat du contenu de la proposition qui leur
sert de support, le mode varie suivant ce que veut exprimer le locuteur. Ainsi,
dans une phrase complexe, le verbe de la dépendante est à
l'indicatif quand on actualise la conséquence - qu'elle soit
réelle ou éventuelle - et au subjonctif si la conséquence
fait l'objet d'une interprétation. Dans ce cas, nous pensons qu'une
étude en contexte de la conséquence serait très
intéressante.
Chevalier et alii (1964 : 149-151), partagent
entièrement plutôt le point de vue de Brunot et Bruneau lorsqu'ils
ajoutent que l'étude de la conséquence ne peut se faire que par
opposition à la cause parce que la relation de consécution
comporte deux termes comme la relation de cause. En effet, ils estiment que
dans la subordination causale, on met en dépendance la
cause [alors que] dans la subordination consécutive, on met en
dépendance l'effet. Le mode qui exprime une attitude du sujet
parlant à l'égard de son énoncé semble
déterminant dans l'expression de la conséquence.
En effet, Chuilon (1986 :81) affirme que l'emploi du
subjonctif permet de présenter la conséquence comme un
état à atteindre. On peut alors avoir à faire
à une conséquence souhaitée, voulue, irréelle...
Chuilon rejoint ainsi Wagner et Pinchon malgré la distance qui existe
entre ces générations.
La notion de conséquence présente des liens si
complexes, si diversifiés, si délicats à identifier et si
subtils à décrire que Grevisse et Goosse (1993 :1630) ont
dit qu'il ne [leur] a pas paru nécessaire de définir [cette]
catégorie qui emprunte sa dénomination à la langue
ordinaire. Cette affirmation témoigne non seulement de la
difficulté que les grammaires ont à donner une explication
à la notion qui nous intéresse, mais aussi l'embarras qu'on
éprouve lorsqu'il faut clarifier, de manière précise, les
outils susceptibles d'exprimer la conséquence. Ce constat est
réel, d'ailleurs Riegel et alii (1996 :516) eux aussi ne
définissent pas la notion, ils reconnaissent simplement que la
conséquence est subordonnée syntaxiquement et
sémantiquement.
Ainsi, la grammaire ne perçoit la conséquence
qu'à travers les CCC. Elle donne donc une liste figée des outils
qui introduisent la notion en jeu tout en considérant les
différentes formes d'expression de la conséquence comme
étant synonymes. Elle ne montre pas clairement la place du sujet parlant
encore moins le sens qui sous-tend l'utilisation de chaque outil de
conséquence.
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