III. L'effet indirect de l'assurance sur l'état
de santé
Le modèle sous-jacent aux travaux empiriques
présentés jusqu'ici repose sur l'idée que les soins sont
le chaînon entre extension de l'assurance et amélioration
éventuelle de l'état de santé. Une approche alternative
consiste à supposer que l'extension de l'assurance maladie
améliore l'état de santé sans pour autant que les
assurés consomment plus de soins.
Les soins médicaux sont parfois consommés pour
des raisons impératives liées à la survie de l'individu,
et, dans ce cas, le fait de disposer d'une assurance couvrant les
dépenses de soins médicaux permet d'éviter que ces
dépenses vitales ne mettent en péril le budget global du
ménage ou n'obligent le ménage à ponctionner sur d'autres
postes de dépenses pouvant contribuer à l'etat de santé de
ses membres, comme l'éducation ou le logement.
Pour que ce mécanisme soit plausible, il faut que
l'état de santé soit sensible à certaines dépenses
du ménage, autres que les dépenses médicales. Il y a peu
de résultats empiriques sur ce point. Olsen et al. (1983) montrent
cependant que le fait d'avoir accès à une salle de bains dans la
maison, ou le fait que le logement soit équipé
d'électricité, ou encore le nombre de chambres à coucher
du logement, sont des déterminants importants de la survie des enfants
en Malaisie. Une littérature historique vaste cherche à
déterminer l'effet propre de l'alimentation ou de la richesse sur la
santé. Nous nous proposons d'en faire état dans la seconde revue
de littérature portant sur les facteurs des inégalités
sociales de santé autres que les soins médicaux.
Cette idée est reprise par l'Organisation Mondiale de
la Santé (OMS, 2000), qui considère comme une marque de non
équité du système de soins le fait que des ménages
aient à supporter des dépenses de soins de leur poche qui
représentent une part importante de leur budget. Du reste, l'assurance
maladie s'est développée dans beaucoup de pays d'Europe sous la
forme d'une garantie, contre les pertes de revenus liés à
l'arrêt d'activité du père de famille salarié.
Ross et al. (2000) suggèrent que l'assurance pourrait
avoir un effet protecteur sur la santé en évitant les
difficultés économiques à l'assuré : ils montrent
d'une part, que l'augmentation du nombre de maladies chroniques est
corrélée avec les difficultés de trésorerie et
d'autre part, que l'assurance réduit les difficultés de paiement
des soins nécessaires. Ils en déduisent que l'assurance peut
avoir un effet sur la santé en évitant que les dépenses de
soins nécessaires soient une source de difficultés de
trésorerie. Cependant, ils ne mettent pas directement en relation les
difficultés de trésorerie avec les dépenses de soins. De
plus, cette interprétation semble contradictoire avec leur
résultat principal : à difficultés économiques
données, l'état de santé des personnes assurées par
Medicare se dégrade davantage.
Le mécanisme décrit par Ross et al. sous-entend
que les épisodes de précarité ont des effets
néfastes sur la santé. A partir des données du «Panel
Study of Income Dynamics» entre 1968 et 1989, McDonough et al. (1997)
montrent que les personnes âgées de plus de 45 ans ont un risque
de décès décroissant en fonction de leur revenu moyen. Cet
effet est d'autant plus marqué que leur revenu moyen est bas et qu'ils
ont vécu des épisodes de pauvreté. La moyenne des revenus
sur cinq ans est corrélée négativement avec le risque de
décéder durant les cinq années suivantes. Les
épisodes de pauvreté (correspondant à une baisse de plus
de 50 % du revenu annuel) impliquent une augmentation de la probabilité
de décès des plus pauvres mais aussi des revenus moyens.
L'étude ne montre pas si l'effet protecteur du revenu passe par le
système de soins. En revanche, les auteurs montrent que l'effet
protecteur du revenu sur la santé est plus faible après 65 ans.
Cela peut alors être expliqué soit par un effet de
sélection (les pauvres qui ont dépassé 65 ans). Dans le
même ordre d'idées, Benzeval et al. (2001) étudient les
effets du revenu de long terme et des épisodes de pauvreté sur la
santé à partir des données du British Household Panel
Survey, de 1991 à 1996/97. Ils montrent en particulier que la
pauvreté a d'autant plus d'impact sur la santé qu'elle est
persistante. Ils dénotent que les baisses de revenu ont plus d'effet sur
la santé que les hausses ; une assurance qui protégerait des
pertes imprévisibles de revenus serait donc aussi une assurance
santé. A l'instar de Mc Donough (1997), ils constatent que le lien entre
revenu et santé est moins visible chez les personnes âgées,
ce qu'ils expliquent d'une part par un effet de survie et d'autre part parce
que les mesures du revenu des personnes âgées sont moins
représentatives de leur trésorerie.
En conclusion,
- les études semblent converger sur l'évidence d'un
lien positif entre niveau d'assurance et niveau de recours aux soins ;
- en revanche, l'impact de la consommation de soins permise
par l'assurance sur l'état de santé n'est démontré
que dans des domaines particuliers: la vision et l'hypertension dans
l'expérience de la Rand, la mortalité des enfants par les
études sur Medicaid, la prévention primaire ou secondaire pour
les études normatives ; sur des indicateurs plus généraux
d'état de santé, l'horizon d'observation de ces études ne
permet pas de conclure à une amélioration ;
- enfin, les gains observés sur l'état de
santé sont plus importants pour les bas revenus. Le fait que l'assurance
santé ait un rôle plus protecteur sur la santé des pauvres
que sur celle des riches tend à confirmer l'hypothèse de
l'efficacité de l'assurance maladie en tant qu'instrument de lutte
contre les inégalités sociales de santé.
Si ces études ne débouchent pas sur des
conclusions plus tranchées, c'est sans doute parce qu'il est difficile
d'établir des relations causales sur des périodes courtes et, a
fortiori, sur des données transversales. De ce point de vue, le
dispositif d'enquête Santé et Protection Sociale du CREDES permet
maintenant de disposer d'un panel de 3 900 personnes et de trois points
d'observation à quatre ans d'intervalle. Ce panel nous permettra
d'étudier longitudinalement l'évolution de l'état de
santé et de ses déterminants, qu'il s'agisse de la consommation
de soins, du niveau d'assurance, des revenus.
Analyse de l'incidence du Seguro Popular et de son impact
sur l'utilisation des services de santé au Mexique
2009
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