II.2. L'impact des soins sur l'état de santé
est difficile à évaluer
Nous venons de voir que l'assurance maladie a un impact sur le
recours aux soins, notamment des plus pauvres. Il reste donc à
déterminer si ce recours aux soins supérieur améliore
l'état de santé. C'est uniquement seulement si ces deux
conditions sont vérifiées, rappelons-le, que l'assurance aura un
impact sur la santé.
Il est cependant difficile de vérifier empiriquement
l'effet des soins sur la santé, car, à un instant
donné, le lien positif éventuel entre la consommation de soins et
la santé future peut être masqué par le fait que ce sont
en général les personnes malades qui consomment le plus
de soins. En cherchant à établir que celles qui se
soignent le plus sont en meilleure santé, on observe en fait le
contraire : les personnes en plus mauvaise santé se soignent
davantage.
Deux possibilités s'offrent alors pour franchir
l'obstacle. La première consiste, dans une approche normative, à
adosser l'étude de l'impact de l'assurance sur la consommation de soins
à des études médicales ayant prouvé
l'efficacité de certains soins, en particulier de soins
préventifs. Ce type d'approche permet de travailler sur des
données transversales courantes. Nous présentons ci-dessous trois
études américaines car aux Etats-Unis, le problème de la
non assurance, notamment des malades chroniques ou des femmes enceintes, est
plus répandu qu'en Europe.
Dans leur étude sur les recommandations de
mammographie, O.Malley et al. (2001) justifient leur conclusions en faveur
d'une extension de la couverture maladie aux femmes les plus pauvres en
montrant que les recommandations de mammographie augmentent avec l'assurance et
le statut socio-économique des patientes (et aussi qu'elles varient avec
la spécialité du médecin) ; or, d'autres études ont
montré que de telles recommandations incitent fortement les femmes
à recourir à ce type de prévention et, surtout, que
l'effet de la mammographie sur l'état de santé est
médicalement prouvé. Il peuvent donc conclure, dans ce cas
précis, à un effet positif de l'assurance sur l'état de
santé. Pour leur part, Ayanian et al. (2000) étudient l'effet de
l'assurance sur le renoncement de patients, pour des raisons
financières, à des soins jugés médicalement
adéquats, compte tenu de l'âge et des maladies chroniques. La
typologie utilisée est dérivée des
référentiels de bonnes pratiques sur les examens réguliers
de médecine préventive, concernant en particulier la surveillance
de l'hypertension, du diabète (examens du pied, ...) ou encore la
détection de certains cancers. Ils concluent à un effet positif
de l'assurance sur l'accès à ces soins adéquats.
Enfin, en estimant à dire d'experts les gains de
santé infantile liés aux différents types de soins, Cole
(1994) cherche à mesurer le type de soins auxquels accèdent les
nouveaux assurés Medicaid, en distinguant notamment les soins
préventifs, plus efficaces selon elle. Elle trouve que l'augmentation
des droits à Medicaid diminue la proportion de femmes ne recevant pas de
soins prénataux de 22 % à 17 %. L'effet est plus fort dans les
groupes à risque (mères adolescentes et célibataires).
Pour établir le lien entre soins et santé, la
deuxième approche consiste à observer l'effet d'une consommation
présente sur la santé future. Si la méthode doit estomper
au moins en partie l'effet de la santé sur la consommation, elle
nécessite de disposer de données longitudinales sur la
santé, la consommation de soins et l'assurance, collectées sur
une période suffisamment longue.
Ne disposant pas encore de résultats sur l'impact de
l'assurance sur l'état de santé sur données
françaises (voir encadré sur le dispositif Santé
Protection Sociale du CREDES, p. 6), nous pouvons toutefois apporter une
réponse partielle à cette question à la lumière de
l'expérience de la Rand, que nous avons déjà
mentionnée (Newhouse, 1993). Au cours de cette étude, Newhouse et
al. ont comparé l'évolution de l'état de santé des
personnes couvertes par les différents contrats d'assurance. Il est
apparu que, en dépit de son influence sur la quantité de soins
consommés, la part des dépenses à la charge des patients
n'a pas eu d'effet visible sur les différentes mesures de l'état
de santé général17, établies à
l'aide d'un questionnaire médical auto-administré à
l'entrée et à la sortie de l'expérience pour l'ensemble de
la population enquêtée. Néanmoins un diagnostic
médical, réalisé sur 60 % de l'échantillon au
début de l'expérience et sur la totalité à la
sortie, a permis de constater une amélioration attribuable à la
gratuité des soins de deux mesures physiologiques, la vision et
l'hypertension.
Les consultations ophtalmologiques ont été plus
fréquentes en cas de gratuité de soins (90 % contre 76 %), la
prescription de lunettes étant alors quasi identique selon les contrats
d'assurance. Parmi les pauvres, l'effet de l'assurance complète est
logiquement plus marqué : 78 % des assurés à 100 %
consultent contre 59 % des autres ; la consultation entraîne alors une
prescription de lunettes pour 18 % des assurés à 100 % et
seulement 8 % des autres. Même si la consommation de soins des plus
riches est toujours plus élevée, la gratuité des soins
permise par l'assurance diminue les inégalités sociales de
santé : en fin d'étude, les pauvres couverts à 100 %
avaient une vision correctement corrigée dans une proportion non
statistiquement différente de celle des plus riches (80 % contre 83 %)
alors qu'il subsistait un écart statistiquement significatif entre
riches et pauvres dans les autres contrats d'assurances (76 % contre81 %).
17 capacité fonctionnelle, taux d'invalidité,
risque vital, santé mentale, note subjective et bien-être
ressenti.
Des résultats comparables sont apparus dans le domaine
de l'hypertension : les personnes couvertes à 100 % avaient une pression
sanguine diastolique significativement inférieure à celle des
individus couverts par les autres contrats d'assurances (différence de
1.9 mm de Hg), cette différence étant encore plus marquée
pour les plus pauvres (différence de 3.5 mm de Hg). Cela a permis
d'estimer que la couverture totale des soins réduisait de 10 % la
probabilité de décès des personnes en mauvaise
santé. Cette étude a surtout montré l'importance du
diagnostic de la maladie sur les comportements de soins et donc l'état
de santé puisque les personnes connaissant leur problème
d'hypertension avant l'expérience ont eu une consommation similaire quel
que soit leur contrat d'assurance. En permettant un meilleur accès au
système de soins, l'assurance permet un meilleur accès à
la prévention et à l'information. Ce résultat confirme que
l'assurance à un effet sur l'état de santé via un meilleur
accès aux soins préventifs secondaires.
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