TROISIEME PARTIE :
LE MODE D'ORGANISATION ET LES PRATIQUES MARCHANDES DES
COMMERÇANTES DE PRODUITS VIVRIERS : CHANGEMENTS OU PERMANENCES DANS
LE CONTEXTE DE LA NOUVELLE LOI COOPERATIVE ?
CHAPITRE VII :
LA FORMATION DES COOPERATIVES FEMININES ET LES
PERCEPTIONS LIEES A LA NOUVELLE LOI COOPERATIVE
Dans le processus de leur mise en place, la coopérative
de commercialisation de produits vivriers d'Adjamé-Roxi et celles
d'Abobo ont, chacune, une histoire singulière. La formation de la
première coopérative citée a commencé vers la fin
de la décennie 1970 autour de Nanti Lou Rosalie. Pionnière dans
le commerce des produits vivriers en Côte d'Ivoire, les récits
s'accordent à dire que c'est avec des ressources financières
limitées que Nanti Lou Rosalie a débuté son
activité marchande. Au fur et à mesure, celle-ci prendra de
l'importance en raison des mutations socioéconomiques et de
l'accroissement de la demande urbaine en matière de consommation
alimentaire. Cela a pour conséquence de susciter l'intérêt
d'autres femmes pour le commerce des produits vivriers. Celles-ci, comme Nanti
Lou Rosalie elle-même, sont principalement des femmes gouros. Cette
affinité ethnique est d'ailleurs ce qui fonde le regroupement des
commerçantes d'Adjamé-Roxi. A Abobo, aussi bien avec la
coopérative officielle « COMUSERF' » que la
coopérative informelle « Philadelphie », les femmes
se sont regroupées sur la base de leur appartenance à des
communautés chrétiennes évangéliques. De ce fait,
activités religieuses et activités marchandes
s'enchevêtrent ; entraînant de la sorte un pluri-usage de la
coopérative qui fait d'elle un outil de promotion économique,
mais aussi un lieu de socialisation aux valeurs chrétiennes. Dans
l'ensemble, ce qui caractérise toutes ces coopératives, c'est
leur constitution à partir d'affinités fondées sur des
relations sociales primaires, elles-mêmes, construites autour de l'ethnie
d'une part, et de la religion d'autre part.
En pratique, le marquage ethnique ou religieux des
coopératives induit un mode de vie en groupe des commerçantes qui
puise sa force dans les liens de parenté, les liens confessionnels, les
liens d'amitié, etc. Cette forme de vie collective façonne les
perceptions que les commerçantes de produits vivriers ont de la nouvelle
loi coopérative. En effet, les organismes de développement
essaient, par la sensibilisation et la formation, de faire intérioriser
les nouvelles règles coopératives aux commerçantes en
mettant en avant les avantages d'une nouvelle forme d'organisation :
compétitivité, viabilité, promotion économique,
amélioration des conditions de vie des femmes. Toutefois, dans la
plupart des cas, le niveau d'attente des commerçantes restent
très faible vis-à-vis de ces actions. Pire, chez celles qui
n'occupent pas de positions hiérarchiques au sein des
coopératives, il y a une méconnaissance profonde de la nouvelle
loi coopérative et une attente quasi inexistante des changements
qualitatifs qu'elle pourrait susciter. Au fond, les commerçantes
construisent plutôt le sens de la vie en groupe ou en coopérative
à travers les réponses concrètes qu'elle apporte à
leurs besoins sociaux et les liens de solidarité qu'elle crée.
Avant tout, pour les commerçantes, la coopérative a une fonction
de protection sociale. Elle apporte de multiples satisfactions sociales :
aide à la scolarisation des enfants, assistance en cas de maladie grave,
assistance dans les situations heureuses ou malheureuses (mariage, naissance,
baptême, décès, etc.), aide pour la relance des
activités. En définitive, l'intérêt accordé
par les commerçantes aux formes traditionnelles de solidarité et
aux satisfactions sociales fait que leur vie en coopérative est moins
institutionnalisée. Leurs rapports au sein des coopératives sont
des rapports vécus, existentiels. Ce mode de vie en groupe permet aux
commerçantes de s'organiser et de mener à bien leurs
activités marchandes.
|