Intérêts et enjeux économiques de l'intégration à l'Union Européenne d'un point de vue turc( Télécharger le fichier original )par Benoit ILLINGER Université Pierre Mendès France (Grenoble II Sciences Sociales) - DEA Economie et Politiques Internationales 2002 |
1.2 Modèle à facteur spécifique de Samuelson et JonesAu début des années 1970, Paul SAMUELSON et Ronald JONES32(*) développent un modèle incluant des facteurs spécifiques d'une part et mobiles d'autre part et supposant une productivité marginale du travail décroissante. L'enseignement principal que l'on retient du modèle est que le libre-échange est efficient car il élargit les choix des économies et il permet à chaque pays de consommer une quantité supérieure de chaque bien33(*). En effet dans ce modèle, l'échange international est motivé par la différence des prix relatifs des biens, elle-même issue d'une offre relative différente dans les pays. L'offre relative différente provient soit de l'inégale dotation en facteurs soit de technologie de production différente. Dans notre cas d'étude, le cas Europe-Turquie, la différente offre relative provient des deux raisons. La technologie est différente (écart de développement notable34(*)) et la Turquie possède une dotation en main-d'oeuvre peu qualifiée plus élevée qu'en Europe. Ainsi nous avons donc une très grande différence entre les entités et donc une grande complémentarité potentielle. Avec l'échange, les prix relatifs des pays vont se confondre autour du prix mondial. Les consommateurs bénéficieront alors d'un prix relatif inférieur pour le bien nécessitant pour sa production le facteur rare du pays. Le pays devient alors importateur de ce bien (car il en augmente sa consommation par le biais de l'importation) et exportateur du second bien. Au plein emploi, la production varie uniquement par le biais d'une utilisation différente du facteur mobile dans sa conception qui se déplace alors d'un secteur à l'autre. Le commerce a donc différents effets : i) il bénéficie au facteur spécifique du secteur exportateur, ii) il coûte au facteur spécifique du secteur concurrencé par les importations et, iii) il a des effets ambigus sur le facteur mobile. Dans ce modèle le libre-échange n'est pas optimal au sens de PARETO car il bénéficie à un groupe au détriment d'un autre. L'équilibre peut devenir pareto-optimal s'il y a redistribution des gains car, comme nous l'avons déjà souligné, globalement il y a gain. On peut tirer comme enseignement de ce modèle qu'il peut y avoir des gagnants et des perdants car il n'y a pas nécessairement redistribution et que celle-ci est nécessaire pour atteindre un équilibre pareto-optimal.
Si nous prenons l'exemple de la Turquie et que nous posons d'une part que la terre et le capital sont des facteurs spécifiques. D'autre part nous posons que le travail, dont la Turquie est richement dotée35(*) est mobile. Dans ces circonstances, si nous observons par exemple un accroissement de la quantité du facteur capital à la suite de la signature d'un accord de commerce privilégié avec des pays voisins36(*), il y aurait alors une augmentation de la demande de travail dans le secteur intensif en capital et donc un transfert de la main-d'oeuvre du secteur intensif en terre ( l'agriculture ) vers le secteur intensif en capital (l'industrie). Il y aurait donc une augmentation de la production de biens industriels bénéficiant d'intrants (travail et capital) quantitativement supérieur. Cette schématisation simplificatrice semble corroborée par les faits. On constate en effet que depuis que la Turquie cherche à participer à l'UE sa part de produits agricoles dans ses exportations est passée de 75% en 1965 à seulement 10% en 1996. De surcroît, la contre-partie de cette chute vertigineuse est la hausse régulière des exportations de produits manufacturiers qui atteignaient près de 80% des exportations en 199637(*) (dont plus de la moitié dans le secteur textile et habillement). Néanmoins dans cet exemple, un point vient ternir la théorie car celle-ci manque certainement d'hypothèses restrictives. Si la redistribution des revenus issus des gains de l'échange est inégalement accomplie - et c'est le cas38(*) -, les détenteurs de capital seraient les perdants et auraient donc intérêt au protectionnisme. Paradoxalement, on constate qu'en Turquie le groupe de pression TUSIAD39(*), très actif, représentant les intérêts des capitalistes et chefs d'entreprises, milite pour l'ouverture rapide et complète au monde et à l'Europe (Nous reviendrons sur cette contradiction de la théorie et des faits plusieurs fois encore car au fil de nos investigations des théories du commerce international nous retomberons sur celle-ci). Aussi, il semble que ce modèle de Paul SAMUELSON et Ronald JONES ne s'applique que dans une certaine mesure à notre exemple car il reste trop simplificateur. Nous en retiendrons seulement deux points : - d'une part qu'avec l'ouverture et un afflux de capitaux, la main-d'oeuvre se déplace du secteur de l'agriculture à celui de l'industrie - d'autre part, qu'il existe un gain potentiel à l'échange mais que celui-ci nécessite redistribution. Nous allons continuer notre étude en exposant le Modèle Heckscher-Ohlin et sa suite, le théorème Stolper-Samuelson qui expliquent plus précisément les effets de l'ouverture commerciaux sur la répartition des revenus. * 32 SAMUELSON P. (1971) Olin Was Right, Swedish Journal of Economics, 73 et JONES R.W. (1971) A Three-Factor Model in Theory, Trade and History, in BHAGWATI J. et al. (1971) Eds, Trade, Balance of Payments and Growth, Amsterdam, North Holland. * 33 On notera qu'on est ici en présence d'un gain supérieur potentiel pour tous. Que chacun puisse gagner plus à l'échange international ne signifie malheureusement pas que chacun le fasse en fait. Dans la réalité, l'existence de gagnants et de perdants suite au commerce international est une des raisons les plus importantes pour lesquelles ce commerce n'est pas libre. Ce point sera plus approfondi par la suite. * 34 Selon Jean-Marc SIROËN : « (...) la part de la population employée dans l'agriculture est un indicateur pertinent des écarts de développement » (SIROËN J.-M. 1996], p. 55). Or selon les donnée de l'OCDE la population agricole représente 47,4 % de la population active civile en Turquie alors qu'elle n'est que de 5,1 % en France par exemple. De surcroît si l'on pense que ces l'écart de PIB par habitant qui est l'indicateur d'écart de développement, en comparant les PIB/tête moyen, on constate qu'en Turquie celui-ci ne représentait par exemple que 8% en 1993 (avant l'Union douanière) de celui de l'UE. Aussi on peut affirmer, sans hésitation, qu'il y a un écart de développement notable entre la Turquie et les pays de l'UE. * 35 L'emploi total est de 2,9 millions en 1997 (donnée Agenda 2000). Le taux de chômage oscille entre 6% et 10% entre 1980 et 2000 (OCDE - www.oecd.org et voir annexe 13 : taux de chômage). Ceci signifie que le chômage n'est pas que conjoncturel ou de friction. Nous estimons que cela montre qu'il y a un vivier de main d'oeuvre disponible et que donc par extension cela signifie que la Turquie en est abondamment doté. * 36 Dans une logique de libre-échange les accords bilatéraux avec l'Union européenne favorisent les investissements dans les pays signataires au détriment des investissements dans les pays satellites (BALDWIN R. E. [1994]). Il semblerait-donc que la Turquie, à l'instar du Mexique vis-à-vis des Etats-Unis, soit appelée à accueillir des IDE productifs. Nous développerons ce point plus en détails dans le chapitre suivant. * 37 Données Agenda 2000. * 38 En 1994 le revenu par tête variait de 803$ pour les 5% les plus pauvres à 22344$ pour les 5% les plus riches de la population. La Turquie n'ayant ni les moyens, ni la volonté, ne se dote pas de mécanisme plus sérieux de redistribution, si bien que les inégalités vont en exacerbant les pressions dans le sens d'une accélération du rythmes de croissance à court terme car ce biais est la seule manière d'améliorer le niveau de vie des catégorie sociales les plus défavorisées (AKAGüL D. [2000]). * 39 Voir le site officiel de TUSIAD où l'on peut trouver tous leurs documents officiels traduits en anglais : www.tusiad.org/english - dont notamment le TÜSIAD Quarterly Economic Survey. |
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