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Intérêts et enjeux économiques de l'intégration à  l'Union Européenne d'un point de vue turc

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par Benoit ILLINGER
Université Pierre Mendès France (Grenoble II Sciences Sociales) - DEA Economie et Politiques Internationales 2002
  

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CHAPITRE 1 - Optimalité théorique de l'ouverture commerciale et répartition des gains

Avant de pouvoir se poser la question de savoir s'il était optimal pour la Turquie d'adhérer  à l'Union douanière et s'il est optimal de poursuivre cette intégration afin d'adhérer complètement  à l'Union européenne et, en simplifiant les faits, d'ouvrir préférentiellement son commerce à un ensemble régional, il convient de se questionner sur le libre-échange en général ainsi que sur le processus par lequel le choix de son application s'impose.

Nous exposerons donc dans ce chapitre les théories du commerce internationales. Et cela pour trois raisons :

- tout d'abord il sera utile de revoir ces théories pour la compréhension de certains développements du chapitre suivant,

- ensuite, elles nous permettent de démontrer que l'optimum pour un pays et de surcroît pour un pays économiquement « en retard » est l'ouverture commerciale,

- enfin elles servent d'étape préliminaire au développement de la théorie de l'économie politique du protectionnisme que nous développerons pour comprendre à qui bénéficie l'ouverture de la Turquie.

Dans ce chapitre, le cadre de notre exposé évoluera et il faut y prêter une grande attention. En effet, pour exposer la théorie pure du commerce international le cadre est le libre-échange mondial (l'ouverture commerciale au reste du monde) et donc les comparaisons relatives se font entre le pays étudié et, en général, un autre pays.

Par contre pour préparer notre section 3 (Synthèse et application à la Turquie), lorsque nous appliquerons les théories au cas de la Turquie, le cadre utilisé sera l'Europe des 15. La situation dans ce contexte est, en fait, une comparaison entre une situation d'autarcie pour la Turquie et une situation d'ouverture commerciale envers l'Union européenne.

Le cheminement que nous suivrons dans ce chapitre sera tout d'abord, la présentation dans une première section de la théorie pure du commerce international qui démontre la supériorité du libre-échange (section 1) ; par la suite nous chercherons à savoir ce qui détermine la volonté de fermeture ou d'ouverture pour un pays et en l'occurrence la volonté d'ouverture à un ensemble régional. Pour cela nous exposerons les théories de l'économie politique du protectionnisme (section 2). Nous terminerons par appliquer ces théories au cas de la Turquie vis-à-vis de son ouverture à l'UE pour tenter de déterminer à qui elle bénéficierait si elle était effective (section 3).

SECTION 1 Les vertus du libre-échange théorique

Un pays a-t-il intérêt à pratiquer une politique de libre-échange même s'il est « moins efficace » que les autres pays ?  En 1817, David RICARDO a été le premier à répondre par oui à cette question. À cette époque la révolution industrielle avait creusé un fossé toujours plus profond entre les pays les plus avancés technologiquement (l'Angleterre dans le contexte), et donc de plus en plus efficaces dans la production de tous les biens, et le reste du monde de plus en plus en retard. Cette situation n'est pas sans rappeler celle actuelle où l'on se demande si des PED peuvent participer au libre-échange mondial ou à des unions régionales de commerce préférentiel avec de pays plus avancés économiquement. L'Union européenne, avancée technologiquement, et la Turquie peuvent-elles pratiquer le libre-échange entre elles ? Ce dernier pays a-t-il intérêt à ouvrir ses frontières aux produits des pays les plus développés, ou doit-il attendre d'avoir atteint le même niveau de développement technologique et économique que ces derniers pour envisager une telle politique ?

La théorie du commerce international repose sur un corpus théorique « majestueux ». On pourrait remonter loin en exposant en détail tout ce corpus théorique qui permet d'aboutir aux conclusions du théorème Stolper-Samuelson. Néanmoins nous n'allons exposer que brièvement les principales théories afin de consacrer plus de temps au sujet qui nous intéresse.

1.1 Les effets de l'ouverture commerciale sur les structures productives

RICARDO (1772-1823) traite, dans Principes de l'économie politique et de l'impôt (1817), des échanges internationaux et montre les avantages du libre-échange, en remplaçant les avantages absolus de SMITH par les avantages comparatifs qui structureront toutes les théories du commerce international.

Le modèle qu'il développe, appelé par la suite modèle ricardien, se base sur l'échange entre deux pays ayant un facteur de production. Les différences de productivités relatives permettent de motiver l'échange et définissent ainsi les spécialisations nationales. Dans un tel contexte, RICARDO montre que l'échange international est avantageux pour toutes les nations qui se spécialisent (en y affectant leur facteur de production -la force de travail) dans le secteur où elles ont une productivité relative avantageuse. Ainsi, selon RICARDO, comme le travail (unique facteur de production de son modèle) est parfaitement mobile, le changement de secteur se fait à l'avantage de tous. L'échange permettra à la productivité mondiale et à la production mondiale d'augmenter. Tous les pays ont donc un gain à l'échange, personne ne sera désavantagé et même à l'intérieur du pays, chaque individu bénéficiera d'une meilleure situation30(*). La politique de libre échange reste la meilleure alternative à la politique d'autarcie.

Si le monde réel était conforme à ce modèle31(*), d'un point de vue économique, la Turquie aurait intérêt, sans faire aucun autre calcul, à entrer dans l'UE plutôt que de rester en autarcie. Néanmoins dans le monde réel les gains engendrés par l'échange sont souvent repartis de manière inégale aussi il faut approfondir l'analyse pour arriver à des conclusions sur lesquelles on puisse s'appuyer.

En avançant dans l'analyse, on s'aperçoit que les nations tirent théoriquement des bénéfices du commerce international, mais il s'avère possible que certains groupes particuliers à l'intérieur du pays y perdent. Ceci s'explique par le fait que le commerce international (dans le sens entre nations) exerce dans la réalité, à l'intérieur d'un pays, des effets puissants sur la distribution du revenu pour deux raisons principales : d'une part certains facteurs de production ne peuvent se déplacer instantanément et sans coût d'une industrie à l'autre ( Modèle à facteur spécifique de SAMUELSON et JONES - 1.2) et d'autre part le commerce peut aussi transformer la répartition des revenus et entre grands groupes tels que propriétaires de capital et travailleurs (modèle Hecksher-Olhin-Samuelson - 1.3 ) du fait de la variation de la demande relative de leur utilisation.

* 30 Le modèle ricardien appuie en effet sur le fait que comme le travail est le seul facteur de production et qu'il est supposé mobile d'un secteur à l'autre, il n'est pas possible que des individus soient lésés par les échanges. Aucun individu ne voit sa situation se détériorer en raison de l'échange dans un tel modèle. De plus, on notera néanmoins qu'user d'un seul facteur de production a pour conséquence que le modèle ricardien n'a pas les moyens d'analyser la répartition des gains à l `échange entre les différents facteurs de production du pays.

* 31 Qui, malgré ses hypothèses de départ ( un seul facteur de production, plein emploi de celui-ci, rendements d'échelles constants dans la production des deux biens, marchés régis par la concurrence pure) peut être généralisé à plus de deux pays, deux biens sans pour autant mettre « en danger la prescription de la politique optimale de l'ouverture unilatérale des échanges, ni la nécessité de la spécialisation pour bénéficier des gains à l'échange » (MESSERLIN P. A. [1998])

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