Paragraphe I- Les fondements de l'intervention
internationale en cas de catastrophes.
Bien que les Etats sur la base d'une idée de la
dignité humaine, fondement philosophique de la solidarité
internationale, aient adopté des instruments juridiques fondant une
intervention internationale consensuelle en matière de catastrophes (A),
le débat reste entier sur l'existence d'un droit d'intervention
humanitaire (B).
A -L'idée d'une solidarité internationale
fondant une intervention consensuelle consacrée par les
Etats.
<< La catastrophe apparaît (...) comme un
phénomène singulier qui franchit les frontières sans
passeport et constitue de ce fait un des traits majeurs de la mondialisation,
perçue comme << un monde sans frontières et sans
repères >> >>23. Ces propos de M. Marafa HAMIDOU
YAYA, Ministre d'Etat Minatd, illustre bien les enjeux d'une solidarité
internationale agissant par tous et pour tous dans la gestion des catastrophes.
En effet on assiste de plus en plus à une mondialisation des risques et
des catastrophes due à la nouvelle configuration du monde, marqué
par la << transnationalisation >> des échanges, la grande
mobilité des hommes, des biens et des capitaux. A titre d'illustration,
note le Secrétaire général de l'ancien Ministère de
l'administration territoriale, << la rupture du barrage de Lagdo aurait
des effets incalculables sur le Nigeria voisin alors qu'un fonctionnement
défectueux des retenues d'eau de Maga effacerait tout simplement
Kousséri et la capitale tchadienne de la carte. Le danger que
représente la chaîne tectonique du Mont Cameroun déborde
largement les frontières du Cameroun >>24. Cette
<< transnationalisation >> des dangers fait désormais appel
à des solutions internationales d'où la nécessité
d'une coopération internationale dans la prévention et la gestion
des catastrophes.
De plus, les catastrophes sont un obstacle à la
nécessité universellement reconnue de la lutte contre le sous
développement25. A ce sujet, le rapport mondial du PNUD en
2004 intitulé la réduction des risques de catastrophes: un
défi pour le développement démontre que le risque de
catastrophe naturelle est intimement connecté aux processus de
développement humain et que << la réalisation des objectifs
de développement du millénaire (ODM) est
23 REPC 2003-2004 Op. Cit., Préface du
Ministre d'Etat Minatd M. Marafa HAMIDOU YAYA P11.
24 Voir supra note 20.
25 Pour Nguyen QUOC DINH, Patrick DAILLIER et Alain
PELLET, en dépit des différences entre les peuples, il existe
entre les Etats un élément subjectif nécessaire à
toute communauté provenant de la volonté des Etats de vivre en
commun renforcée par des convictions communes: l'identité
générale des conceptions morales, le sentiment
général de justice, l'aspiration générale à
la paix, l'interdépendance économique, la nécessité
universellement reconnue de la lutte contre le sous développement. Droit
international public Op. Cit. P39.
gravement mise en péril, dans de nombreux pays par les
pertes dues aux catastrophes naturelles. >>26. Conscient du
lourd tribut que le développement paie aux catastrophes de toute
nature27, l'ONU a résolu de faire de la décade
1990-2000, la décennie des Nations Unies pour la prévention des
catastrophes. C'est au cours de cette décennie qu'a été
adopté le document Stratégie et plan d'action de Yokohama pour un
monde plus sûr. Dans ce document les Etats s'invitent << à
mettre au point un programme d'évaluation des risques et des plans
d'urgence centrant les efforts sur les mesures à prendre pour se
préparer aux catastrophes, y faire face et en atténuer les effets
et à concevoir des projets de coopération sous-régionale,
régionale et internationale, selon qu'il conviendra (...) vu que sur le
plan de la vulnérabilité face aux catastrophes, il existe de
nombreux points communs entre les pays d'une même région ou sous
région, il faudrait renforcer la coopération entre ces pays.
>>. Ainsi dans le cadre onusien, les Etats ont mis sur pied une <<
stratégie internationale de prévention des catastrophes>>
(SIPC). En reconnaissant que les catastrophes représentent une menace
pour chaque homme, la SIPC s'appuie sur le partenariat et adopte une approche
globale pour la prévention des catastrophes, en recherchant
l'implication de chaque individu et de chaque communauté dans la
réduction des pertes en vies humaines, des perversités des effets
socio-économiques, la détérioration de l'environnement.
S'inscrivant dans la droite ligne du document Stratégie
et plan d'action de Yokohama pour un monde plus sûr, la Convention cadre
d'assistance en matière de protection civile de Genève du 22 Mai
2000 est la manifestation la plus concrète de la volonté des
Etats de s'entraider et de se soutenir mutuellement en cas de catastrophes. En
effet, si des accords bi ou multilatéraux existaient déjà
en matière de gestion des situations d'urgence, il n'existait aucune
convention universelle portant sur cette question avant 2000. La Convention
cadre du 22 Mai 2000 a pour objectifs au sens de l'article 2 et du
préambule d'encourager et de faciliter la collaboration entre les Etats
en matière de protection civile tant dans les domaines de la
26 La réduction des risques et des
catastrophes: un défi pour le développement Rapport mondial
2004, PNUD, Piii.
27 Il existe un lien évident entre
catastrophes et pauvreté : la destruction des infrastructures et
l'érosion des moyens de subsistance sont les résultats directs
des catastrophes. Les pertes dues aux catastrophes ont aussi des liens avec
d'autres crises, financières, politiques, sanitaires et
environnementales, de même qu'elles peuvent aggraver ces
dernières. Ces pertes peuvent aussi faire reculer les investissements
sociaux visant à améliorer la situation en matière de
pauvreté et de famine, à fournir un accès à
l'éducation et aux services de santé ou à protéger
l'environnement, ainsi que les investissements sociaux visant à
améliorer la situation en matière de pauvreté et de
famine, à fournir un accès à l'éducation et aux
services de santé, ou à protéger l'environnement, ainsi
que les investissements économiques qui fournissent emplois et revenus.
Ainsi au delà des conséquences immédiates sur le plan
humain, les catastrophes influent directement sur l'économie du pays et
sur sa capacité de développement ; c'est le processus de
développement qui se trouve durablement ralenti, voire remis en cause,
accentuant encore le niveau de pauvreté des populations dans la zone
sinistrée. C'est ainsi que se met en place le <<cycle de
vulnérabilité >>. Et de toute évidence le coût
psychologique et économique d'activités de prévention est
moindre par rapport à celui de la gestion des catastrophes.
prévention, que des réponses
opérationnelles face aux catastrophes naturelles et celles dues à
l'homme. Elle est de nature à encourager les Etats à s'engager
encore plus activement dans la coopération en matière de
protection civile et à lever les obstacles qui pourraient nuire à
la mise en commun des ressources de protection civile, tout
particulièrement en cas d'imminence ou de survenue d'une catastrophe.
Cet appel à la coopération et à la solidarité
internationale entre Etats a été réitéré
à Hyogo au Japon à l'issue de la conférence mondiale sur
la prévention des catastrophes du 18 au 22 Janvier 2005 dans la
déclaration finale. La Déclaration de Hyogo tout en
réaffirmant la responsabilité qu'ont les Etats de protéger
les populations, les biens présents sur leur territoire, reconnaît
l'impact nocif des catastrophes sur le développement et la lutte contre
la pauvreté et appelle à plus de coopération entre les
Etats à travers l'instauration des partenariats volontaires et un
investissement commun de toute la communauté internationale. Quelques
années auparavant à l'occasion de la douzième
conférence mondiale de la protection civile sur le thème <<
La protection civile, instrument de la solidarité internationale face
aux catastrophes naturelles » convoquée par l'OIPC à
Genève en Juin 2001, les participants ont réaffirmé que
les structures nationales de protection civile demeurent les instruments
idoines de la solidarité internationale face aux catastrophes
naturelles, technologiques et dues à l'homme.
De toute évidence, l'idée de la
nécessité d'une solidarité internationale en cas de
catastrophes a été admise et consacrée par les Etats dans
divers instruments. S'agissant d'une nécessité dictée par
le devoir sacré qu'a chaque homme de sauvegarder la vie, les biens et
l'environnement sur son territoire, la communauté internationale
peut-elle et doit-elle se substituer à l'Etat défaillant pour
donner une réplique appropriée aux catastrophes même contre
la volonté de cet Etat ? C'est là tout le débat autour
d'un << devoir d'ingérence humanitaire » que certains auteurs
qualifient aussi de << droit d'intervention humanitaire ».
B- La question controversée d'un devoir
d'ingérence humanitaire ou d'un droit d'intervention
humanitaire.
Evoquée en politique internationale durant la guerre du
Biafra (1967-1970), l'expression de << droit » ou de << devoir
d'ingérence » à laquelle on a rapidement accolé le
qualificatif d'<<humanitaire » est apparue à la fin des
années 1980 sous la plume du Professeur Mario BETTATI, professeur de
Droit international public à l'université Paris II, et du Docteur
Bernard KOUCHNER, homme politique français qui fut l'un des fondateurs
de Médecins sans frontières. Ils voulaient s'opposer, selon
l'expression du second, à la << théorie archaïque
de la souveraineté des Etats, sacralisée en
protection des massacres >>. La nécessité de secourir les
populations en détresse imposerait en effet à chacun un <<
devoir d'assistance à un peuple en danger >> qui transcenderait
les règles juridiques traditionnelles28.
Selon l'Encyclopédie Wikipédia, << le
devoir d'ingérence est l'obligation qui est faite à tout Etat de
veiller à faire respecter le droit humanitaire international
>>29. Tout en refusant aux Etats membres de l'ONU tout
<< droit à l'indifférence >>, cette obligation
n'ouvre en principe aucun droit à l'action de force unilatérale
et doit plutôt être comprise comme une obligation de vigilance et
d'alerte à l'encontre de telle ou telle exaction qu'un gouvernement
serait amené à connaître.
Le Rapport de la commission internationale de l'intervention
et de la souveraineté des Etats intitulé <<
Responsabilité de protéger >> précise que les Etats
souverains ont la responsabilité de protéger leurs propres
citoyens contre les catastrophes qu'il est possible de prévenir. S'ils
ne sont pas disposés à le faire ou s'ils n'en sont pas capables,
cette responsabilité doit être assumée par l'ensemble de la
communauté des Etats. Le document final de la réunion
plénière de haut niveau de l'Assemblée
générale des Nations unies, au sommet mondial du 14 au 16
septembre 2005, adopté par les chefs d'Etat et de Gouvernement et
s'inspirant du rapport sus cité précise que lorsqu'une population
souffre gravement des conséquences de certaines catastrophes et
calamités, lorsque l'Etat en question n'est pas disposé ou apte
à mettre un terme à ces souffrances ou à les
éviter, la responsabilité de protéger prend le pas sur le
principe de non intervention. Il appartient alors à l'ONU d'agir dans le
cadre d'un dispositif d'alerte rapide conformément à l'article 24
de la Charte de l'ONU30. Pour M. Brice SOCCOL, << il parait
donc légitime que la protection des droits fondamentaux de l'individu ne
dépende plus du domaine réservé de l'Etat
>>31.
Comme on pouvait s'y attendre, une remise en cause aussi
flagrante de la souveraineté des Etats se heurte à de très
fortes réticences. La principale objection avancée est que la
notion de << devoir d'ingérence >> est incompatible avec le
principe fondamental de la souveraineté nationale reconnu par le droit
international et notamment l'article 2 paragraphe 7
28 L'idée n'est toutefois pas nouvelle. Hugo
GROTIUS dans son ouvrage De jure belli ac pacis avait déjà
abordé la possibilité d'intervenir dans le cas où un tyran
commettrait des actes abominables. Au dix-neuvième siècle, les
Européens baptisaient <<intervention d'humanité >>
leurs actions pour aller officiellement sauver les chrétiens vivant en
Turquie mais officieusement pour déstabiliser le Sultan de Turquie
ABDULHAMID II. Encyclopédie Wikipédia.
29 Tandis que le << droit d'ingérence
>>, terme crée par le philosophe Jean-François REVEL en
1979, est << la reconnaissance du droit qu'ont une ou plusieurs nations
de violer la souveraineté nationale d'un autre Etat, dans le cadre d'un
mandat accordé par l'autorité supranationale>>.
Encyclopédie Wikipédia.
30 Brice SOCCOL Relations internationales,
Orléans, Paradigme, Juin 2007, P34.
31 Ibid. P37.
de la Charte des Nations Unies32. Une
difficulté réside selon M. Peter WALKER dans la manière de
mesurer l'ampleur d'une catastrophe. Il n'existe à l'échelon
international aucune définition généralement
acceptée qui permette de savoir quel degré de gravité une
tragédie doit atteindre pour être qualifiée de catastrophe.
Il n'existe même aucun consensus quant aux paramètres à
utiliser pour déterminer l'étendue d'une catastrophe. Alors que
dans certains cas (tremblements de terre ou famine), le taux de
mortalité tient lieu de critère, dans d'autres cas (inondation),
des millions de personnes voient leur vie bouleversée mais le nombre de
morts est relativement peu élevé. Quel critère faut-il
donc utiliser pour définir une catastrophe appelant une ingérence
?33 Pour d'autres juristes, << le devoir d'ingérence
humanitaire >> ressemble un peu trop au colonialisme du
dix-neuvième siècle, propageant les valeurs de la
démocratie libérale et considérant les autres cultures
comme quantité négligeable. Il aurait tendance à
s'exprimer dans le chaud de l'action pour donner bonne conscience aux
téléspectateurs occidentaux, et à négliger les
conflits oubliés par les médias ou les détresses
chroniques34. Jean BRICMONT n'hésite pas à parler de
<< cheval de Troie idéologique de l'interventionnisme occidental
>>35. C'est ce qui explique peut être la condamnation en
1990 lors du sommet du G-77 réunissant les Etats les plus pauvres de la
planète de ce << prétendu droit d'intervention humanitaire
>>.
Rohan HARDCASTLE et Adrian CHUA proposent à la suite
des << Mohonk criteria for humanitarian assistance in complex
emergencies>> l'adoption d'un instrument international consacrant un
<< droit à l'assistance >> pour les victimes des
catastrophes et un << devoir de fournir l'assistance >> pour les
Etats36. En attendant et en l'état actuel du droit
international, Madame Patricia DE MOWBRAY représentant résident
du PNUD et coordonnateur résident du système des Nations Unies au
Cameroun en 2001 remarque que << l'assistance des partenaires
extérieurs ne peut que renforcer la capacité nationale pour
prévenir et gérer les catastrophes. En aucun cas ces partenaires
ne peuvent se substituer à la
32 L'article 2 paragraphe 7 de la Charte des
Nations Unies dispose: « Aucune disposition de la présente
charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui
relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat.
»
33 Peter WALKER << Les victimes des
catastrophes naturelles et le droit à l'assistance humanitaire : point
de vue d'un praticien >>, Revue internationale de la Croix-Rouge N°
832, 1998, PP 657-665.
34 Encyclopédie Wikipédia.
35 Jean BRICMONT Impérialisme humanitaire
Droits de l'homme, droit d'ingérence, droit du plus fort?
Cité par Serge HALIMI << Le danger des << bonnes
intentions >> Alibis humanitaires pour équipées
impériales >>, Le Monde Diplomatique, Mai 2006, P37.
36 Rohan HARDCASTLE et Adrian CHUA <<Assistance
humanitaire : pour un droit à l'accès aux victimes des
catastrophes naturelles >>, Revue internationale de la Croix-Rouge,
N° 832, P633-655.
volonté du Gouvernement pour parer à toute
éventualité de désastre ou risque majeur.
»37. En tout état de cause, l'intervention humanitaire
se déroule selon des modalités arrêtées à
l'avance par les Etats.
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