La recevabilité des requêtes devant la cour de justice de la CEMAC( Télécharger le fichier original )par Apollin KOAGNE ZOUAPET Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC) - Master en Relations Internationales, option Contentieux International 2010 |
SECTION II- POUR UNE POLITIQUE JURISPRUDENTIELLE PLUS LIBERALE DE LA COUR DANS L'APPRECIATION DE LA RECEVABILITE DES REQUETESLa libéralisation souhaitée des conditions de recevabilité des requêtes devant la CJC, sans induire une violation systématique de ces règles, permettraient un plus grand accès au juge, condition de l'effectivité du droit communautaire (paragraphe I). Le juge de N'djamena dispose pour cela de nombreux moyens textuels et non textuels (paragraphe II). PARAGRAPHE I- L'ACCÈS AU JUGE, CONDITION NÉCESSAIRE À L'EFFECTIVITÉ DE LA RÈGLE COMMUNAUTAIREPour le docteur Joseph Djeukou, « Le constat de l'existence d'un pouvoir communautaire s'impose d'une façon générale dans tous les domaines d'intervention des institutions de la CEMAC ; ce pouvoir s'exprime par le biais d'une diversité d'actes juridiques ou de normes édictés. Les difficultés de l'intégration économique dans la sous- région de l'Afrique centrale ne peuvent donc « être imputées à une inertie décisionnelle ou législative ». La recherche d'une plus grande efficacité du processus d'intégration doit être faite plutôt au niveau de l'effectivité des normes édictées par le pouvoir communautaire »278(*). La Cour de justice communautaire de la CEMAC en raison de sa nature spécifique (A) a un rôle déterminant à jouer dans cette Communauté de droit qui à la différence des Etats souffre d'une réelle légitimité démocratique (B). A- La nature spécifique de la juridiction communautaire.Aux termes de l'article 22 de la Convention CJC, celle-ci a une triple fonction : juridictionnelle, consultative et d'administration des arbitrages. La fonction judiciaire est elle-même divisée en quatre fonctions d'après le professeur Guy Isaac : justice administrative, justice constitutionnelle, justice internationale et justice régulatrice279(*). La première mission répond au souci de protéger les divers sujets de droit contre les agissements illégaux ou dommageables des institutions communautaires. Ensuite, la mission constitutionnelle de la CJC consiste à délimiter et défendre les compétences respectives des Etats membres et de la Communauté tout en préservant l'équilibre des pouvoirs à l'intérieur de celle-ci entre les institutions, organes et institutions spécialisées. Trancher les différends entre Etats membres sur l'interprétation ou l'application du droit communautaire ou les différends en connexité avec l'objet des traités, dès lors que les Etats décideraient de les lui soumettre en vertu d'un compromis, telle est la fonction de justice internationale de la Cour. Quant à la fonction régulatrice enfin, son objet est d'assurer l'unité d'interprétation et d'application du droit communautaire dans l'ensemble des Etats membres280(*). Si cette dernière fonction est assurée par le jeu du renvoi préjudiciel, les autres fonctions exigent une saisine de la Cour qui ne peut s'autosaisir par des requérants (1). Ensuite la place centrale de la Cour dans la protection de l'ordre juridique communautaire exige qu'elle apporte des précisions sur les questions fondamentales (2). 1- Le rôle constitutionnel de la CJC« La notion de constitution, écrit le docteur jean Kenfack, peut être appliquée aux traités fondateurs des Communautés étudiées et de l'OHADA. Quand bien même ces traités ne comporteraient pas de dénomination particulière, à l'instar de celles généralement utilisées dans nombre d'organisations internationales telles «charte constitutive», «statut» ou encore «chartes», ils sont bel et bien des actes constitutifs. A ce titre, leur objet est de créer un corps stable, doté de structures et de compétences de caractère permanent. Il en découle une «diversification des structures et des pouvoirs281(*) » ». Dans son célèbre arrêt Costa c/ ENEL du 15 juillet 1964282(*), la CJCE a refusé d'assimiler le traité instituant la Communauté européenne à une convention internationale classique. Elle va même à plusieurs reprises le qualifier juridiquement : une première fois dans son avis du 26 avril 1977 où elle recourra à la notion de « constitution interne », et à différentes reprises, notamment en 1986 et 1991 où elle posera à la suite d'un raisonnement très élaboré le principe selon lequel le traité forme « la charte constitutionnelle d'une communauté de droit »283(*). Le traité constitutif de la CEMAC ainsi érigé en constitution fait du juge communautaire un juge constitutionnel et la « Communauté de droit » proclamée véhicule des principes fonctionnels. « Juridiquement, tout d'abord, le principe qu'exprime la notion de communauté de droit est que les actes des institutions ne peuvent échapper au contrôle de conformité avec le droit primaire284(*) ». Or le juge communautaire ne peut s'autosaisir. Il ne peut exercer ses pouvoirs que si un requérant le lui demande. Il en résulte donc qu'un acte illégal de la Communauté ou d'un Etat que ceux-ci sont d'accord, tacitement ou explicitement, pour appliquer échappe à la censure du juge communautaire puisque personne ne l'en saisit. Une parfaite illustration est le cas de la situation que le juge Georges Taty déplore : pratiquement aucun renvoi préjudiciel en interprétation des juridictions nationales à la juridiction communautaire285(*). Cette dernière, devant le risque de voir se multiplier les poches de non droit ou de violation systématique du droit communautaire, devrait se montrer plus souple dans l'examen des conditions de recevabilité afin de pouvoir se saisir des questions de droit particulièrement importantes. Ensuite, l'idée de « communauté de droit » induit une idée d'autolimitation en amont et de sanction par le juge en aval. Comme le souligne le professeur Pierre-Yves Monjal, « C'est bien le citoyen-justiciable, ensuite, qui est au centre des enjeux de la communauté de droit. (...) Autrement dit, la communauté de droit donne aux requérants-citoyens des Etats membres de nouvelles fonctions leur permettant de compléter le contrôle politique traditionnel, et de limiter ou encadrer l'action de l'Etat286(*) ». Cette fonction du requérant-citoyen, qui est « constitutionnellement » protégée dans le traité constitutif, ne peut être remplie de façon efficace et effective que par un accès au prétoire communautaire. Le juge de N'djamena dans cette perspective devra donc se montrer plus libéral dans l'examen de la recevabilité des requêtes afin de faciliter ce contrôle démocratique, mais aussi parce que l'occasion serait ainsi donnée à la Cour d'affiner sa jurisprudence. * 278 J. Djeukou « La CEMAC, rétrospective et perspectives : réflexions sur l'évolution récente du droit communautaire de l'Afrique centrale », Juridis périodique, N° 47, juillet-août-septembre 2001, p.114. * 279 Isaac Op. Cit. pp.221-222. * 280 Ibid. * 281 Kenfack Op. Cit. p61. * 282 Aff. 6/64. * 283 P. Y. Monjal Les normes de droit communautaire, Paris, PUF, Que sais-je ?, p.17. * 284 Ibid. p.22. * 285 Mihia Op. Cit. p.21. * 286 P. Y. Monjal Op. Cit. p.23. |
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