La recevabilité des requêtes devant la cour de justice de la CEMAC( Télécharger le fichier original )par Apollin KOAGNE ZOUAPET Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC) - Master en Relations Internationales, option Contentieux International 2010 |
CHAPITRE IV : LA TENDANCE NAISSANTE A UNE LIBERALISATION DE L'ACCES AU JUGE COMMUNAUTAIRE.Comme nous l'avons précisé précédemment, la tendance du juge communautaire de CEMAC à une ouverture de son prétoire n'est pas constante et définitive. Au contraire, elle alterne avec la première tendance restrictive d'accès au juge. Reste que le juge de N'djamena à travers certaines décisions laisse percevoir une volonté encore embryonnaire mais certaine d'assouplir les règles de recevabilité rigoureusement édictées par les textes (section I), même si la Cour devrait à notre sens pousser plus loin cette démarche (section II). SECTION I : LA « PRUDENTE HARDIESSE » DU JUGE CEMAC DANS L'EXAMEN DE LA RECEVABILITE DES REQUETES.Le juge communautaire fait preuve d'une prudence toute particulière chaque fois qu'il lui faut se prononcer sur les conditions de sa saisine et l'étendue de ses pouvoirs juridictionnels, particulièrement lorsque les modalités des recours contentieux ont fait l'objet d'une définition précise par les dispositions détaillées de l'instrument conventionnel ou des règles de procédure. Cette politique jurisprudentielle d'autolimitation (paragraphe II) que les auteurs anglo-saxons qualifient ordinairement de « self-restraint » ou de « judicial caution »256(*) se manifeste d'ailleurs aussi bien dans la définition des conditions de recevabilité que dans la délimitation de l'objet du recours ou dans la délimitation de la portée des décisions juridictionnelles. On note toutefois une certaine audace de la Cour dans la protection des droits des particuliers (paragraphe I) PARAGRAPHE I- L'AFFIRMATION D'UNE CERTAINE VOLONTÉ DE RENFORCER LA PROTECTION DES DROITS DES PARTICULIERS.Le juge européen a eu à plusieurs reprises l'occasion d'affirmer la place des droits de l'homme au sein de l'ordre juridique communautaire. Il a notamment affirmé dans l'arrêt Nold que « les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme peuvent également fournir des indications dont il convient de tenir compte dans le cadre du droit communautaire 257(*)». Sans aller aussi loin et de façon aussi explicite, la CJC semble suivre cette voie notamment pour ce qui est du droit au procès équitable, plus précisément l'accès au juge à travers une interprétation téléologique de certaines conditions de recevabilité (A) et la prise en compte des exigences d'une bonne administration de la justice (B). A- Une interprétation finaliste de certaines conditions de recevabilité.La méthode téléologique est cette technique d'interprétation caractérisée par le recours aux objectifs fondamentaux des textes et surtout des Traités communautaires. Avec cette méthode, les dispositions d'un texte même vagues peuvent avoir un sens si elles sont replacées dans une perspective finaliste qui les a sous-tendues258(*). Même si elle n'est pas la méthode la plus utilisée par la CJC, la méthode d'interprétation téléologique utilisée parfois par la Cour place au coeur de son raisonnement l'objet et le but du texte. Il y a là un certain risque de subjectivisme de l'interprète et tout le problème consistera évidemment à déterminer avec un maximum de rigueur, la nature du but à prendre en considération. Dans les cas où il se livre à cette démarche, le juge de la CJC opte pour un objet et un but conçus comme des objectifs à atteindre, et donc susceptibles de progrès et d'extension. Dans l'affaire Assiga Ahanda Jean Baptiste c/ La BEAC, le juge de N'djamena adopte une interprétation originale de l'article 16 des Règles de procédure de la Chambre judiciaire : « Il est à relever que l'article 16 de l'Acte additionnel N° 04/00/CEMAC-041-CCE-CJ-02 portant règlement de procédure de la Chambre judiciaire de la Cour de justice de la CEMAC exige du requérant à peine d'irrecevabilité d'indiquer dans sa requête entre autres les noms, prénoms et adresses des parties ; Mais si l'adresse de la défenderesse n'apparaît pas tant dans la requête introductive d'instance que dans son mémoire, il y a cependant lieu de relever que les indications exigées à peine d'irrecevabilité ont pour but d'éviter toute confusion et surtout de pouvoir contacter la partie en cause qui n'est autre que la BEAC en l'espèce, la seule évocation de la Banque des Etats de l'Afrique centrale (BEAC) ou de son Gouverneur suffit pour contacter l'unique institut d'émission de la sous-région259(*) ». Cette position de la Cour tout en étant fort logique et louable tranche pourtant nettement avec ses positions précédentes260(*) où au nom du caractère d'ordre public des règles de recevabilité, elle a refusé tout aménagement ou assouplissement. Peut être le juge a-t-il plus évité la raideur que véritablement fait preuve de souplesse. Mais l'on ne peut nier que le juge communautaire tout en préservant la légalité opte pour une approche nouvelle en recherchant le but de la règle pour éviter la lecture formaliste et littérale du texte que suggère la BEAC, partie défenderesse. Plus ambigüe par contre est l'attitude du juge en matière de recours administratif préalable dans le contentieux de la fonction publique communautaire. En effet, alors que le juge a déjà identifié le but de ce recours261(*), il refuse d'admettre l'inutilité d'un tel recours alors que le résultat est déjà connu à l'avance. Dans l'espèce Okombi Gilbert c/ CEMAC262(*), le requérant a saisi la Chambre judiciaire d'un recours en contentieux de la fonction publique communautaire contre le Secrétaire exécutif de la CEMAC. Répondant au défendeur qui excipe une exception d'irrecevabilité pour non respect du recours administratif préalable de l'article 113 du Règlement portant statut des fonctionnaires du Secrétariat exécutif de la CEMAC, le requérant fait remarquer que le même texte oblige le Secrétaire exécutif à recueillir l'avis du Comité consultatif de discipline ; Comité également saisi dans le cadre du recours administratif de l'article 113. Or constate sieur Okombi, en dépit de nombreux recours hiérarchiques adressés au Secrétaire exécutif, ce dernier n'a pas jugé utile de se plier aux prescriptions de l'article 109 et de saisir le Comité consultatif de discipline dont il n'est d'ailleurs pas tenu de suivre les avis. Le demandeur constate donc la position intransigeante du Secrétaire exécutif qui rend sans objet une procédure précontentieuse dont le résultat est connu à l'avance. Refusant de confronter les obligations découlant des articles 109 et 113 dans la perspective finaliste de la règle du recours administratif préalable telle qu'elle l'avait précédemment formulée, la Cour opte pour un formalisme rigoureux en exigeant dans tous les cas l'application de l'article 113. Pourtant la Cour ne pourrait nier le rapprochement des articles 113 et 109 du Règlement portant statut des fonctionnaires du Secrétariat exécutif de la CEMAC puisqu'elle-même les confond263(*). L'interprétation téléologique que tente la Cour dans certains cas ne peut véritablement conduire à une application rationnelle des règles de recevabilité que si elle est systématisée et non, comme la jurisprudence de la Chambre judiciaire en donne l'impression, appliquée à la carte. Il y va de l'intérêt d'une bonne administration de la justice. * 256 Simon Op. Cit. p.725. * 257 CJCE, 14 mai 1974, Nold c/ Commission, aff. 4/73. * 258 Zankia Op. Cit. * 259 CJ/CJ CEMAC, arrêt N° 007/CJ/CEMAC/CJ/07 du 31 mai 2007. * 260 CJ/CJ CEMAC, aff. Galbert Etoua c/ CEMAC Op. Cit. ; aff. Dieudonné Nang Eko et autres Op. Cit. * 261 Voir supra, première partie, chapitre I, section II, paragraphe I, A (1). * 262 CJ/CJ CEMAC, arrêt N° 002/CJ/CEMAC/CJ/05 du 9 juin 2005. * 263 CJ/CJ CEMAC, aff. Madame Jeanne Lucie Lacot c/ EIED Op. Cit. |
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