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La recevabilité des requêtes devant la cour de justice de la CEMAC

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par Apollin KOAGNE ZOUAPET
Institut des Relations Internationales du Cameroun (IRIC) - Master en Relations Internationales, option Contentieux International 2010
  

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PARAGRAPHE II- UNE RETICENCE AVEREE À TEMPÉRER LES RÈGLES DE RECEVABILITÉ DES REQUÊTES

L'utilisation des méthodes les plus classiques d'interprétation stricte, telles que l'appel au sens clair et le recours au sens technique, est à elle seule significative de la prudence du juge communautaire à l'égard des limites formellement imposées par les Etats membres à la recevabilité des recours des particuliers, personnes physiques ou morales. Comme le relève le professeur Denys Simon, « cette rigueur, que le juge confesse par son impuissance à tempérer, résulte d'une rédaction dont la précision poussée jusqu'à l'inélégance, n'a d'autre justification que la volonté délibérée des auteurs du traité de couper court à toute tentative d'application compréhensive ». Cette impuissance du juge à tenter une application compréhensive s'illustre par une absence de la prise en compte des réalités sociologiques communautaires dans son raisonnement (B) mais surtout la difficulté qu'il éprouve à justifier en droit certaines décisions (A).

A- Une faible motivation des décisions.

Par motivation, il faut entendre « l'exposé, dans le jugement, des motifs de fait et de droit qui justifient le dispositif et non l'ensemble des raisons, des mobiles qui, dans l'esprit des juges, dans le cours de la discussion du délibéré, les poussent à prendre le jugement »240(*). Il s'agit là d'une obligation qui « est pour le juge aussi naturelle que celle consistant à respirer l'air environnant »241(*). Cette obligation s'impose plus nettement encore aux juridictions communautaires et la CJCE l'a clairement liée à une protection juridictionnelle effective et n'a pas hésité à affirmer que l'obligation de motivation constituait un principe général du droit communautaire. Cette volonté de motiver s'illustre par la longueur des décisions de la Cour dont le plus long arrêt comporte quelques six cent trente deux attendus et trois cent quatre-vingt sept pages, et du TPICE avec cinq mille cent trente trois attendus dans l'affaire des ciments242(*).

L'on est bien loin de la pratique de la CJC avec des arrêts de deux à dix pages où le juge se contente d'affirmer laconiquement que « attendu que cette demande est recevable en la forme » sans autres précisions de droit ou de fait sur la base juridique de cette affirmation243(*). Plusieurs explications pourraient être avancées pour justifier cette attitude du juge communautaire. D'abord sur le fond, le juge se veut l'interprète fidèle de la loi. Le style et l'étendue de la motivation doivent ainsi être rapprochés du légicentrisme. Le juge est soumis à la loi, d'où « des décisions courtes, économes de motifs, exempts de développements pathétiques, écrites dans un style ferme et concis, requis par une démarche essentiellement technique »244(*). En cela la faible motivation des décisions de la CJC est la meilleure preuve de son incapacité à avoir une quelconque emprise sur des règles de recevabilité immuables. Une autre explication de ce manque de motivation peut être tirée du statut de juge unique du juge de N'djamena. En effet, le soin pris par une juridiction à motiver ses arrêts, la longueur de cette motivation sont parfois une précaution dans et contre la perspective d'un pourvoi, un souci de convaincre la juridiction supérieure du bien fondé de celle-ci et aussi, plus formellement le souci d'éviter l'annulation pour l'obligation de motiver ses décisions. Si cet argument peut expliquer les longues motivations du TPICE, elle n'est pas pertinente pour la CJCE ou plus loin la Cour internationale de justice dont les arrêts sont abondamment motivés.

En réalité, la motivation de la décision vise trois buts que la CJC manque en ne se livrant pas à cet exercice. Le premier de ces buts est la légitimation de l'arrêt. En effet, la motivation a pour fonction primordiale la justification juridique de la décision, du dispositif. La Cour doit faire comprendre aux parties en litige la solution retenue. La motivation de la décision qui se prononce sur son litige a donc d'abord pour fonction de persuader le requérant que son dossier a été examiné dans toutes ses composantes. Or l'examen des rapports des juges rapporteurs et de la décision finalement rendue par la CJC montre que la Cour n'examine pas systématiquement tous les points soulevés par les parties, ce qui est acceptable, mais surtout ne s'en explique pas. Ce qui peut susciter une incompréhension, un sentiment d'injustice et donner l'impression d'une justice aux ordres des institutions communautaires ou des Etats. Ce sentiment est renforcé lorsque le juge donne l'impression de balbutier et d'hésiter en motivant ses décisions par les mauvais articles ou des articles qui n'édictent pas précisément ce qu'il affirme comme s'y trouvant245(*).

Ensuite et c'est là le deuxième but, la décision de justice est également destinée au juge lui-même. En motivant sa décision, le juge s'assure lui-même qu'elle est l'aboutissement d'un raisonnement rigoureux et non le résultat hâtif d'un examen trop sommaire de l'affaire246(*). Ainsi s'expliquerait le fait que le juge de la CEMAC consacre autant de solutions contradictoires sur le recours administratif préalable par exemple247(*). Peut être une motivation plus abondante lui aurait permis de remarquer la contrariété des deux raisonnements, à moins qu'elle ne ressorte tout simplement les subtilités qui distinguent les deux affaires et qui l'ont poussé à opter pour des solutions opposées.

Le troisième but de la motivation découle directement de cette dernière idée. La motivation tend aussi à garantir la cohérence du corpus jurisprudentiel, à inscrire l'arrêt à prononcer dans la suite des précédents jurisprudentiels. Sur ce point précis, la contrariété de certaines positions du juge de N'djamena pousse à penser que celui-ci adopte ce que le professeur Christophe Soulard nomme les « motivations/justifications »248(*), c'est-à-dire qu'il motive après coup des décisions qu'il a déjà arrêtées. Mais même dans ce cas, il devrait garder le reflexe du syllogisme juridique car les parties ne sont pas les seules destinataires des décisions. La jurisprudence de la CJC est créatrice de normes et ces normes sont énoncées au moins autant dans les motifs que dans le dispositif qu'elles rendent.

Ce qui est vrai en ce qui concerne les motivations avec la CJCE l'est encore plus avec la CJC : la construction communautaire ne peut se permettre des décisions faiblement motivées, notamment lorsque les particuliers sont parties au litige.

« D'une part, cela a été signalé, la jurisprudence varie dans bien des domaines, ce qui rend moins légitimes les renvois à une jurisprudence antérieure. D'autre part, les juridictions communautaires n'ont peut-être pas encore atteint ce stade du langage commun avec les juges nationaux et les parties intéressées (surtout les particuliers), qui les dispenserait d'une motivation substantielle, et ainsi d'un surcroit de légitimité249(*) ».

L'obligation de motiver ses décisions est d'autant plus impérative pour la CJC qu'elle est récente ; « la nécessité, pour une juridiction récente, d'asseoir sa légitimité, peut la conduire à recourir à des motivations particulièrement élaborées250(*) ». Paradoxe de la juridiction communautaire de la CEMAC, juridiction récente, qui non seulement ne motive pas assez ses décisions, mais en plus semble oublier le contexte sociologique dans lequel il se déploie.

B- L'ignorance des réalités sociologiques communautaires.

Selon le professeur François Rangeon

« un droit peut être effectivement appliqué sans pour autant être efficace, c'est à dire produire l'effet recherché : le respect méticuleux des procédures judiciaires peut par exemple avoir pour objet et pour effet de ralentir le cours de la justice et de rendre les sanctions inefficaces, mais il permet aussi d'assurer la protection des droits individuels. En sens inverse, l'efficacité est souvent un argument ou un alibi justifiant la non application du droit. (...) Inversement, l'effectivité recouvre un domaine plus large que l'efficacité. Les effets réels d'une loi sont souvent indépendants des effets escomptés. Une loi effectivement appliquée peut ainsi être inefficace au regard des intentions du législateur. L'excès de formalisme dans l'application de certaines règles conduit parfois à des résultats inverses de ceux recherchés par le législateur »251(*).

Ainsi, l'effectivité et l'efficacité du droit communautaire, par conséquent l'attitude de la Cour, restent tributaires des réalités sociologiques. Or en faisant preuve d'une telle rigueur interprétative alors même que son prétoire n'est pas particulièrement encombré, le juge communautaire semble faire fi de la réalité du comportement des citoyens communautaires et accroît ainsi l'ineffectivité du droit communautaire.

En effet, si le modèle référentiel de justice communautaire européenne a servi de source d'inspiration pour la mise en place de la CJC, l'on doit déplorer, que les traits essentiels du modèle européen aient été intégrés au modèle CEMAC sans être accompagnés des adaptations locales252(*). Le juge dans le contrôle de l'application effective de la règle de droit aurait pu et aurait dû même, faciliter l'accès à son prétoire à travers un assouplissement des règles de recevabilité. La seule connaissance de l'existence d'une règle de droit ne suffit pas. Il est nécessaire d'avoir la capacité d'appréhender les réalisations que ces règles ont entre elles, ou de déterminer les normes qui sont susceptibles de s'appliquer à une situation concrète donnée. Or l'existence même du droit communautaire est méconnue par la plupart des ressortissants des Etats d'Afrique centrale. Les raisons de cette méconnaissance ne sont pas seulement juridiques, mais sont également techniques et sociologiques et tiennent en grande partie aux limites des citoyens à assimiler une juridicisation mouvante de la société sujette à une « prolifération normative cancéreuse »253(*).

La conscience de cette méconnaissance des règles communautaires par le juge de N'djamena devrait l'inciter à tempérer la rigueur textuelle des conditions de recevabilité à travers par exemple l'admission d'irrégularités excusables susceptibles de régularisation. En effet, 

«  les actes juridiques communautaires ont pour caractéristique déterminante d'être soucieux d'effectivité. Or on sait que la traduction de ce souci en termes concrets passe nécessairement par la ponction de tous les éléments nocifs à l'application effective de cet arsenal normatif. L'essor des actes juridiques communautaires en dépend. Il est clair que ce dessein ne peut être réalisé que si toutes les énergies sont mobilisées et déployées vers l'apurement des sources d'érosion. En effet, l'érosion peut résulter de l'acheminement défectueux de l'acte de chacune des Communautés vers les destinataires. Certes, la maxime «nul n'est sensé ignorer la loi» demeure valable comme le souligne un auteur : «un système de droit positif qui accepterait que quiconque soit invocable à se prévaloir de ce qu'il ne connaissait pas le contenu d'une ou de plusieurs de ses prescriptions pour échapper aux obligations mises à sa charge et éviterait de subir les conséquences de leur inexécution» participerait à sa propre ruine. Seulement, il faut souligner qu'une connaissance effective de l'acte conforte la position du sujet de droit et surtout du justiciable en ce sens qu'elle développe ses capacités à actionner les mécanismes visant à faire respecter ses droits. Une défaillance sur ce point peut contribuer à l'érosion du dispositif juridique mis en place. L'affaiblissement peut également découler d'un engagement mou ou d'un appui déficient des sujets de droit au système mis sur pied 254(*)».

Par son impuissance à tempérer les règles de recevabilité et surtout leur stricte application, le juge de la CEMAC semble adopter une politique restrictive d'accès à son prétoire qui n'était déjà pas très couru. Cet état de fait s'explique par l'idée que :

« les mécanismes juridictionnels de l'Etat de droit laissent les populations d'autant plus indifférentes qu'elles en ignorent la signification et même souvent l'existence. L'analphabétisme, l'insuffisance des services judiciaires, les dépenses et les tracasseries sont autant d'handicaps pour l'accès au juge. L'incompréhension des textes légaux, la brièveté des délais de recours, la multiplication et la complexification des conditions de recevabilité des recours. La lenteur des procédures qui décourage les plaignants et les pousse à renoncer à leurs droits ou à rechercher une solution rapide et équitable dans la justice traditionnelle255(*)».

C'est peut être consciente des risques d'une telle démarche dans la construction de la « Communauté de droit » proclamée, que le juge de N'djamena adopte une attitude de plus en plus libérale dans l'interprétation des règles de recevabilité des requêtes.

* 240 D. Ritleng, « Commentaire de l'article de Philippe Maddalon », H. Ruiz Fabri et J.M Sorel (dir.) La motivation des décisions des juridictions internationales, Paris, Pedone, collection contentieux international, 2008, p.157.

* 241 B. Genevois « Remarques d'un praticien du contentieux administratif », Les motivations des décisions des juridictions internationales Op. Cit. p.225.

* 242 CJCE, 16 décembre 1975, Sniker unie, aff. 40 à 48, 50,54 à 56, 111, 113 et 114/73 ; TPICE, 15 mars 2000 ; voir Ritleng Op. Cit. Note 16.

* 243 Aff. Guerezebanga Op. Cit.; aff. Tasha L. Lawrence c/ Amity Bank du 16 mai 2002 Op. Cit.; aff. Tasha Loweh Lawrence c/ Decision COBAC D-2000/22 et Amity Bank Cameroon PLC, Sanda Oumarou, Anomah Ngu Victor Op. Cit.

* 244 F. Zénati-Castaing « la motivation des décisions de justice et les sources du droit », cité par Genevois Op. Cit.

* 245 CJ/CJ CEMAC, aff. Société Price Waterhouse Op. Cit.; aff. COBAC du 16 mai 2002 Op. Cit.

* 246 C. Soulard « Remarques d'un praticien du contentieux judiciaire », Les motivations des décisions des juridictions internationales Op. Cit. p.241.

* 247 Voir supra, chapitre I, section II, paragraphe I, A (1).

* 248 Soulard Op. Cit. p.242.

* 249 P. Maddalon « La motivation des décisions des juridictions communautaires », Les motivations des décisions des juridictions internationales Op. Cit. p.159.

* 250 Soulard Op. Cit. p.246.

* 251 F. Rangeon « Réflexions sur l'effectivité du droit », Les usages sociaux du droit, Centre de recherches administratives et politiques de Picardie, 1989, p.131.

* 252 Chamegueu Op. Cit.

* 253 Ibid.

* 254 Kenfack Op. Cit. pp.367-368.

* 255 Chamegueu Op. Cit.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand