Université Paris III - Sorbonne Nouvelle
F.C.P.3 - Formation Continue Paris III
De l'illettrisme et de la lutte contre les situations
d'illettrisme : proposition d'un nouveau dispositif d'aide à la
maîtrise des outils
de la culture écrite à l'intention de
jeunes adultes
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Mémoire de DESS Relations Interculturelles
mention Echanges Interculturels
Sous la direction de Monsieur Michel Cadot
Tuteur de recherche : Monsieur François Girard
Jean-Paul Chouard
Décembre 2005
SYNTHESE
1) Si « écriture » signifie inscription et
d'abord
institution durable d'un signe [...], l'écriture en
général couvre tout le champ des signes linguistiques. Dans ce
champ peut apparaître ensuite une certaine espèce de signifiants
institués, « graphiques » au sens étroit et
dérivé de ce mot, réglés par un certain rapport
à d'autres signifiants institués, donc « écrits
» même s'ils sont « phoniques ».
2) Il faut maintenant penser que l'écriture est
à la fois plus extérieure à la parole, n'étant pas
son « image » ou son « symbole », et plus intérieure
à la parole qui est déjà en elle-même une
écriture.
3) La langue n'est pas seulement une espèce
d'écriture, comparable à l'écriture [...] mais une
espèce de l'écriture.
Jacques DERRIDA, De la Grammatologie,
INTRODUCTION
Ce triple exergue est destiné à attirer
l'attention du lecteur sur ce que le monde de l'écrit,
l'écriture, la lecture, entretient, nécessairement, comme
relations avec l'univers de l'oral, de la parole, de la langue. Nous voulons,
ici, surtout suggérer toute la complexité, les difficultés
ressenties et l'immensité de la tâche à pouvoir comprendre
et rendre compréhensible ce qui constitue l'univers de l'écrit,
sa maîtrise et les propriétés particulières de ce
monde « sur le papier ».
Avant d'examiner les situations d'illettrisme vécues
par les individus acteurs sociaux, potentiellement pluriels (nous le verrons
plus tard), il nous paraît important de porter un éclairage sur
l'univers de l'écrit et ce qui le constitue afin de mieux prendre la
mesure des relations à créer, à recréer avec les
jeunes adultes vivant des situations difficiles, des relations complexes avec
cet univers, source multiple de frustrations et autres désordres
psychologiques, sociaux et culturels.
Lorsqu'on parle de l'univers de l'écrit
(écriture, lecture, signes, alphabet, culture écrite, lexique,
syntaxe, grammaires, logique ...), en toute logique, nous faisons la liaison
avec ce qui constitue le monde de l'oral (parole, langage, langue, tradition
orale, discours, voix, sons...). Depuis très longtemps, dans la
civilisation occidentale, les philosophes, les psychologues, les linguistes,
les sociologues et tous les spécialistes des sciences humaines ont
posé et ont animé ce débat, source de questions,
affirmations, controverses et polémiques. Il ne nous appartient pas ici
d'en exposer les lignes et l'histoire car ce n'est pas vraiment notre propos
mais il est inévitablement lié de manière indirecte
à notre recherche.
De cette manière, nous avons choisi d'aborder et de
préciser, dès à présent, les relations
qu'entretient la langue avec la lecture, en prenant, déjà, des
positions que nous estimons recevables ou tout du moins cohérentes avec
notre cadre de réflexion général.
Dans son essai L'univers de
l'écrit1, David R. Olson défend la thèse,
et nous ne sommes pas loin d'en être convaincu, selon laquelle
l'écriture n'est pas une transcription de la parole, mais fournit pour
celle-ci un modèle et des structures à acquérir ; ainsi,
nous reportons un intérêt, conscientisé, sur notre langue
en faisant appel aux éléments constitués par
l'écrit.
Les pratiques que recouvre le concept de lecture sont
extrêmement variées ; les activités les plus diverses,
elles aussi, ont leur place dans ce que nous appelons la lecture
compétente de textes particuliers, dans un objectif précis. Des
catégories comme celles de compétences de base ou de
maîtrise fonctionnelle de l'écrit (le « littérisme
») ne peuvent rendre compte de l'ensemble de cet éventail
d'activités. Au titre de définition provisoire, nous pourrions
dire que la lecture consiste en une redécouverte/postulation de
l'intention qui y est adressée au lecteur dont les justifications
peuvent être trouvées dans les preuves graphiques disponibles.
La lecture, comme on l'interprète
généralement, consiste à transformer des marques
graphiques en formes linguistiques. On peut presque tout « lire »
dans le sens le plus général mais la restitution verbale d'un
écrit n'est qu'une partie de la lecture. Cette lecture concerne ce qui a
été dit, mais pas la manière dont il faut le comprendre.
La lecture consiste à retrouver ou à déduire les
intentions de l'auteur (la valeur d'illocution2) au moyen de la
reconnaissance des symboles graphiques.
1 OLSON, David R., L'univers de l'écrit,
éd. RETZ, Paris, 1998
Nous pouvons concevoir la maîtrise de l'écrit,
à la fois comme une situation cognitive et sociale, la capacité
à participer à l'activité d'une communauté de
lecteurs qui ont accepté des principes de lecture et un accord pour
travailler à l'interprétation fidèle ou acceptable des
textes.
Différentes formes d'écrits font accéder
à la conscience divers aspects du langage ; toute écriture peut
être verbalisée ou lue, et donc toute écriture est un
modèle pour la parole. Les écritures que l'on peut
considérer comme représentant les propriétés
lexicales et syntaxiques de ce qui a été dit sont celles qui
produisent les niveaux de conscience nécessaires à la formation
des dictionnaires, des grammaires, des logiques et des rhétoriques.
Aucune écriture ne nous donne un modèle correct
de la valeur d'illocution. Apprendre à faire avec ce qui a
été perdu lors de la transcription nous incite à former,
mettre à jour et réviser nos croyances sur la pensée du
monde représenté. La culture écrite contribue à la
pensée, dans ce sens qu'elle transforme les pensées
elles-mêmes en objets de réflexion. Il devient intéressant
d'essayer de déterminer le sens des mots et de leur donner une
définition. Cela transforme les idées en hypothèses, en
déductions, en suppositions qui peuvent être transformées
en savoir par l'accumulation de preuves. La culture écrite y contribue
d'abord en transformant les mots et les propositions en objets de savoirs, puis
en transformant la valeur d'illocution d'un énoncé (le
problème de l'intentionnalité) en objet de
discours.3
2 Parole qui est par elle-même une action
dans une langue et une relation sociale données. Elle exprime une
assertion, un ordre, une promesse, une question, etc. En français, elle
est marquée par l'ordre des mots, les signes de ponctuation, le mode du
verbe, etc. Ex. « Qu'il entre ! » L'analyse de la force
illocutoire des actes du langage donne lieu à une logique
illocutoire qui peut être complexe. In Nouveau vocabulaire de la
philosophie et des sciences humaines, MORFAUX, Louis-Marie, LEFRANC, Jean,
éd. Armand Colin, 2004.
3 p. 285-312, in L'univers de l'écrit,
op. cité.
Notre projet « Pour un nouveau dispositif d'aide à
la maîtrise de la culture écrite à l'usage des jeunes
adultes » ne pouvait être abordé sans ces remarques
liminaires que nous estimons fondamentales afin de mieux saisir
l'intérêt de nos réflexions qui suivent.
La certitude est comme un ton de voix selon lequel on
constate un état de faits, mais on ne conclut pas de ce ton de voix que
cet état est fondé.
Wittgenstein, De la Certitude.
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