IV - Services sociaux, activités avec l'entreprise
et vie associative.
De 1870 à 1914, de véritables villes usines
apparaissent avec des quartiers neufs, les cités ouvrières,
groupés autour des industries137. L'urbanisation de la
vallée de la moyenne Moselle et à ce sujet très
significative. Ainsi, Thaon, qui en 1870 avait 550 habitants, vit en moins de
quarante ans sa population multipliée par 13. Les industriels des Vosges
se sont rendus compte de bonne heure qu'après avoir créé
des usines productrices de milliers d'emplois, ils devaient mettre à la
disposition de leurs ouvriers des services sociaux138. Ils ont fait
construire tout d'abord des maisons appelées casernes pour les loger.
Ils ont ensuite multiplié les caisses de secours et de retraite, les
sociétés coopératives, les crèches et les oeuvres
culturelles.
Ce paternalisme est alors indispensable. Les villages de la
montagne vosgienne où les filatures et les tissages fonctionnent, sont
en effet démunis de tout. Face aux afflux de population, les
municipalités sont débordées. Habitués à
régler journellement des problèmes techniques et humains, les
manufacturiers et leurs directeurs jouent un rôle de plus en plus
important dans leurs communes respectives. Leurs initiatives stabilisent une
main-d'oeuvre mouvante et transforment l'aspect des vallées vosgiennes.
Ecoles, crèches, hospices, fonctionnent à la fin du XIXe
siècle à Zainvillers et à Moyenmoutier. De nombreuses
caisses de secours ont été fondées dans les Vosges, comme
celle d'Albert Lung qui, en 1889, se trouve alimentée par une retenue de
2 % réalisée sur le salaire des 555 membres.
Depuis les lois d'avril 1898, le régime légal
des sociétés de secours mutuel se trouve clairement
défini. Les employeurs sont désormais responsables des accidents
se produisant dans leurs manufactures. Ils doivent indemniser
pécuniairement les victimes et assumer les dommages. Les textes
permettent ainsi la concrétisation d'une véritable institution du
risque professionnel. Afin de favoriser l'accès à la culture, la
femme d'un industriel, Mme A. Kampmann a fondé une bibliothèque
populaire pour les ouvriers139. En 1912, elle crée
également une université, ouverte à tous, qui hélas
ne peut survivre à la guerre de 1914.
Un des exemples les plus significatifs est celui de la
blanchisserie teinturerie de Thaon, qui a accueilli et employé un grand
nombre d'Alsaciens. A. Lederlin fonde la société de secours
mutuels en 1872, tous les ouvriers en font partie (sauf femmes mariées),
qui dispose d'un capital de 267 603 francs en 1908140. Suivent un
économat, puis une boulangerie coopérative, puis une
société civile anonyme coopérative à capital
variable qui a pour objet « l'achat, la préparation, la confection
et la vente aux associés et au public des denrées et marchandises
servant à
137 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 167-196, « la
société vosgienne ».
138 G. Poull, op. cit., « les services sociaux des
entreprises textiles vosgiennes », p. 407.
139 Ibid, « dans le monde du travail, quelques
améliorations ».
140 G. Poull, op. cit., « la BTT », p. 410.
l'alimentation, à l'habillement, à
l'enseignement et autres usages courants » qui prend pour raison sociale
« Société de coopération de Thaon ». Une caisse
d'épargne voit le jour (intérêt 5 %),
complétée par une caisse d'épargne scolaire et une caisse
de retraite alimentée par les ouvriers et la direction de
l'établissement dont le capital accumulé est de 1 000 000 en
1900. A. Lederlin reçoit en 1878 une médaille d'or pour ces
diverses réalisations. Il multiplie les constructions de cités
ouvrières et les créations de terrains de culture à bon
marché. Il donne également une impulsion vigoureuse à
l'enseignement primaire, élémentaire et supérieur à
Thaon141. Des cours de dessin, de travail manuel et une
bibliothèque publique sont institués. Des sociétés
de chant, de musique instrumentale, de tir et de gymnastique voient le jour.
L'édification d'un établissement de bains et de douches
complète cet ensemble de services sociaux. Enfin, pour lutter contre
l'alcoolisme Armand Lederlin fait installer dans son usine des « bars
distribuant du café chaud et du vin à 0,05 franc la portion
», avant 1901. Quelques années plus tard on remet aux jeunes
ouvriers et ouvrières à midi un sandwich de 100 grammes de viande
cuite entre deux tranches de pain, en vue de lutter contre l'anémie. Les
directions successives de la B.T.T. s'attachent à développer
cette importante série d'oeuvres sociales destinées à
accroître le bien-être de leur personnel au cours de la
première moitié du XXe siècle. En 1913 commence la
construction du Foyer social, édifice imposant qui comprendra une salle
des fêtes, un gymnase, des salles de cours et un
balnéum142.
Des caisses de retraite performantes fonctionnent dans
certaines entreprises143. Les églises et chapelles de
plusieurs villages de notre département sont édifiées ou
reconstruites avec l'argent fourni par les industriels textiles. La
participation aux bénéfices ne semble avoir été
instaurée que dans une seule firme vosgienne, les établissements
« Steinheil, Dieterlin et Cie », de Rothau. La direction attribue de
manière collective des fonds provenant des diverses institutions
fondées au cours des décennies précédentes pour le
bien-être du personnel. Ce dernier se trouve intéressé aux
bénéfices et aux pertes avec un taux de 10 %144.
141 G. Poull, op. cit., pp. 375-435.
142 Ibid.
143 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 199-207, « retraites
ouvrières et sociétés de secours ».
144 Ibid.
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