Conclusion :
Ainsi les Allemands en résidence dans les Vosges
à l'aube de la Première guerre mondiale sont en grande
majorité des Alsaciens, industriels du textile. Ils dirigent parfois de
grandes entreprises comportant plusieurs usines disséminées dans
le département et qui peuvent avoir conservé des relations
commerciales avec l'Alsace. Ce secteur fait également travailler de
nombreux ouvriers d'origine alsacienne, très nombreux dans la
vallée de la Moselle, comme à Thaon (blanchisserie-teinturerie).
Le reste de la main-d'oeuvre allemande des Vosges est occupée dans les
autres industries traditionnelles du département (carrières
notamment) ou d'autres qui se développent (exemple la
métallurgie), ainsi que quelques personnes dans le secteur du commerce
ou de l'hôtellerie.
Au-delà de cet état des lieux de leur situation
professionnelle, il est intéressant de comprendre tous les aspects
corrolaires à l'exercice du métier.
Chapitre 2 : Les aspects liés au travail.
Ce qui concerne les Vosgiens dans les aspects liés
à la situation professionnelle concerne bien sûr les Allemands et
les Alsaciens du département. La IIIe République a accordé
le droit syndical, le repos hebdomadaire, et réglemente la durée
du travail. Mais le patron reste tout puissant tant au niveau économique
qu'au niveau politique. L'ouvrier ne peut échapper au carcan
instauré par le chef d'entreprise. En 1900, près de 80 % des
ouvriers vosgiens sont logés dans des cités ouvrières
construites autour de l'usine. Le patron paternaliste entend ainsi attirer et
fixer la main-d'oeuvre tout en veillant avec vigilance sur l'existence
quotidienne de ses ouvriers104.
Répondant aux besoins de logement adapté aux
nouvelles normes de l'hygiène et d'équipements collectifs
appropriés, l'initiative patronale présente des avantages
certains au niveau du confort. Mais trop souvent, ces cités ont une
singulière apparence de camp de concentration. Les vacances
payées n'existent pas et le repos hebdomadaire est bien
incomplètement appliqué. La législation sociale reste fort
discrète. La journée de douze heures est habituelle. La
maternité, la maladie, le chômage, la vieillesse, posent
d'angoissants problèmes aux ouvriers et aux employés. Les
institutions de prévoyance fondés par le patronat et les
sociétés de secours mutuels, ne sont que des
palliatifs105.
La République, basée sur l'alliance de la
bourgeoisie et du monde rural, ne se préoccupe guère des «
questions ouvrières ». La combativité est faible. La
main-d'oeuvre constituée à 35 % de femmes et d'enfants, ainsi que
l'absence d'une élite ouvrière dans l'industrie textile,
expliquent le nombre restreint de militants syndicaux au regard de l'effectif.
La vie au jour le jour, le manque d'épargne, l'insécurité,
l'impossibilité d'accéder à la culture, définissent
la condition ouvrière. Si la forme physique de l'ouvrier connaît
une sensible amélioration, par contre la consommation d'alcool augmente
notablement et devient le principal fléau. Entre 1895 et 1905, les
salaires progressent en moyenne de 7%. Bien évidemment, ils varient
selon le sexe et la qualification. Dans l'industrie, les hommes touchent
environ 4,35 francs ; les femmes à peine la moitié. Celles qui
travaillent à domicile se contentent souvent de 1,25 francs par
jour106.
Les ouvriers vosgiens proviennent en grande majorité du
terroir. Paysans déracinés, ils s'adaptent plus ou moins bien
à leur nouvelle situation. Dans les cités usines, on est ouvrier
de père en fils et les rapports avec les ouvriers paysans qui ont
conservé des racines rurales, s'avèrent souvent difficiles. De
nombreux conflits éclatent aussi entre la population ouvrière
vosgienne de souche et les travailleurs d'origine étrangère, par
exemple les Alsaciens des usines107.
104 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 197-222, « relations
patrons/ouvriers ».
105 Ibid.
106 G. Poull, L'industrie textile vosgienne :
1765-1981, Rupt-sur-Moselle, chez l'auteur, 1982, 475 p., pp.
375-435.
107 Ibid.
I - L'usine, rapports hiérarchiques, conditions de
travail.
Les rapports entre ouvriers et patrons semblent, dans les
Vosges, moins difficiles que dans d'autres régions108. Les
grèves déclenchées pour des problèmes de salaire ou
de durée du travail n'ont que rarement des conséquences
dramatiques. Dans l'ensemble, les travailleurs font preuve d'une certaine
modération et quelques industriels accomplissent de réels efforts
afin d'améliorer le sort de leur personnel. Ainsi, avant que ne soient
promulguées les lois sur les retraites et l'assistance, certaines
entreprises ont créé différentes caisses de retraites ou
de secours.
Toutefois, les patrons ont du mal à comprendre que
l'obtention par la classe ouvrière du droit de grève et du droit
d'association ont engendré des modifications profondes dans le monde du
travail. Le directeur de l'usine, représentant du patron tout puissant
dont il détient une partie des pouvoirs, assure la marche de
l'entreprise109. Sa personnalité et ses capacités
influencent fortement les relations entre les diverses catégories
d'employés. Les contremaîtres répercutent ses ordres et
assurent une discipline rigoureuse d'autant plus facilement que les ouvriers
vosgiens dans leur grande majorité sont peu spécialisés.
Dans l'industrie textile, l'apprentissage s'effectue sur le tas en quelques
semaines.
Désormais les employés se font entendre sur des
questions aussi fondamentales que la durée de la journée de
travail et le montant du salaire110. D'ailleurs leur situation tant
morale que matérielle va en s'améliorant. Pourtant par manque
d'éducation, les ouvriers ne savent tirer des lois sociales tout le
bénéfice possible. La majorité reste en dehors des grands
mouvements syndicaux et la loi sur les retraites ouvrières
n'enregistrera qu'un accueil bien mitigé. La situation de l'ouvrier
agricole, du journalier ou du domestique de ferme, ne progresse que bien
lentement. Les Allemands et Alsaciens sont quelques-uns dans ce cas. Ils
demeurent étroitement liés à leur employeur, astreints
à un travail long et pénible, sans garanties suffisantes. Leur
place dans la production les situe dans la même classe que les ouvriers
de l'industrie. Aux champs comme à l'usine, les salaires évoluent
sur le même rythme. L'existence se trouve toujours régie par des
habitudes spécifiques.
Malgré l'exode et les progrès de
l'industrialisation, la classe rurale occupe encore une large place dans la vie
économique et sociale du département111. Malgré
une existence encore primitive dans de nombreux endroits, les ruraux commencent
à s'émanciper. On enregistre une déchristianisation
progressive des campagnes112.
108 J.-P. Claudel, op. cit, pp. 197-222.
109 G. Poull, op. cit., « l'usine et son univers », p.
199.
110 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 197-222
111 Ibid, « les paysans ».
112 Ibid.
Les conditions de travail, horaires, disciplines et
productions, sont fixées par des règlements
sévères113. Dans les usines vosgiennes de textile en
1911, l'horaire journalier est de 10 heures. Le dimanche est le seul jour
férié de la semaine114. Les ouvriers travaillent en
moyenne durant 260 heures chaque mois. Ils sont présents chaque jour de
six heures trente à onze heures le matin et de treize heures à
dix-huit heures l'après-midi. Les règlements d'atelier sont
modifiés en fonction des changements intervenus dans la
réglementation du travail dans les usines. En 1911-1914, ils sont
souvent identiques à celui qui est rédigé par les
dirigeants de l'usine du Pont de Lette à Rupt-surMoselle le 22 mars
1911. Ce dernier prévoit qu'à l'issue d'une période
d'essai d'une semaine, durant laquelle il pourra quitter l'établissement
quand il voudra, l'ouvrier qui vient d'être embauché et son
employeur « seront tenus à une dénonciation
réciproque de quinze jours, qui devra être faite le 15 ou à
la fin de chaque mois, pour prendre effet à la fin de la quinzaine
suivante. Celle des deux parties qui aura manqué à cette
obligation sera tenue de verser à l'autre partie, à titre de
dommages et intérêts, une somme de 20 francs. »115
Ce délai de dénonciation est porté à un mois et les
dommages et intérêts à 40 francs pour les
contremaîtres. De nombreux cas de renvoi immédiat sont
prévus : insultes au directeur ou à son représentant,
absence de plus d'une journée dans la semaine sans autorisation, mauvais
travail volontaire, vol, immoralité et ivresse publique dans les
ateliers. La paie « sera faite deux fois par mois, conformément
à la loi du 7 décembre 1909 ». Des amendes de 1 à 5F
sont prévues pour tous ceux qui contreviennent à l'un ou l'autre
des 26 articles de ce règlement116.
En outre, les ateliers encombrés, aux machines sans
protections et aux multiples courroies de transmission, représentent de
réels dangers. Les accidents sont nombreux et plongent souvent la
famille ouvrière dans la misère. Dans l'industrie textile,
l'environnement s'avère particulièrement malsain et l'ouvrier
prend bien peu de précautions d'hygiène. Dans les filatures, la
poussière rend le travail pénible. Dans une grande
majorité, la besogne dans les usines textiles reste très dure et
la condition physique des ouvriers ne peut guère s'améliorer dans
un tel contexte. Les femmes comme les enfants apparaissent plus exposées
et beaucoup plus vulnérables que les hommes. Arrachée à
son foyer, l'ouvrière doit trimer du matin au soir. Les femmes sont plus
frappées par le chômage que les hommes, subissent
brutalités et brimades. Les célibataires peuvent à tout
moment être contraintes à la solitude ou au vagabondage ; une
situation précaire que sait exploiter le contremaître racoleur et
indélicat. Sans emploi, il ne leur reste alors plus qu'à
retrouver leurs parents au village, se livrer à la prostitution ou
mourir de misère117.
113 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 197-222, « un travail
malsain et pénible ».
114 G. Poull, op. cit., pp. 190-210.
115 Ibid.
116 Ibid.
117 J.-P. Claudel, op. cit., pp. 197-222, « la
société vosgienne ».
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