III - Réfugiés.
Les autorités militaires et civiles se concertent pour
que soit progressivement résolue la question des évacués
non-suspects. L'économie régionale et la défense nationale
ne peuvent se passer plus longtemps du réservoir de main-d'oeuvre qu'ils
représentent. Les vallées des Vosges sont des lieux
d'implantation d'importantes filatures, tissages, usines métallurgiques,
chimiques, etc., qui sont demandeuses de « bras »423.
Ainsi, à partir de 1915, l'engagement des
Alsaciens-Lorrains peut prendre une autre forme que le service armé
classique : le décret du 27 juillet instaure en effet un service
spécial. « Tout homme dégagé de ses obligations
militaires soit par son âge, soit par réforme ou exemption peut
être admis à contracter un engagement spécial pour la
durée de la guerre pour remplir un emploi déterminé
»424. Ainsi le volontaire alsacien-lorrain refusé comme
« poilu » devient-il fréquemment infirmier. Les deux types de
service sont conditionnés par une visite médicale. Seuls ceux qui
ont été refusés pour le service armé sont
présentés pour le service spécial. L'exigence physique
requise est en effet moindre. Les ministères de la Justice et de la
Guerre sont d'accord pour admettre que cette forme d'engagement confère
la nationalité française au contractant alsacien-lorrain qui en
formule la demande dans le cadre de la loi du 5 août 1914425.
L'élargissement progressif des catégories éligibles au
rapatriement ne suffira pourtant pas à résorber totalement la
population retenue dans les dépôts libres et
surveillés426.
L' « Association pour l'Aide Fraternelle des
Alsaciens-Lorrains » concentre ses efforts sur les «
Alsaciens-Lorrains évacués par l'ordre des autorités
civiles ou militaires et groupés, au moins à titre provisoire,
dans certaines localités du territoire »427. La
première préoccupation de la commission du Placement a
été de trouver du travail pour les réfugiés, soit
dans l'industrie, soit dans la culture. Certaines sociétés et
entrepreneurs ont ainsi apporté une aide précieuse dans les
Vosges : Société Lorraine Dietrich, Compagnie française
des métaux, Kahn, Lang et Cie, Ancel Seitz & Cie, Fritz Koechlin et
Blanchisserie de Thaon.
Mais la commission de placement rencontre des activités
de plusieurs ordres : elle « a reconnu bientôt qu'il fallait
renoncer à placer des Alsaciens-Lorrains dans certaines régions
trop voisines de la zone des armées, ainsi que dans certaines
localités où la population voyait d'un mauvais oeil des
étrangers apporter une concurrence à la main-d'oeuvre
indigène. » Ce sentiment
423 H. Mauran, op. cit., p. 454.
424 Ibid.
425 H. Mauran, op. cit., p. 416.
426 Ibid.
427 H. Mauran, op. cit. Preuve de l'influence des responsables de
l'Aide fraternelle, le ministre de l'Intérieur adresse, dès le 23
février, à tous les préfets une circulaire pour «
accréditer l'association auprès d'eux » et la
« recommander à leur bienveillance. »
s'explique d'autant plus facilement que parmi les
réfugiés se trouvent des jeunes gens en âge de porter les
armes, qui viennent ainsi prendre des places occupées auparavant par des
fils ou des maris partis au front. La commission s'est heurtée aussi aux
rigidités administratives en matière de déplacements :
ceux-ci ne sont possibles qu'après entente entre le préfet du
département de départ et le préfet du département
d'arrivée428. Les garanties exigées par
l'administration de la part des employeurs freinent aussi parfois les bonnes
volontés.
Enfin, une circulaire du ministre de la guerre du 16 avril
1917 signale qu' « en raison de l'insuffisance de la main-d'oeuvre, le
ministère de l'Intérieur a fait appel à l'Association
Nationale d'Expansion Economique pour qu'elle lui apporte son concours en vue
de l'utilisation méthodique des internés civils austro-allemands
qui exerçaient une spécialité avant la déclaration
de guerre »429. Dans cette perspective sont sollicitées
les listes de recensement pour permettre aux industriels de choisir en
connaissance de cause ceux qu'ils croiraient susceptibles de pouvoir leur
être utiles.
Les réfugiés sont pendant le conflit
sommairement hébergés dans des logements individuels ou
collectifs, surtout des hôtels, réquisitionnés à cet
effet430. Ceux qui se trouvent en état de travailler se
voient proposer des emplois, notamment dans les usines de guerre où ,
par mesure de sécurité, on évite d'utiliser les
prisonniers. Mais les personnes déplacées, traumatisées
par l'exode et la fréquente séparation d'avec leur famille,
souvent inadaptés aux tâches offertes, ne rendent pas toujours les
services qu'on attend d'elles. Les réfugiés, pour leur part, se
plaignent des défaillances de l'accueil et de la faible
rétribution de leur travail. Leurs hôtes fustigent alors la
paresse, l'ingratitude, voire la malhonnêteté de ces
résidents forcés. Ainsi, en octobre 1914, le maire de Cannes
dénonce « les réfugiés franco-belges (...), tous
animés du plus mauvais esprit... exigeants, indisciplinés,
irrités parce que vous leur refusez l'autorisation de retourner chez
eux. »
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