II - Prisonniers de guerre.
Parmi les hommes immédiatement et facilement
utilisables figurent les prisonniers de guerre. Ceux-ci, groupés en
équipes plus ou moins importantes, sont dirigés vers l'industrie
et surtout l'agriculture, les travaux publics, la manutention. Les
résultats se révèlent bientôt inégaux. Les
captifs, souvent isolés par la barrière de la langue, ne sont pas
toujours qualifiés pour le travail qui leur est imposé et ne font
pas preuve de la plus grande ardeur. Certains essaient de fuir vers la Suisse
ou l'Espagne. Quand ils sont reconnus en chemin, ils se trouvent pris en chasse
comme du gibier par les paysans effrayés et quelques-uns sont abattus.
Les autorités hésitent à poursuivre les auteurs de tels
homicides pour ne pas décourager les particuliers de participer à
la recherche des fuyards. Ceux qui restent longtemps dans le même lieu de
travail finissent par habituer les Français à leur
présence et inspirent des sentiments moins hostiles. Dans les fermes
surtout, où les employeurs français et prisonniers vivaient
très proches les uns des autres, peut naître une certaine
cordialité, voire, dans quelques cas, une idylle entre tel beau captif
et sa patronne415.
Dans les Vosges, les archives évoquent le camp de Rasey
Xertigny qui abrite des prisonniers de guerre, sans beaucoup de
précision416. Mais surtout on dispose, grâce au travail
de Jean-Marie Lambert417, de détails sur le camp de travail
de la Compagnie de prisonniers de guerre N°171 basé à
Champé Le Syndicat entre 1916 et 1919.
La guerre est grande destructrice de routes et de voies de
chemin de fer, aussi le besoin en matériaux d'hérissonnage pour
asseoir la réfection et la fabrication indispensable de voies
d'accès se fait très tôt sentir. Dès avril 1916, le
capitaine Andriot, de la VIIe Armée (sous-groupement routier du col
d'Oderen, compagnie C/8 du 4e génie), est chargé de recenser et
réquisitionner des carrières pouvant fournir du ballast. Tout
naturellement, sa requête est adressée à la mairie de la
commune du Syndicat. En effet, ce n'est un secret pour personne que sur le
territoire des HautesVosges, l'industrie du pavé est depuis
déjà quelques temps très florissante. Le 13 avril 1916, le
secrétaire de mairie adresse au capitaine Andriot les renseignements
suivants : quatre carrières de granit pour la fabrication de
pavés, appartenant à la commune, sont exploitées à
Bréhavillers, Bémont, Plaine et Le Mourot. Si la commune loue ces
accrières à la Société Anonyme des Granits
porphyroïdes des Vosges, elle se réserve le droit d'utiliser toute
chute de pavés et moellons pouvant servir de pierres à
macadam.
415 R. Schor, op. cit., pp. 30-44.
416 A.D.V., 8 M 12, op. cit.
417 Jean-Marie Lambert, « Un camp de travail de prisonniers
allemands : la Compagnie P.G. 171 à Champé, Le Syndicat 1916/1919
», in Le Pays de Remiremont, n°4, 1981, pp. 71-72.
Hérissonner signifie aujourd'hui couvrir (un mur) d'une couche de
mortier que l'on n'égalise pas et qui reste pleine
d'aspérités.
Pour une raison que l'on ignore, aucun de ces sites n'est
retenu et c'est finalement au hameau de Champé que l'armée va
ouvrir une entreprise d'extraction ; à cet endroit, les roches sont
fracturées au point d'empêcher toute exploitation, si ce n'est
pour le ballast. Et bientôt, les baraques d'accueil se dressent dans les
prés, des coups de mines ébranlent la contrée. Mais cette
roche abattue nécessite d'être réduite et convoyée.
Il faut pour ce faire aménager un moyen de transport et trouver du
personnel. Les hommes valides sont bien entendu enrôlés dans les
rangs de l'armée, où ils sont employés à des
tâches autrement glorieuses. Les prisonniers allemands vont fournir cette
main-d'oeuvre indispensable et par ailleurs introuvable418.
Depuis 1915, la région n'est plus une zone de combats
et Remiremont, devenu quartier général de l'Armée des
Vosges (VIIIe Armée), est un centre d'hébergement et de triage
des prisonniers de guerre que la proximité de la frontière
amène régulièrement. Ceci explique certainement la
décision prise. Et le chantier s'organise à l'intérieur
d'une double enceinte de barbelés. Une voie de raccordement est
posée, cinq ou six wagonnets, dirigés à partir d'une
plaque tournante sur tout un réseau qui distribue divers endroits de la
carrière, vont déverser le produit du travail dans des wagons sur
la voie de chemin de fer proche. Fin 1916, deux concasseurs viennent
améliorer la production et sans doute pallier la défaillance
sûrement volontaire de l'homme et de sa massette.
Evidemment, le prisonnier allemand ne voit aucun
intérêt à satisfaire l'ennemi, son hôte. Sans doute,
l'indiscipline est-elle fréquente et très vite, on voit
s'ériger une construction maçonnée comportant peu
d'ouvertures, bâtiment à l'intérieur duquel des cellules
abritaient les récalcitrants et les évadés repris, car on
s'évade couramment de cette acrrière où trois cents hommes
environ, gardés par une demi-douzaine de cadres de l'armée,
doivent poser davantage de problème qu'apporter une contribution
quelconque au redressement national419. Trois de ceux qui ont sans
doute la nostalgie des fêtes religieuses dans leurs familles tentent la
belle la veille de Noël 1917. C'est mal connaître les rigueurs du
climat dans nos montagnes ; épuisés, ils sont repris en Alsace.
Et nous avons un témoignage de punition bien dure pour ces malheureux :
la pelotte, qui consiste en une marche de cinquante minutes, chargé de
quarante kilos de moellons sur le dos puis, après une pause de 10
minutes, de nouveau la même marche, cela pendant un mois ; seule la nuit
passée en cellule permet de se rétablir. Heureusement, à
cette saison, les journées sont courtes dans notre
région420.
418 J.-M. Lambert, op. cit., pp. 71-72.
419 Ibid.
420 Ibid.
Un état du matériel passé en consigne par
la compagnie P.G. 171 à la municipalité du Syndicat est mis
à disposition le 1er février 1919. Le camp comporte ainsi
à l'époque des prisonniers allemands quatre baraques Adrian, deux
baraques ordinaires, dont une maréchalerieforge pour les outils et
ferrage des chevaux, deux cuisines, une baraque douche, un caveau-cellule et un
en semble hangar et écurie. Le matériel sur place est
composé de 297 châlits (bois de lit), 8 bas-flancs, 544
paillasses, 30 tables, 35 bancs et 11 poêles (fourneaux). Cet inventaire
conforte les témoignages indiquant 300 personnes environ sur le site
(297 lits, 544 paillasses, 2 par lit) et il n'y a guère de doute quant
à l'authenticité des affirmations relevées dans ces
enquêtes. Le camp semble avoir été occupé ensuite
par la 21e batterie (compagnie) du 4/208e Régiment d'Artillerie jusqu'au
14 avril 1919, où nous relevons un état du matériel
restant après leur départ. A cette date, l'état est
très amoindri puisque entre temps du matériel a été
distribué au 107e Régiment d'Artillerie lourde cantonné
à Peccavillers le 22 février 1919, au 23e Régiment
d'Infanterie caserné à Remiremont le 24 février 1919,
à la 41e division du Génie 7/2 le 21 février 1919.
Après le départ de cette batterie, du matériel sera
octroyé au même 208e Régiment d'Artillerie, 21e SMI
à Dommartin les 20 et 25 avril 1919421. Après
l'évacuation des lieux par l'Armée, l'état vendit
l'outillage par adjudication (barres à mines, masses et massettes,
concasseurs, etc.) et la carrière fut mise en sommeil jusqu'en 1930
environ422.
421 J.-M. Lambert, op. cit., pp. 71-72.
422 Ibid.
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