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Immigration volontaire ou forcée des allemands et des alsaciens-lorrains dans les Vosges (1911-1920)

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par Clément Thiriau
Université Nancy II - Master 2 d'histoire contemporaine 2007
  

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Conclusion :

Le séjour et la circulation des Allemands au tournant de la guerre (1916-1917) est poussée à son paroxysme. Il n'est pas question de relâcher le contrôle au moment où les hostilités vont basculer peut-être décisivement et où la moindre erreur peut coûter cher. Quelques évolutions majeures surviennent, comme les cartes d'identité d'étranger et de travailleur étranger. Les Vosges accueillent quelques dépôts de triage et camps d'internement pour civils allemands, notamment à Soulosse et Bulgnéville.

350 Ibid, 14/01/1918.

351 Ibid.

352 J.-M. Lambert, LAMBERT (Jean-Marie), « Un camp de travail de prisonniers allemands au Syndicat. La Compagnie P.G. 171 à Champé, Le Syndicat 1916-1919 », in Le Pays de Remiremont, 1981, n°4, pp. 71-72.

Chapitre 2 - Le traitement spécial des Alsaciens-Lorrains.

Le sort des Alsaciens-Lorrains est toujours particulier pendant le conflit et ils sont traités de façon spéciale : officiellement Allemands donc ennemis, ils sont considérés comme des Français en puissance. En 1916 le titre d' Alsacien-Lorrain remplace la mention « sujet allemand » dans les documents officiels353. Mais ils font encore l'objet d'une surveillance et d'un contrôle strict et dur : dans les Vosges des cas suspects sont ainsi signalés en 1916 à Saint-Dié ou encore à Thaon, lors d'un incendie à la blanchisserie teinturerie354. Ils sont également les grandes victimes de la politique française d'évacuation et d'internement355. Le nombre d'Alsaciens-Mosellans en France va augmenter au cours de la guerre : réfugiés civils, déserteurs profitant des combats sur le sol français pour s'enfuir356. En 1916, ceux qui ont été internés retrouvent la liberté dès que les autorités ont acquis la certitude qu'il ne s'agit pas d'Allemands vivant en Alsace357.

Au 31 décembre 1915 3 550 Alsaciens-Lorrains étaient en résidence dans les Vosges, dont 1197 hommes, 1284 femmes et 1069 enfants notamment dans les arrondissements de Saint-Dié, Remiremont et Epinal358. Au 1er juillet 1916, ils sont au nombre de 5050 dans les Vosges, ce qui en fait le premier contingent immigré du département à cette date, devant les Italiens359.

Après les balbutiements des années 1914-1915, le contrôle administratif de la population alsacienne et lorraine s'appuie sur une définition se voulant aussi raisonnée et rigoureuse que possible de ce mot composé : « Alsacien-Lorrain »360. Les instructions de l'Arrêté du 1er janvier 1916 ne sont pas applicables aux Alsaciens-Lorrains qui restent provisoirement sous le régime ancien361. Les Alsaciens-Lorrains d'origine française, restent donc soumis en ce qui concerne la circulation aux mêmes instructions que les sujets français362. Il importe dans les documents administratifs, à la rubrique « nationalité » de les qualifier d' « Alsaciens-Lorrains d'origine française » et non point de « sujets allemands ». Les Alsaciens-Lorrains n'ayant pas cette origine seront considérés comme étrangers. Fin 1916, il existait quatre dépôts de triage où la commission de classement examinait une fois par mois les prisonniers qui y étaient envoyés après leur arrestation : Besançon, Blanzy, Fleury-en-Bière et La Ferté-Macé.

353 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.

354 A.D.V., 8 M 191, Enquêtes - Surveillance de sujets alsaciens (1914-1918).

355 H. Mauran, op. cit., pp. 381-474.

356 Janine Ponty, op. cit., pp. 91-122.

357 Ibid.

358 A.D.V., 4 M 495, liste des sujets alsaciens en résidence dans le département au 31/12/1915.

359 A.D.V., 4 M 403, recensement semestriel des étrangers en résidence dans les Vosges, 01/07/1916.

360 H. Mauran, op. cit., p. 446.

361 A.D.V., correspondance préfet des Vosges - maires et commissaires de police vosgiens, 05/02/1916.

I - La machine administrative.

Les autorités françaises classent les Alsaciens-Lorrains alors présents sur le territoire français en quatre groupes : ceux qui se trouvaient déjà en France au moment de la déclaration de guerre ; les réfugiés, c'est-à-dire les personnes qui ont pu quitter volontairement les régions annexées depuis le début de la guerre ; les Alsaciens-Lorrains habitant les pays alliés ou neutres qui sont venus en France ; et ceux qui ont été évacués d'Alsace-Lorraine « par les soins de l'autorité militaire, soit pour les soustraire à la mobilisation allemande, soit pour des motifs d'ordre militaire »363.

Dans les trois premiers groupes figurent des individus à qui ont été remis des permis de séjour dès le début des hostilités. Les autres cas sont examinés par la Commission Interministérielle des Otages et Evacués alsaciens-lorrains, généralement dans des dépôts de triage, pour être classer dans trois grandes catégories, chaque catégorie déterminant un type de régime. La catégorie N°1 regroupe ceux qui sont « considérés comme d'attitude incertaine et de sentiments douteux », les fonctionnaires rémunérés par l'Etat allemand, les prostituées, les marchands ambulants et les forains, les romanichels, les repris de justice. Ils sont pourvus d'une carte blanche et jouissent d'une liberté relative364 : leurs droits de déplacement et de résidence se trouvent limités. Les réfugiés, c'est-à-dire les personnes qui avaient pu quitter volontairement les régions annexées depuis le début de la guerre, présumés de sentiments francophiles, reçoivent une carte tricolore, gage de leur loyauté, et peuvent prétendre, s'ils ont un travail, à l'allocation de réfugiés ou à être reçus dans des dépôts libres s'ils ne parlent pas la langue française (catégorie n°2). Enfin, ceux qui sont « suspects au point de vue national » (catégorie S), à savoir des Alsaciens-Lorrains ayant tenu des propos hostiles, les déserteurs de dépôts d'internement, les personnes sur qui pèsent des présomptions d'espionnage sans que la preuve de leur culpabilité puisse toutefois être établie.

Par ailleurs, à partir de 1916, la Légion étrangère cesse enfin d'être le passage obligé, même s'il n'était en principe que symbolique, pour les Alsaciens-Lorrains désireux de s'engager. Par décision du 29 février 1916, une commission à l'intérieur de chaque bureau de recrutement est créée pour examiner le cas de chaque candidat365. La commission comprend trois personnes originaires d'Alsace-Lorraine. Le ministère de la Guerre décide que les officiers et sous-officiers inaptes à faire campagne, tenant garnison dans la ville où se trouve le bureau de recrutement ou à proximité de celle-ci, seront employés en priorité.

362 A.D.V., 4 M 401, circulaire du général commandant en chef Joffre, 07/05/1916.

363 C. Maire, op. cit., p. 19.

364 C. Maire, op. cit., p. 20.

365 H. Mauran, op. cit., p. 416.

A défaut d'officiers, il est possible d'en appeler à des civils présentant les « garanties nécessaires », mais un officier au moins devra leur être adjoint. Selon le lieutenant-colonel Carré, cette décision efface l'effet désastreux de la loi du 5 août 1914 qui aurait constitué une véritable maladresse de la part du gouvernement à l'égard des Alsaciens-Lorrains.

Pour régler la situation des Alsaciens-Lorrains dans la zone des armées, une Commission militaire est instituée en 1916 avec mission de statuer sur le régime à appliquer à chacun d'eux366. Cette commission fonctionnant à l'Etat-Major de la VIIe Armée est habilitée à délivrer une carte d'identité spéciale aux Alsaciens-Lorrains d'origine française. D'ailleurs le préfet vosgien demande aux maires du département de lui transmettre la photographie de face (4 cm X 4 cm) des individus concernés en vue de l'établissement de cette carte d'identité spéciale367. La présentation de cette carte permettra aux maires de délivrer à tout Alsacien-Lorrain qui en sera titulaire dans leur localité, le sauf-conduit prescrit par la nouvelle instruction sur la circulation pour les citoyens français, à condition de mentionner sur le dit sauf-conduit le numéro de la carte présentée.

Parallèlement, l'administration a défini sa position vis-à-vis des nombreux Alsaciens évacués par l'Autorité militaire dans une série de textes déposés aux Archives départementales des

Vosges : rapport du Préfet, du 11 novembre 1915, et circulaires du préfet aux maires, des 14 septembre 1916 et 26 novembre 1917368.

Les Alsaciens-Lorrains évacués des territoires occupés sur le territoire national à la suite d'événements militaires sont des réfugiés, comme tels astreints à ne pas quitter la commune dans laquelle ils ont été affectés, sans autorisation de la VIIe Armée, et ils sont bénéficiaires d'une allocation de 1,25 F par personne et par jour369. S'inspirant de sa décision du 16 septembre 1916 et des instructions du Général commandant en chef du 23 septembre, qui autorisent dans certains cas l'allocation d'un traitement de disponibilité aux fonctionnaires alsaciens évacués en France, le ministre de la guerre décide que les administrateurs militaires des territoires occupés pourront, après avis des préfets, accorder l'allocation mensuelle de 15 F aux anciens combattants alsaciens de 1870-71 qui sont réfugiés dans les départements français370.

Le bénéfice de ces allocations est primitivement réservé aux ayant droits résidant en Alsace reconquise. Mais, par dépêche du 28 septembre 1917, N° 763, le président du Conseil, ministre de la Guerre, en autorise l'extension aux anciens combattants alsaciens réfugiés en France. Ces allocations seront imputées sur le budget des Territoires et envoyées par mandat-poste aux

366 A.D.V., 4 M 401, circulaire préfectorale à l'intention des maires vosgiens, 02/08/1916.

367 A.D.V., 4 M 401, correspondance préfet des Vosges - maires et commissaires de police vosgiens, 14/09/1916.

368 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.

369 Ibid.

370 A.D.V., 4 M 533, correspondance ministère de la guerre, service d'Alsace-Lorraine - Painlevé, 28/08/1917.

intéressés. Enfin il sera possible de délivrer du bois de chauffage aux évacués alsaciens réfugiés à Cornimont et aussi à ceux qui se trouvent à Saulxures. Ce bois sera pris dans les forêts domaniales de Cornimont et du Géhant371.

En outre, il a paru au ministre de l'intérieur que dans le but d'établir une liaison entre les municipalités et les Alsaciens, il serait désirable que dans les localités où il existe un nombre important de réfugiés alsaciens (Val d'Ajol, Cornimont, Saulxures, etc.) un Alsacien soit adjoint au secrétaire de mairie, pour recevoir les demandes de ses compatriotes et s'entremettre pour les faire examiner (mesures de septembre en faveur des Alsaciens évacués par l'Autorité militaire)372. Mais la correspondance qui leur est adressée d'Allemagne via la Suisse est contrôlée par les commissions militaires de Pontarlier, le courrier soumis au contrôle postal373. La surveillance des personnes est menée conjointement par l'armée et par la police, ce qui ne manque pas d'entraîner des conflits de compétence, l'armée ayant tendance à considérer les évacués comme de son seul ressort. Les soumettre à l'obligation du carnet d'étranger, c'est renoncer à ce pourquoi la France se bat, les assimiler aux Français, c'est violer le droit international.

Ainsi ces Alsaciens sont munis d'une carte blanche qui fixe pour chacun d'eux, après accord avec l'Etat-Major de l'Armée, les communes du territoire national à l'intérieur desquelles ils sont autorisés à circuler dans les mêmes conditions que les citoyens français374. En juillet, le Général en chef autorise les Alsaciens évacués collectivement pour raison de péril de guerre sur le territoire de la VIIe Armée à utiliser la carte d'identité blanche comme carte de circulation dans le périmètre fixé sur leur carte375. Cette faveur est limitée à la circulation dans la zone réservée sans donner la faculté d'en sortir. Les cartes d'identité devront pour être ainsi utilisées porter visa du Général commandant la Division de la résidence des intéressés.

En vue de l'établissement des cartes spéciales réservées aux Alsaciens-Lorrains réfugiés, ycompris les enfants âgés de plus de 12 ans, un avis vosgien du 23 novembre 1917 invite les individus concernés à se présenter à la mairie de leur commune pour fournir tous les renseignements nécessaires sur leur état-civil et apporter les pièces justificatives qu'ils possèdent376. L'Autorité Militaire préparera la nouvelle carte qui sera remise à chacun en échange de la carte dont ils sont actuellement porteurs.

371 A.D.V., 4 M 533, correspondance conservateur des eaux & forêts du 9e arrondissement - préfet vosgien, 29/06/1916.

372 A.D.V., 4 M 533, correspondance ministre de l'intérieur - préfet vosgien, 03/11/1917.

373 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.

374 Ibid.

375 A.D.V., 4 M 401, correspondance VIIe Armée, Etat-Major - préfet des Vosges, 15/07/1917.

376 A.D.V., 4 M 401, avis municipal, 23/11/1917.

En exécution de l'arrangement conclu avec l'Allemagne et relatif à des rapatriements réciproques d'enfants, les enfants allemands ou alsaciens-lorrains se trouvant actuellement en France libre ou en Alsace réoccupée et réclamés par leurs parents restés en Allemagne ou en Alsace-Lorraine annexée, sont renvoyés en Allemagne, par la Suisse, dans le plus bref délai377. En juillet, 4 enfants alsaciens sont transférés en Suisse, remis aux déléguées des Oeuvres suisses qui doivent ensuite les conduire à leurs parents en Allemagne378. Trois d'entre eux étaient venus de l'orphelinat de Thann s'installer à Vagney et le dernier résidait à Gérardmer.

Les Alsaciens-Lorrains sont aussi parfois porteurs de la « carte d'identité et de circulation pour travailleurs coloniaux et étrangers », créée par le ministère de l'Intérieur en avril 1917. La Direction des Etapes et des Services (DES) du Groupe Armé Est (GAE) se voit rappeler dans une note de synthèse émanant du Bureau des services spéciaux de l'Etat-major général, que les Alsaciens qui sont « nettement » d'origine française reçoivent une carte chamois qui donne un pouvoir de circulation plus étendu ; que les Alsaciens « d'origine allemande » doivent être porteurs du carnet d'étranger, avec indication d'un périmètre de circulation qui sera « en principe » celui porté sur leur carte blanche.

La lettre du général commandant en chef du 4 août 1916 codifie le droit au retour379. Les évacués qui souhaitent retourner dans leurs foyers en Alsace-Lorraine doivent adresser une demande au général commandant la VIIe Armée par l'intermédiaire du ministre de l'Intérieur. La décision est prise sur avis du préfet de l'Alsacien et du capitaine administrateur de son domicile antérieur à la guerre. Dans le cas où le rapatriement est autorisé, un sauf-conduit est adressé à l'intéressé directement par l'entremise du préfet de sa résidence actuelle. Lorsqu'il s'agir de jeunes Alsaciens, de 17 à 25 ans, les autorisations de rapatriement sont soumise au général commandant en chef qui les adresse au ministre de l'Intérieur380. Les résidents alsaciens-lorrains peuvent également subir des mesures administratives arbitraires, comme le retrait ou la non-délivrance d'un passeport, tel Albert Malaisé, en situation irrégulière en 1917.

377 A.D.V., 4 M 514, circulaire du ministre de l'intérieur, 07/06/1917.

378 A.D.V., 4 M 514, rapatriements d'étrangers de nationalités ennemies, 12/07/1917.

379 H. Mauran, op. cit., p.454.

380 H. Mauran, op. cit., p. 455.

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