III - Dépôts et centres de triage pour civils
allemands dans les Vosges.
Les camps d'internés civils se distinguent des
cantonnements et des détachements de prisonniers de guerre et sont plus
des espaces sociaux qui remplissent surtout une fonction globale de
contrôle. Dans les zones d'opérations existent de nombreux
dépôts de ressortissants de puissances ennemies338. Au
milieu de 1915, le nombre des internés civils était de 21 000
dont 7 500 Allemands et 4 600 Austro-Hongrois339. Après le
temps des évacuations massives, un dispositif de filtrage s'est mis en
place dans l'est de la France. Ainsi, au fil de l'année 1915, la
politique d'internement se rationalise, notamment avec l'intervention
bénéfique des commissions de triage, la mise en oeuvre d'une
typologie plus rigoureuse, le renforcement des prérogatives de
l'Inspection générale des services administratifs
(IGSA)340.
Le peuple des camps d'internement est composé en fait
de civils ennemis susceptibles de saboter de l'intérieur l'effort de
guerre français. On les classe en trois catégories : «
dangereux, suspect, indésirable »341. Les civils n'ont
pas réussi à quitter la France à temps, ils sont aussi des
ressortissants de pays ennemis capturés en mer ou internés
administrativement dans les territoires d'outre-mer. S'ajoutent à ces
hommes suspectés de pouvoir constituer une cinquième colonne, un
nombre considérable de femmes, d'enfants et de vieillards qui peuvent
être classés dans une catégorie particulière
située entre l'otage et l'interné. Beaucoup d'Allemands et
Austro-Hongrois furent donc internés à partir de 1915, parfois
après enquêtes, dans des dépôts répartis sur
tout le territoire, les permis de séjour étant
réservés à des cas spéciaux. Après l'accord
d'échange du 13 janvier 1916, le nombre des internés tomba
à moins de 10 000342.
Les Alsaciens-Lorrains repérés par les
administrations civiles et militaires passent désormais
généralement par les camps de triage à Bellevaux
(Besançon), Blanzy (Saône-et-Loire), Fleuryen-Bière
(Seine-et-Marne) et La Ferté-Macé (Orne). Ils sont ensuite
séparés d'autres catégories : réfugiés
français, ressortissants de puissances ennemies, prostituées.
Après un séjour plus ou moins long, ils sont soit
libérés, soit dirigés, en fonction de leur
catégorie, vers l'un des trois types de dépôts existants :
les dépôts libres, à destination de la catégorie
n°2, c'est-à-dire ceux qui sont titulaires de la « carte
tricolore » (Doubs, Ardèche), les dépôts
surveillés, à destination de la catégorie n°1,
à savoir ceux titulaires de la « carte blanche »
(Vendée, Ardèche) et les dépôts de suspects,
à destination de la catégorie S, sans carte
spécifique343.
338 H. Mauran, op. cit., pp. 381-474.
339 R. Schor, op. cit., pp. 30-44.
340 H. Mauran, op. cit., p. 461.
341 Ibid.
342 J. Dupaquier, op. cit., pp. 60-70.
343 H. Mauran, op. cit., pp. 455-456.
Les dossiers d'individus alsaciens domiciliés dans les
Vosges avant la guerre et évacués sur l'intérieur du pays
dans l'intérêt général de l'armée sont
nombreux, environ 80344. Ils passent généralement par
le centre de triage de Besançon, comme Peter Diehlmann en 1916. Mais
prisonnier de guerre, il est rapatrié à l'hôpital
Saint-Maurice d'Epinal, pour son état de santé, où il
était traité auparavant. C'est la Mission Catholique suisse en
faveur des prisonniers de guerre qui a sollicité cette
requête345. Les soeurs Amélie et Elisa Brini,
Alsaciennes, sont évacuées de Thaon, où elles
étaient infirmières à la Blanchisserie, pour Dijon.
Certains sont dirigés directement vers les camps spéciaux de
l'intérieur : en Haute-Marne, Haute-Loire, camps de Baccarat, Manche,
Tatihou, Puy-de-Dôme, Doubs346.
Certains évacués alsaciens résidant
précédemment dans le département demandent à
revenir mais étaient assez mal vus en général. Ainsi
Jean-Baptiste Genet et son épouse, évacués au Puy
(Haute-Loire), ont été autorisés en 1916 à
retourner à Golbey. L'état des laissez-passer accordés en
1915 fait état de 15 individus nantis, venus surtout de Thann. Plusieurs
demandes pour se rendre dans les Vosges émanent d'autres
évacués sans lien avec le département. Beaucoup demandent
à être libérés et autorisés à aller
dans les Vosges347.
Dans les Vosges on trouve des traces de quelques centres de
dépôts ou de triage d'AustroAllemands ou d'Alsaciens-Lorrains.
Tout d'abord, le camp de Soulosse est évoqué
comme un « centre d'évacuation » qui n'aurait
fonctionné qu'au début de la mobilisation et sans le
contrôle de l'autorité militaire348. C'est en fait un
camp de concentration provisoire où des étrangers ont
été réunis dès la mobilisation, avant d'être
évacués dans l'intérieur par l'Autorité militaire.
Les informations et la connaissance même des contemporains sur ce camp
sont très réduites, comme en témoigne le ministre de
l'Intérieur dans une correspondance de juillet 1917 : « Les
officiers qui le dirigeaient ont reçu des affectations que j'ignore et
je n'ai jamais pu obtenir le moindre renseignement sur les diverses directions
assignées aux individus qui y avaient été
rassemblés »349. Néanmoins, deux hommes sont
signalés comme y ayant séjourné : Lorang Gaspard (1916,
sujet allemand) y a été dirigé avant internement vers
autre part et Mathieu Reiss (1917).
Le camp de Bulgnéville est un cas un peu similaire. Le
ministre de l'Intérieur constate d'ailleurs le 14 janvier 1918 : «
Il n'est pas possible de fournir des renseignements sur les personnes
évacués qui sont passées par le camp de concentration de
Bulgnéville au début de la
344 A.D.V., 4 M 496, op. cit.
345 A.D.V., 4 M 496, Ministère de l'Intérieur,
23/07/1917.
346 Ibid.
347 Ibid.
348 A.D.V., 4 M 496, op. cit., 23/07/1917.
349 A.D.V., 4 M 496, Ministère de l'Intérieur,
23/07/1917.
mobilisation. Le personnel exclusivement militaire qui
assurait le service est actuellement dispersé et n'a laissé
aucune documentation »350. Un certain Auguste Acker, Allemand,
15 ans et demi, aurait été évacué de
Lunéville sur le camp de Bulgnéville en 1915. Mais il ne figure
pas sur la liste des étrangers étant passé au camp de
concentration de Bulgnéville, du 2 au 12 août 1914. Juliette Nunge
et son enfant y auraient été également de passage en 1916,
ainsi que Boech Joseph, 1915. Tous les étrangers passés à
Bulgnéville à cette époque ont été
dirigés sur Voisey (Haute-Marne) le 12 août 1914351.
Enfin, depuis 1915, la région du Syndicat et de
Remiremont n'est plus une zone de combats et Remiremont, devenu quartier
général de l'Armée des Vosges (VIIIe Armée), est un
centre d'hébergement et de triage des prisonniers de guerre que la
proximité de la frontière amène
régulièrement352.
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