Conclusion :
1915 correspond à l'affirmation d'un système de
contraintes et de surveillance très organisé vis-à-vis de
la circulation et du séjour des étrangers. Il est
chapeauté par les autorités dirigeantes nationales et
l'Etat-major, l'application des directives étant réalisée
localement par les préfectures et autres instances administratives
locales.
Les ressortissants allemands présents dans les Vosges
sont alors recensés rigoureusement et leur cas fait parfois l'objet
d'enquêtes minutieuses visant à débusquer
d'éventuels espions ou indicateurs potentiels pour l'ennemi. Le sort des
Alsaciens-Lorrains s'organise très précisément et
distingue ceux qui sont d'origine française de ceux qui ne le sont pas.
Un seul cas de mariage miexte est évoqué pour 1915. La
dénommée Hecklé, d'origine alsacienne, résidant
à Châtel sur Moselle, ne possédant pas de permis de
séjour, a un projet de mariage avec Eugène Mooch, soldat au
cinquième régiment étranger, cinquième
régiment de chasseurs à cheval. Concernant l'éventuelle
possession d'une carte tricolore, le maire de Châtel dit simplement le 24
septembre 1915 : « Mme Hecklé a prétendu ne pouvoir se faire
photographier, faute d'argent ». Par conséquent il n'a pas
été possible de lui délivrer un permis de séjour.
Le maire n'a que de bons renseignements à donner sur
l'intéressée. Finalement, on ne connaît pas l'issue de la
situation317.
Il faut attendre les années 1916-1917 pour que le
traitement connaissent des évolutions notables.
317 A.D.V., 4 M 417, mariages mixtes.
PARTIE III :
Enracinement du conflit, intensification du
contrôle
(1916-1917)
Chapitre 1 : Accroître le contrôle
des Allemands au tournant de la guerre.
1916 et 1917 correspondent aux années charnières du
conflit, marquées par le retour de Clemenceau au poste de ministre du
Conseil. Le contrôle des Allemands est ainsi à son apogée
et donne naissance à de nouveaux document administratifs cartes
d'identité. Enfin, les Vosges accueillent plusieurs camps d'internement
pour civils allemands.
I - 1916 : pour l'armée française,
accroître la surveillance des étrangers.
Le 1er janvier 1916 est promulgué l'arrêté
du général commandant en chef les armées
françaises, Joseph Joffre, réglementant la circulation et le
séjour des étrangers dans la zone des armées. Cet
arrêté318 stipule que des listes de recensement doivent
être fournies à l'Autorité militaire qui délivre des
« carnets d'étrangers ». Théoriquement, cet
arrêté ne touche pas dans les Vosges les Austro-Allemands qui
devaient dès 1914 quitter le périmètre du camp
retranché ou le pays. Oblitéré et accompagné d'une
photo d'identité, le carnet d'étranger délivré
grâce au précieux certificat d'immatriculation, permet à
son possesseur, à partir du 10 février 1916, de «
pénétrer dans la zone des armées ou en sortir, y circuler,
y séjourner ou y changer de résidence ». Désormais,
l'Autorité militaire aura donc seule qualité pour accorder dans
la zone des armées ou pour cette zone des permis de séjour ou des
sauf-conduits aux étrangers319.
Les étrangers qui, à la date du 1er
décembre 1915, sont en résidence régulièrement
autorisée dans la zone des armées, recevront directement leur
carnet. Toutefois, s'ils ont à se déplacer avant qu'ils en aient
reçu délivrance, ils devront en faire la demande320.
Une liste des sujets allemands en permis de séjour dans les Vosges fin
1915 fait apparaître 32 individus, alors qu'on n'en comptait que 22 au 15
janvier ; une récapitulation donne un résultat global de 39
Allemands présents dans le département, dont 9 hommes, 19 femmes
et 11 enfants et répartis comme suit : 12 dans l'arrondissement
d'Epinal, 10 à Mirecourt, 3 à Neufchâteau, 11 à
Remiremont, 3 à SaintDié321. Il s'agit de femmes
surtout, de tous âges, souvent d'origine française ou en France
depuis longtemps, dont le mari a été évacué,
d'anciens légionnaires ou encore de religieuses allemandes
évacuées en vue de rapatriement sur la Suisse, qui sont
disséminés dans les communes du département, dont cinq
à Epinal. Onze personnes ont fait l'objet d'une procédure
d'évacuation322.
318 A.D.V., 4 M 401, document original de l'arrêté
du 01/01/1916 du général commandant en général les
armées françaises, janvier 1916.
319 A.D.V., 4 M 401, correspondance général
commandant le dépôt des armées de Lorraine (D.A.L.) -
préfet des Vosges, 26/01/1916.
320 A.D.V., 4 M 401, note pour la presse relative aux mesures de
l'arrêté du 01/01/1916, février 1916.
321 A.D.V., 4 M 495, liste des sujets allemands en permis de
séjour dans le département des Vosges au 31/12/1915.
322 Ibid.
En décembre 1915 le préfet Linarès
rappelle que l'Administration supérieure a ordonné
l'évacuation générale et sans exception des religieuses
austro-allemandes dont la présence avait pu, jusqu'alors, être
tolérée, et qu'à l'heure actuelle, il ne devrait plus y
avoir de religieuses de ces nationalités dans le
département323. Or 7 religieuses sont maintenues à
Portieux et la supérieure générale, Sainte-Marie-Etienne
Walter, supplie le préfet de les maintenir les 9 et 18 décembre
ou tout au moins que leur séjour hors de la zone des armées
puisse être fait dans la maison de Charrette (filiale du couvent de
Portieux en Saône-et-Loire). Ces religieuses ont reçu un permis de
séjour collectif à la mobilisation car elles n'étaient pas
dangereuses, pouvaient rendre des services à la commune et
étaient indispensables à leur établissement. Elles
viennent presque toutes du duché de Bade, une est Wurtemburgeoise. Le 3
août elles reçurent l'ordre de quitter Portieux pour être
dirigées sur le centre de concentration de Vittel-Contrexéville.
Mais elles purent rentrer à leur résidence, nanties de leur
permis collectif. Le préfet évoque ces cas le 19 janvier 1916 au
ministère de l'intérieur (Sûreté
générale)324. Agathe, Marie-Thérèse,
Emilie et Elisabeth Hummel, Maria Oesterie et Louise Kolb, religieuses
allemandes du couvent de la Providence de Portieux, ont quitté cet
établissement le 11 janvier pour se rendre à Charrette afin d'y
séjourner un mois avant de regagner la Suisse. Deux autres, Barbe
Gratwohl et Frédérique Zimmermann, ont été
maintenues provisoirement sur production d'un certificat médical
attestant que leur état de santé les met dans
l'impossibilité de voyager sans danger de mort. Enfin, Ursuke Fromm,
également religieuse allemande, mais d'une autre congrégation,
l'Ordre de Niederbronn à Epinal, quitte Epinal, le 8 janvier, pour
Tournus, où elle demeurera un mois avant de se rendre en Suisse.
Consécutivement à l'achèvement du travail
de premier établissement des carnets d'étrangers, le
général de division de la VIIe Armée, le
général de Villaret, précise au préfet des Vosges
que les prescriptions de l'Arrêté du 1er janvier devront à
partir du 1er mai être rigoureusement appliquées325.
Enfin, un avis important de mars 1916 comporte des dispositions
spéciales concernant les ouvriers étrangers embauchés pour
des travaux à exécuter dans la zone des
armées326. Des procédures contraignantes leur sont
alors imposées, ils doivent fournir tout un tas de documents pour
pouvoir rester en place. Cet avis est transmis au préfet des Vosges par
les généraux Francfort et Hache, respectivement commandant
d'Armes de la Place d'Epinal, Commandant la deuxième subdivision de la
21e région et commandant de la 21e région327. Le
préfet envoie à son tour, le 22 mars, l'avis en question pour
qu'ils les communiquent à la presse aux sous-préfets de
Saint-Dié, Mirecourt, Neufchâteau et Remiremont.
323 A.D.V., 4 M 514, correspondance préfet - ministre de
l'intérieur, 19/1/1916.
324 A.D.V., 4 M 514, correspondance préfet - ministre de
l'intérieur, 19/1/1916.
325 A.D.V., 4 M 401, correspondance du général
commandant la VIIe Armée au préfet des Vosges, 26/04/1916.
326 A.D.V., 4 M 401, avis concernant des dispositions
spéciales pour les ouvriers embauchés pour des travaux à
effectuer dans la zone des armées, mars 1916.
327 A.D.V., 4 M 401, bordereau d'envoi de l'avis par les
généraux Francfort et Hache de la 21e région,
18/03/1916.
|