I - Allemands et Austro-Hongrois.
Dans les Vosges, en 1914, les Allemands constituent la
nationalité la plus représentée, devançant les
Italiens, 6107 ressortissants, alors que les Austro-Hongrois ne sont que 139 et
constituent le cinquième contingent étranger233.
Dès le 2 août 1914, les ressortissants des
nations ennemies restés en France furent invités à se
faire connaître, afin d'être rapatriés ou internés
dans des centres spéciaux. Il est ainsi naturel que la majorité
des étrangers suspects détenus à la prison de la
prévôté à Saint-Dié à la date du 14
novembre 1914 soient en grande majorité des Allemands ou des
Alsaciens234. Au cours des mois de septembre et octobre 1914, la
politique d'internement se confirme sans que Parlement soit venu, par une loi,
en définir les règles et en fixer les bornes. La clé de
voûte de l'internement est incontestablement le ministère de
l'Intérieur. A côté des organismes relevant directement de
ce département, diverses forces répressives ont été
sollicitées pour assurer le fonctionnement du système
français d'internement : des postes composés de militaires,
souvent issus de la réserve territoriale, sont chargés de la
surveillance des camps ; les gendarmeries, des gardes municipaux et des
vétérans de la guerre de 1871, organisés en
milices...235. Les évacuations des zones sensibles comme les
Vosges, avec un front, des places fortes comme Epinal, mobilisent plusieurs
types de protagonistes : forces armées de terre, unités
prévôtales de la gendarmerie, préfecture de police de
Paris, service de renseignements militaires (SR)...
En outre, les biens des ressortissants allemands et
austro-hongrois sont mis sous séquestre ou confiés à des
administrateurs provisoires236. Dans cette optique, le ministre de
l'Intérieur prie les préfets courant octobre d' «
établir et transmettre aux parquets la liste de tous les
établissements commerciaux, industriels et agricoles appartenant
à des Allemands, Autrichiens ou Hongrois et se
233 A.D.V., 4 M 403, recensement semestriel des étrangers
en résidence dans les Vosges, 01/01/1914.
234 A.D.V., 4 M 421, Etat des étrangers ou suspects
détenus à la prison de la prévôté de
Saint-Dié au 14/11/1914.
235 Ibid.
236 R. Schor, op. cit., pp. 30-44.
trouvant dans [leur] département »237.
Le ministre de la Guerre stipule quelques jours plus tard que les produits des
maisons allemandes restent soumis à la saisie et à la mise sous
séquestre dans les conditions de la circulaire du Garde des Sceaux du
13/10/1914 », telle la verrerie de Portieux238.
Seules quelques catégories de personnes se trouvent
épargnées par les mesures de rigueur : ceux qui étaient
gravement malades, les Françaises devenues étrangères par
mariage, les parents d'un fils servant sous le drapeau français, les
Alsaciens et Lorrains, juridiquement Allemands mais considérés
comme des Français en puissance239.
Le 1er octobre une circulaire du ministre de
l'Intérieur, direction de la sûreté générale,
organise l'évacuation des Allemands et des Austro-Allemands par la
Suisse240. Le préfet des Vosges J. Malvy, par le biais
d'instructions et de télégrammes en octobre et novembre, confirme
le rapatriement des Austro-Allemands par la Suisse et demande aux
préfets de lui faire connaître le nombre de personnes
concernées dans leur département. Des télégrammes
échangés entre Epinal et Bordeaux évoquent
également les rapatriements et expulsions de femmes nées
françaises devenues allemandes ou autrichiennes. Des rapatriements
d'étrangers de nationalités ennemies résidant dans les
Vosges sont évoqués en septembre 1914241.
Il peut s'agir d'enfants allemands ou austro-hongrois
placés par la Société d'échange international (SEI)
; mais aucun enfant allemand n'est placé dans des familles
françaises dans le département des Vosges par la SEI. Des enfants
français et allemands ont également fait l'objet
d'échanges, tels Klotilde Sommer, âgée de 14 ans,
échangée chez la famille Noël, à Damas-etBettegney,
qui aurait été conduite, sur l'ordre du maire de Vittel, au camp
de concentration et Henri Ott à Epinal, jeune Allemand de 14 ans
originaire de Göggingen (Bade-Wurtemberg) échangé pendant
les vacances scolaires avec Louis Bedon, jeune Français de 15 ans, et
évacué sur Mâcon242. Enfin le 10 octobre une
mesure impose aux départements de ne plus délivrer aucun permis
de séjour ni laissez-passer aux Austro-Allemands, sauf à ceux
ayant un fils dans l'armée et les femmes et les enfants dont
l'état de santé ne permettrait pas le
déplacement243.
Fin 1914, les mesures de contrôle s'effectuent dans un
climat d'excitation populaire. Les Allemands présents en France avant
l'entrée en guerre sont alors souvent accusés d'espionnage ou
237 A.D.V., 4 M 498, Saisie et séquestre des biens,
correspondance Ministre de l'Intérieur - Préfets, 13/10/1914.
238 A.D.V., 4 M 498, Saisie et séquestre des biens,
correspondance du Minsitre de la guerre, 19/10/1914.
239 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
240 A.D.V., 4 M 401, circulaire du ministère de
l'intérieur aux préfets de France, 01/10/1914.
241 A.D.V., 4 M 514, Rapatriements - étrangers de
nationalités ennemies, correspondance du ministre de la guerre,
septembre 1914.
242 Ibid.
243 A.D.V., 4 M 401, circulaire du ministère de
l'intérieur aux préfets de France, 10/10/1914.
d'accaparement économique. Un télégramme
du 8 août signale l'arrestation sous ce chef d'accusation de 11
étrangers, tous Allemands ou Alsaciens-Lorrains244. A
Remiremont, le Commissariat le 31 décembre fait état
d'enquêtes en cours sur des Allemands et Autrichiens susceptibles de
posséder des propriétés mobilières ou
immobilières et de plusieurs rapports spéciaux concernant des
Austro-Allemands, comme le montre le dossier de la veuve
Moerder245.
Les étrangers « ennemis » ne sont pas
épargnés loin s'en faut par la population autochtone. La guerre
provoque des reclassements : unis derrière le drapeau tricolore, les
Français oublient leurs divisions tandis que, par un
procédé manichéen, ils séparent les
étrangers en bons (les alliés) et méchants (les
ennemis)246. Dans la rue, les Allemands qui avaient
négligé de se faire recenser auprès des autorités
et qui étaient reconnus se trouvèrent parfois victimes de
véritables scènes de lynchage. Même des Français
grands et blonds, des Suisses, des Alsaciens et Lorrains que leur physique ou
leur accent désignaient à la méfiance d'une foule
soupçonneuse subirent des violences injustifiées.
Certains résistent à cette vague haineuse et en
dénonce les aberrations, mettant l'accent sur la confusion entre
l'appartenance à l'Etat et la nationalité ressentie, pour les
Alsaciens par exemple247. La défense des
réfugiés socialistes allemands et autrichiens «
relégués », avant d'être internés, est propre
à la culture socialiste de l'époque.
244 A.D.V., 4 M 401, télégramme du 08/08/1914.
245 A.D.V., 4 M 421, recensement pas arrondissements des
étrangers (1914).
246 R. Schor, op. cit., pp. 30-44.
247 Ibid.
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