II - La mobilisation des Allemands et des
Alsaciens-Lorrains.
Dès le début de la guerre, de nombreux
étrangers demandent à s'enrôler dans l'armée
française, apportant ainsi au pays un précieux témoignage
de sympathie. Par un décret du 3 août 1914, les engagements
d'étrangers dans les régiments étrangers sont
autorisés pour la durée de la guerre, au lieu de la durée
réglementaire de cinq ans207. L'engagement dans
l'armée française, notamment dans la Légion
étrangère, constitue alors le plus sûr moyen de se
soustraire à l'internement, et même d'y soustraire les membres de
sa famille208. Certains Allemands ne vont pas hésiter
à s'engager, alors qu'un certain nombre de leurs compatriotes vivant en
France répondent à l'ordre de mobilisation de leur patrie. Mais
leur cas posent un problème particulier car la convention de La Haye du
18 octobre 1907, reconnue par la France en 1910, interdit à tout
belligérant d'obliger les ressortissants du pays adverse à se
battre contre ce dernier. Aussi les légionnaires allemands sont-ils
envoyés outre-mer, notamment au Maroc. Du 21 août 1914, date de
l'ouverture des listes d'engagement pour les étrangers, au 1er avril
1915, 22 000 étrangers « choisissent » cette voie, dont 1 396
Austro-Hongrois et 1 072 Allemands. Parmi eux se trouvent beaucoup de
Tchèques et de Polonais209.
L'introduction de quelques éléments suspects
fait apparaître bientôt les inconvénients d'une confiance
trop largement accordée. Une loi du 16 août 1915 vient interdire
les engagements dans l'armée française, au titre de la
légion étrangère, de nationaux appartenant à des
Etats en guerre avec la France ou avec ses alliés210.
Il est alors spécifié que ces mesures ne
s'appliquent pas aux Alsaciens-Lorrains dont le cas est réglé par
les deux premiers articles de la loi du 5 août 1914. Les instructions de
janvier 1913 avaient précisé déjà les mesures
à prendre à l'égard des Alsaciens-Lorrains en cas de
mobilisation211.
La loi du 5 août 1914, « relative à
l'admission des Alsaciens-Lorrains dans l'armée française »,
autorise le gouvernement par son article 3 à naturaliser, sans
conditions de résidence, les étrangers qui contractent un
engagement volontaire pour la durée de la guerre. La loi ne concerne ni
les descendants de ceux qui avaient opté pour la France en 1871-1872 ni
ceux qui, depuis, sont venus vivre à l' « intérieur »
et se sont fait naturaliser. L'expression « AlsacienLorrain »
s'applique donc uniquement aux ressortissants du Reich212. La
même loi précise, en outre, que le bénéfice de cette
règle sera étendu aux légionnaires alsaciens-lorrains qui,
sous les
207 H. Mauran, op. cit., p. 441.
208 Ibid, pp. 233-278, chapitre V « La mise en place de
l'internement ».
209 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
210 Ibid.
211 H. Mauran, op. cit., pp. 233-278.
drapeaux au moment de la déclaration de la guerre, en
feront la demande. Le dispositif comporte des mesures spéciales pour
favoriser les naturalisations des femmes et enfants majeurs ou mineurs des
engagés213.
Cet engagement s'inscrit donc au titre de la Légion
étrangère mais ce n'est là qu'une formalité: la
demande de recouvrement de la nationalité française
confère à l'engagé volontaire le droit de réclamer
son incorporation dans un régiment français. A l'inverse de la
naturalisation stricto sensu, ce mode d'accès à la
nationalité française ne comporte aucune restriction : il
confère non seulement l'intégralité des droits civils,
mais aussi les droits politiques y-compris
l'éligibilité214. Sitôt engagés, les
Alsaciens et Mosellans sont déclarés Français et, en
principe, versés dans d'autres corps. Ainsi, les Alsaciens
installés dans le département des Vosges avant la
déclaration de guerre sont souvent confrontés à
l'alternative suivante : engagement ou internement. Leur nombre est
estimé à 13 000 dans tout le Nord-Est et ils formaient, dans
l'arrondissement de Remiremont, une colonie relativement nombreuse. Il ne faut
pas les assimiler aux Alsaciens émigrés au lendemain de la
défaite de 1871, qui ont opté dès leur installation sur le
territoire français et qui ont été rapidement
intégrés. Ceux-ci sont venus pour des raisons nationales,
ceuxlà pour des raisons économiques, la plupart travaillant dans
l'industrie textile215.
Dès le 1er août, les «
évadés » d'Alsace-Lorraine affluent dans les bureaux de
recrutement. En juillet-août 1914, si l'on est loin du «
soulèvement des populations alsaciennes-lorraines fidèles
à la cause française » escompté par l'Etat-Major, pas
moins de 3 000 jeunes gens quittent immédiatement et de manière
clandestine le Reichsland d'Alsace-Lorraine pour s'engager du côté
français216. Bien que minoritaire, ce geste implique une
rupture de l'individu avec la légalité : il se rend coupable de
désertion vis-à-vis de sa patrie. Dans les Vosges, un certain
nombre d'hommes originaires de la vallée du canton de Thann ont
passé la frontière afin de contracter un engagement dans
l'armée française. Ils ont été
évacués de la zone de front par « mesure de
sûreté ou de police » ou ont préféré
fuir un secteur trop exposé. Dans l'arrondissement, ils sont peu
nombreux et éparpillés. Trente personnes se sont
installées à Remiremont même et sont victimes, comme c'est
le cas dans toute la France, d'un premier triage. Jusqu'au 21 août, les
évadés et volontaires alsaciens-lorrains doivent se
présenter dans l'un des bureaux de recrutement prévus. A partir
du 21, ils se présentent au bureau le plus proche de leur
résidence. Le 31, le commissaire spécial de Remiremont a
dirigé 169 Alsaciens sur le centre de mobilisation de
Besançon217.
212 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
213 H. Mauran, op. cit., p. 412.
214 Ibid.
215 Ibid.
216 Ibid.
217 R. Martin, op. cit., in Le Pays de Remiremont, 1979,
pp. 62-65.
A l'aube de la guerre, un bon Alsacien est donc un Alsacien
soldat. Non seulement il recouvre la nationalité de ses ancêtres,
mais il évite aux siens l'internement réservé aux sujets
allemands sur le sol français. Tant pis pour les familles qui ne
comptent que des filles ou aucun garçon en âge de
s'enrôler.
Au sein du ministère de la Guerre, le Service des
Alsaciens-Lorrains, créé sur proposition du général
Gallieni, gouverneur militaire de Paris, et placé sous la direction
d'Albert Carré, est particulièrement compétent concernant
les engagés volontaires. Ce service crée dans chacun de ses
bureaux une commission d'identification chargée de veiller à
l'application des directives et d'examiner les postulants. Au début de
la guerre, les engagés volontaires sont divisés en deux
catégories, désignées par les lettres A et B. La
catégorie A est composée de ceux qui acceptent de servir
directement sur le front. A partir du 20 août, quelques centaines sont
employées comme guide par le général Dubail qui
opère dans les Vosges et par le général Pau, commandant en
chef l'armée d'Alsace. Par ailleurs il y a ceux qui, classés sous
la lettre B, sont versés dans les bataillons alpins et les
régiments faisant partie du corps d'observation placé sur la
frontière italienne218.
Le texte de la loi du 5 août 1914 aborde
également le cas des réformés et des inaptes. Les
réformés, quelle que soit la durée de leur incorporation,
peuvent revendiquer le bénéfice de cette législation au
même titre que les engagés demeurés sous les
drapeaux219. Vingt-neuf AlsaciensLorrains se sont engagés au
titre d'engagement volontaire pour la seule ville d'Epinal ; ce fut le cas de
Theobald Auguste Bruker220.
Enfin, l'engagement concerne une autre catégorie :
celle des prisonniers et des déserteurs « allemands »,
originaires d'Alsace-Lorraine221. La question se pose dès les
premiers jours du conflit. 1650 prisonniers allemands se seraient
réengagés dans les rangs de l'armée française. A
partir d'août-septembre 1914, les jeunes gens retenus dans les camps
d'évacués mobilisables, notamment Landsturmiens, ont aussi
été invités à s'engager dans l'armée
française222.
218 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.
219 Maxime Leroy, Le statut civil et administratif des
Alsaciens-Lorrains pendant la guerre, p. 22.
220 A.D.V., 4 M 495, Recensement étrangers de
nationalités ennemies (1915).
221 H. Mauran, op. cit., p. 413.
222 H. Mauran, op. cit, pp. 414-415.
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