Chapitre 1 : Les prémices et les premiers
moments du conflit
Depuis 1871, la frontière franco-allemande passe sur la
ligne bleue des montagnes vosgiennes. Toutes les villes accueillent des
garnisons. Epinal, siège d'un corps d'armée, abrite 15 000 hommes
et est intégrée dans le système de défense de la
frontière de l'Est mis au point par le général Seré
de Rivière : il comporte le contrôle de la haute vallée de
la Moselle par des forts à Arches, Remiremont, Rupt, Le Thillot, Epinal
et au ballon de Servance. Construits à partir de 1876, ils sont
renforcés jusqu'en 1914. En 1914, Epinal commande 16 forts, 85 batteries
armées de 700 pièces d'artillerie et peut équiper 70 000
soldats. Chaque ville reçoit des troupes en garnison. Désormais,
la vie militaire avec ses défilés rythme la vie des cités,
exalte un patriotisme revanchard renforcé par la présence des
Alsaciens émigrés.
Dès le 3 août 1914, les troupes françaises
passent le col de Saales et débouchent dans la vallée de la
Bruche, mais la contre-attaque allemande se développe en direction de
Nancy et de Saint-Dié pour prendre à revers les troupes de la
Marne après l'échec français à Morhange. Leur
objectif est la trouée de Charmes. Après de violents combats,
Saint-Dié est occupée le 27 août mais les Allemands sont
arrêtés au col de la Chipotte, au col des Journaux et
échouent devant Charmes. La contre-offensive française
libère les territoires occupés et s'arrête à 10 km
au nord de Saint-Dié. Le front se stabilise du col de Sainte-Marie au
col de la Chapelotte.
L'accélération des événements
à l'été 1914 et le début de la Première
guerre mondiale engendrent un renforcement des contrôles et un
durcissement des mesures à l'égard des ressortissants de
puissances « ennemies », Allemands et Alsaciens des Vosges
étant concernés au premier chef.
198 H. Mauran, op. cit., p. 411.
I - Mesures prises à l'aube de la guerre par la
République.
La République française prend dès le 1er
août 1914 des dispositions concernant les étrangers, par
l'intermédiaire des ministres de la Guerre et de
l'Intérieur199. Le contenu reprend les dispositions
prévues depuis le début de 1913 à l'égard des
ressortissants ennemis, et depuis le 22 août 1913 dans le cas particulier
des Alsaciens-Mosellans, qui bénéficient depuis lors d'un
traitement de faveur.
Tous les étrangers, sans distinction de
nationalité, peuvent quitter la France avant la fin du premier jour de
la mobilisation (24e heure du 2 août 1914), par voie ferrée ou par
voie de mer. Des trains sont mis à disposition mais,
réservés en priorité aux militaires, ils sont vite
bondés et bien peu d'étrangers peuvent partir en 24 heures.
Dès le 2 août, ils doivent donc se présenter au commissaire
de police ou au maire de leur résidence pour faire connaître leur
nationalité200 et y faire constater leur situation. A
l'exception des sujets des pays ennemis, ils ne sont pas
inquiétés, ils sont autorisés à conserver leur
domicile, et reçoivent un permis de séjour ; mais on exige d'eux
un passeport délivré par un préfet201. Les
ressortissants des puissances ennemies ont la faculté soit de quitter la
France, soit de se retirer hors des zones militaires.
Ainsi dans les jours qui précédèrent
l'entrée en guerre (du 1er au 3 août), de nombreux Allemands et
Austro-Hongrois, pressentant l'issue de la crise internationale, regagnent
précipitamment leur pays202. On dispose pour les Vosges d'une
liste nominative des sujets austroallemands résidant habituellement dans
le département et ayant quitté leur résidence dans le
courant de juillet et les premiers jours d'août 1914. Elle fait
apparaître pour la commune d'Epinal un résultat de 541 personnes,
presque toutes de nationalité allemande et d'origine alsacienne, dont
peu d'enfants, beaucoup de personnes seules, hommes et femmes. La direction
qu'ils empruntent est souvent inconnue ou hors du département
(Mâcon, Châlons sur Saône, Nancy) voire du pays (Allemagne,
Suisse). Pour la commune de Saint-Dié sont recensées 54
personnes, presque tous Allemands, en majorité originaires
d'Alsace-Lorraine, beaucoup d'hommes et de familles, qui
généralement retournent en l'Alsace. Quelques Allemands par ville
sont signalés dans le reste du département, surtout à
Thaon, partis en Alsace, Allemagne ou évacués sur
Châlons203.
Quant aux Allemands et Austro-Hongrois qui désirent
rester en France, ils doivent être évacués, sans
distinction d'âge ou de sexe, de la zone comprise dans le
périmètre du camp
199 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
200 J. Dupaquier, Histoire de la population
française, PUF, 1988, Tome 4 (1914-nos jours), p. 65.
201 J. Ponty, op. cit.
202 R. Schor, op. cit., pp. 30-44.
203 A.D.V., 4 M 495, Recensement étrangers de
nationalités ennemies (1915).
retranché204. Il en est ainsi des sujets
résidant dans le département des Vosges, zone de front dès
1914, le 21e corps d'armée (créé en 1913, chef-lieu
Epinal) couvrant, avec les 6e (Châlons), et 20e (Nancy) la
frontière de l'Est. Entre le 5e et le 16e jour, ils seront
transportés par voie ferrée sur des points de refuge provisoire
situés dans l'ouest de la France, où seront prévus leur
logement et leur nourriture, et où on leur donnera du travail s'il y a
lieu. Ils pourront ultérieurement demander leur transport vers une
frontière neutre, ou se rendre dans un lieu de séjour de leur
choix, dans les conditions prévues pour les étrangers
résidant à l'intérieur du territoire portés
à leur connaissance dans les points de refuge.
Concernant les Alsaciens-Lorrains non naturalisés
Français, sont laissées libres sans conditions les familles
établies depuis longtemps dans le pays et dont on connaît
parfaitement les origines et les sentiments français et les familles
dont un membre au moins contracte un engagement à la Légion
étrangère avant la fin du 2e jour de la
mobilisation205. En revanche, toute famille d'Alsaciens-Lorrains
dont un des membres quitte la France pour répondre à l'ordre de
mobilisation allemand sera considérée comme allemande. Sur ce
plan, on ne fait toutefois qu'appliquer au pied de la lettre la circulaire
établie par l'Etat-major dès février
1913206.
Enfin, aux épouses de sujets ennemis, nées
Françaises, l'administration propose le divorce afin de leur permettre
de recouvrer leur nationalité d'origine. En cas de refus, elles seront
incarcérées ou suivies par la police.
A la fin du XIXe siècle, le carnet B avait pour
objectif d'étouffer dans l'oeuf tout mouvement antimilitariste et toute
campagne en cas de mobilisation. Au moment où s'engage la guerre
francoallemande, comment s'organise la mobilisation des ressortissants
allemands et alsaciens en août 1914 ?
204 J. Ponty, op. cit., pp. 91-122.
205 Ibid.
206 H. Mauran, op. cit., p. 441.
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