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Immigration volontaire ou forcée des allemands et des alsaciens-lorrains dans les Vosges (1911-1920)

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par Clément Thiriau
Université Nancy II - Master 2 d'histoire contemporaine 2007
  

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III - Etat et opinion.

Entre 1910 et 1914, des renseignements sur des suspects allemands résidant dans les Vosges envoyés par le gouvernement allemand sont fournis, parfois par des particuliers168. En 1912, il s'agit de Rouff, habitant l'Alsace, qui part à diverses époques en France principalement pour les régions d'Epinal et Arches, Joseph Pfaffinger, inscrit au carnet B, à Neufchâteau, sur lequel pèse des soupçons, et Knaff, accusé d'espionnage. En 1913 Hugo Steper, ancien officier de réserve allemand, inscrit au carnet B (première catégorie, deuxième groupe), remercié par la Manufacture de draps d'Epinal. En 1914 enfin Guillaume Feist, déserteur de l'armée allemande, et Simon, commissaire de police allemand et quatre ou cinq autres sujets allemands. Entre 1911 et 1913 trois Allemands sont condamnés dans le canton du Thillot en exécution de l'article 5 du décret du 2 octobre 1888, soit de l'article 2 de la loi du 8 août 1893, relatifs à la résidence et au séjour des étrangers en France169. Le dénommé Naegelen, bûcheron à Saint-Maurice, est condamné en 1911 à une amende de 6 430 F, tandis que M. Ferdinand Lindecker, 34 ans, né en Alsace, cultivateur à la Jumenterie de Saint-Maurice, est condamné en 1912 pour emploi de sujet allemand (amende doublée).

D'autre part, plusieurs Allemands et Alsaciens-Lorrains des Vosges sont expulsés en 1912, 1913 et 1914170. En août 1912, Joseph-Louis Lamberg, né à Mulhouse (Alsace-Lorraine), père de 4 enfants en bas âge et bon ouvrier, est condamné à Remiremont, le 10 juillet, à un mois de prison pour violence et port d'arme, et sera expulsé. Il aurait été poussé à bout, par d'incessantes provocations des cléricaux à Saint-Etienne. Le sous-préfet de Remiremont demande intervention du préfet en faveur de cet homme contre arrêt d'expulsion. Son fils aîné de 15 ans s'est suicidé, pendu (ouvrier à la filature des Grands Moulins) pour échapper aux violences dont il était l'objet à l'usine actes abominables dans la salle même où il travaillait. Le corps avait été odieusement souillé. Jusqu'à présent 11 individus âgés de 14 à 31 ans ont été arrêtés en mars 1912 ; presque tous appartiennent au patronage catholique de Remiremont. Cette affaire provoque une grosse émotion à Saint-Etienne et dans les environs, notamment dans les milieux réactionnaires et cléricaux. Finalement 10 seront condamnés et 2 acquittés.

En 1914 une procédure d'expulsion frappe Emile Rieb. Il manifeste pourtant des sentiments francophiles et crie à l'injustice. Il est expulsé à Strasbourg pour attitude suspecte au niveau national. Il était employé de Bureau à la Direction Générale des Chemins de Fer d'AlsaceLorraine (Epinal).

168 A.D.V., 8 M 189, surveillance, suspects étrangers, 1910-1914.

169 ADV, 4 M 480, Etrangers en situation irrégulière : an VIII - 1920.

170 Ibid, expulsions d'étrangers, 1912-1914.

Le Préfet des Vosges fait début 1913 une étude pour savoir « si l'emploi de la main-d'oeuvre étrangère paraît susceptible de donner lieu à quelques préoccupations au point de vue des intérêts de la défense nationale, soit par l'état d'esprit, les allures, les tendances, les manières d'être de l'élément étranger, soit par la nature de l'entreprise, soit par le voisinage de cette dernière avec quelque point stratégique, soit pour toute autre cause ».171 Aucune préoccupation fondée n'est signalée pour l'arrondissement d'Epinal, ni pour les autres arrondissements. A Saint-Dié le personnel n'est pas recruté par l'intermédiaire d'offices de placement étranger et donc n'inspire aucune préoccupation au point de vue de la défense nationale. Parmi les Allemands se trouvent une majorité d'annexés, dont les sympathies vont à la France plutôt qu'à l'Allemagne. C'est également le cas à Remiremont où on ne recense pas de « gens dangereux », ouvriers étrangers qui pourraient causer des soucis pour la sécurité nationale. « Comme ils sont employés au milieu d'ouvriers français, leur surveillance est facile. »172

Mais il n'en est pas de même de certaines fermes isolées de la frontière, comme les NeufsBois et Jumenteries à Saint-Maurice sur Moselle occupées par des Alsaciens allemands et dont le personnel (deux ou trois domestiques suivant la saison) est également allemand173. Donc on ne peut pas les surveiller efficacement et ils peuvent être considérés comme douteux. Ils « feraient d'excellents guides pour l'ennemi, connaissant parfaitement tous les sentiers et chemins conduisant aux environs des fortifications sans compter qu'ils pourraient, dans le but d'entraver la mobilisation, se livrer à des actes de destruction des lignes télégraphiques, téléphoniques et ouvrages d'art dépendant des voies ferrées dans une région accidentée où ils abondent. »174

Les mêmes remarques peuvent être faites pour les étrangers domestiques et ouvriers tels que femmes de chambre, bonnes allemandes occupées chez des officiers, bûcherons employés dans les coupes et tous les étrangers relativement nombreux dans les localités de la frontière. « Leur expulsion à un moment déterminé, si elle était possible, serait le seul et meilleur remède à apporter à une situation dangereuse pour la sécurité du pays. »175

Pour les Allemands de sang, il n'en va pas non plus forcément de même. Ainsi dans l'arrondissement de Neufchâteau, la famille Thomas, allemande, qui exploite à Avranville une propriété d'environ 150 hectares, doit faire l'objet d'une surveillance discrète en raison de la proximité de la ferme qu'ils habitent avec des ouvrages stratégiques de Grand (tunnel de SionneMidrevaux ; ligne de Neufchâteau - Bar-le-duc)176.

171 A.D.V., 8 M 189, op. cit., Commissaire spécial de police d'Epinal - Préfet : par rapport à la circulaire 14/12/1912, 30/01/1913.

172 Ibid

173 A.D.V., 8 M 189, op. cit.

174 Ibid

175 Ibid

176 Ibid

Dans cette période de tension entre la France et l'Allemagne, et dans une zone proche de la frontière et des provinces perdues, l'attitude de l'opinion vosgienne à l'égard des populations alsaciennes et plus encore allemandes est parfois méprisante. Dans le département, les comités républicains démocratiques se sont renforcés tandis que les associations républicaines (loges maçonniques, Ligue des droits de l'homme, Ligue de l'enseignement) connaissent un nouvel élan177.

L'élection de Raymond Poincaré à la présidence de la République en janvier 1913 est accueillie avec une joie sincère par ses nombreux partisans, avec une satisfaction déférente pour ses adversaires. En 1914, les grands partis de gauche de l'époque, les partis radical-socialiste et socialiste, recueillent peu de suffrages en Lorraine et n'ont aucun élu alors qu'ils sont les plus nombreux au Parlement. En 1914, comme en 1871, le patriotisme républicain est la clé du comportement politique des Lorrains. Cette situation géographique explique le renforcement de la fonction militaire178. Dans l'hypothèse d'une guerre, on envisage une offensive par la trouée de Lorraine entre Metz et les Vosges.

Dans les Vosges, les personnes originaire d'Alsace ou de Moselle y ont conservé de la famille, parfois des biens ; ils se sentent exilés, dépossédés ; ils pensent qu'un jour, une juste revanche rendra leur terre natale à la France. Ce sentiment s'exprime d'une façon naïve et avec une grande force émotive. Malgré certaines apparences, le patriotisme est plus défensif que revanchard. La défense du territoire est sacrée et on en supporte sans murmure toutes les charges et les contraintes. Au-delà des divergences politiques et des affrontements souvent très âpres entre catholiques et républicains, le patriotisme est une valeur commune, il s'appuie sur le souvenir de 1870, sur l'évocation des provinces perdues, sur le danger allemand. En vérité, la majorité des étrangers observe une attitude réservée et n'affiche guère de préférences idéologiques, à supposer que celles-ci existent179. Cependant, des minorités actives se singularisent. Ainsi, l'instabilité et le rejet xénophobe marginalisent les étrangers, mais leur participation croissante au débat politique et social révèle que, au moins pour une partie d'entre eux, une forme d'intégration a commencé à s'opérer.

177 F. Roth, op. cit., pp. 183-210, « politique, la reconquête républicaine ».

178 Ibid, « les bastions de l'est ».

179 R. Schor, op. cit., chap I, III, « une amorce de politisation chez les immigrés », pp. 7-29.

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