La question de la protection des droits de l'homme dans les rapports euro-méditerranéens( Télécharger le fichier original )par Marine GOUVERS Faculté de droit de Poitiers - Master de recherche droit public fondamental 2008 |
A. Des innovations institutionnelles face au poids des conflits politiquesL'UPM est un projet encore embryonnaire, le seul texte officiel s'y référant est la Déclaration du 13 juillet 2008, adoptée à la faveur du sommet de Paris et sous la coprésidence du Président français, Nicolas Sarkozy -principal instigateur de l'UPM- et du Président égyptien Mohamed Hosni Mubarak219. Signée par 27 chefs d'Etat de l'Union européenne et 16 chefs d'Etat méditerranéens220, elle jette les bases du nouveau projet voulant «rendre le processus plus pertinent et plus concret aux yeux des citoyens». Les objectifs de l'UPM tels qu'établis dans la déclaration consistent à «renforcer les relations multilatérales, à accroitre le partage de la responsabilité du processus, à fonder la gouvernance sur l'égalité de toutes les parties et à traduire le processus en projets concrets qui soient davantage visibles pour les citoyens». Les apports d'ordre institutionnels traduisent cette volonté de rétablir les déséquilibres entre le Nord et le Sud, que le partenariat euro-méditerranéen n'a pas réussi à résorber mais a, au contraire, accentué. Ainsi la gouvernance de l'UPM sera assurée à parité par les Etats du Sud et du Nord, contrairement au système actuel de présidence exclusive du partenariat. Cette présidence sera assistée d'un secrétariat pour organiser tous les deux ans un sommet réunissant les 43 pays invités. Ce secrétariat a pour objectif «d'insuffler un nouvel élan au processus, pour ce qui est de l'identification, du suivi et de la promotion des projets ainsi que de la recherche de partenaires». Il aura de plus la personnalité juridique et un statut autonome. Ce ne sera donc plus l'UE qui, seule, avalisera les projets du partenariat. Les sommets bisannuels (ayant alternativement lieu au Nord et au Sud) contribueront à lancer les projets 219 Déclaration commune du sommet de Paris pour la Méditerranée Paris, 13 juillet 2008, accessible sur le si internet de la présidence française de l'Union européenne. 220 Albanie, Algérie, Bosnie Herzégovine, Croatie, Egypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Mauritanie, Monténégro, république Tchèque, Tunisie, Turquie, Syrie et Autorité Palestinienne. régionaux concrets de la nouvelle Union. La déclaration mentionne six projets majeurs sur lesquels l'UPM devrait se focaliser221. Au delà des évolutions institutionnelles et financières -la déclaration annonce que les modes de financements du PEM seront complétés 222-, il est encore difficile de cerner la véritable nouveauté du projet. Les institutions du PEM (Assemblée parlementaire euroméditerranéenne et réunions des hauts fonctionnaires entre autres), sa division en trois piliers ne devraient pas être modifiées (du moins pas avant que les ministres euro-méditerranéens des affaires étrangères ne définissent de nouvelles modalités, en novembre 2008); et la définition des projets renvoie aux programmes déjà engagés dans le cadre du PEM. Cependant, la nouveauté du projet peut encore justifier son manque de maturité et le flou qui l'entoure. Il est clair malgré tout que l'intérêt principal de cette nouvelle forme de partenariat est économique. L'UPM est destinée à relancer les relations économiques de part et d'autre de la Méditerranée en stimulant les investissements et en facilitant la transition vers la zone de libre échange. Mais que les intérêts de l'Union pour la Méditerranée soient ou non nouveaux, les conflits politiques dans la région méditerranéenne persistent; ayant freiné considérablement le partenariat, ils risquent fort de garder ce statut d'élément perturbateur empêchant toute évolution constructive. C'est le cas notamment du conflit israélo-palestinien, qui, au coeur des dissensions les plus marquées et les plus dangereuses pour la stabilité de la région méditerranéenne est pour partie responsable de la paralysie du partenariat. Ce conflit s'est ressenti dans l'organisation même du sommet de Paris au cours de laquelle certains Etats arabes menaçaient de ne pas se présenter du fait de la présence israélienne, faisant échos à la conférence ministérielle euro-méditerranéenne de Valence de 2002. Il en va de même du côté européen, l'absence initiale de consultation des Etats membres par le Président français, de débat au Conseil européen ainsi que la rapidité de l'établissement du projet a pu irriter223 et risque d'entraîner un désintérêt de la part des successeurs à la présidence européenne. Les dirigeants turcs furent également offusqués de 221 Il s'agit de la dépollution de la Méditerranée, de la création d'autoroutes maritimes et terrestres, de la protection civile pour répondre aux catastrophes naturelles, de la création d'une université euro-méditerranéenne, du développement de l'énergie solaire et d'une initiative méditerranéenne pour le développement des entreprises. 222 Par la participation du secteur prive, les contributions du budget de l'UE et de tous les partenaires, les contributions d'autres pays, d'institutions financières internationales et d'entités régionales, de la facilité euroméditerranéenne d'investissement et de partenariat, l'instrument européen de voisinage et de partenariat. 223Erlanger Steven, « Sarkozy's Union of the Mediterranean falters», International Herald Tribune, 6 juillet 2008. cette proposition sonnant comme un substitut à l'adhésion de la Turquie à laquelle le Président français est farouchement opposé. Embryonnaire, certes, mais déjà au coeur des assentiments politiques. Afin d'assurer sa réussite, l'UPM se doit de suivre une politique de consensus, transparente et au coeur d'une coordination cohérente entre ses acteurs et surtout mettre un terme aux conflits qui ont miné le précédent processus de Barcelone. En termes de protection des droits de l'homme l'UPM adopte une approche qui remet en perspective celle du partenariat et qui interroge sur la pratique de la conditionnalité. B. Une approche délétère des droits de l'homme La déclaration du 13 juillet 2008 comporte un paragraphe se référant aux droits de l'homme dans lequel ses signataires <<soulignent qu'ils sont déterminés à renforcer la démocratie et le pluralisme politique par le développement de la participation à la vie politique et l'adhésion à l'ensemble des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ils affirment également leur ambition de bâtir un avenir commun fondé sur le plein respect des principes démocratiques, des droits de l'homme et des libertés fondamentales, consacrés par les instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, comme la promotion des droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques, le renforcement du rôle des femmes dans la société, le respect des minorités, la lutte contre le racisme et la xénophobie, ainsi que la promotion du dialogue culturel et de la compréhension mutuelle». Cependant aucun des six projets prioritaires proposés par la déclaration ne concerne ni la promotion, ni la protection des droits de l'homme. La signification de ce déséquilibre est simple: <<le renforcement de la coopération et du dialogue sera strictement établi sur les rapports commerciaux et financiers - contrairement aux mécanismes actuels qui incluent la dimension des droits humains»224. L'UPM n'impose pas de nouvelle conditionnalité à l'établissement des relations économiques, aux renforcements des infrastructures et aux nouveaux investissements publics dans la région. Les analystes s'accordaient à dire au moment des premières négociations avec les Etats arabes que 224 Nicolas Beger, Directeur du Bureau d'Amnesty International pour l'UE. "L'Union pour la Méditerranée: une façon d'échapper aux droits humains?", accessible sur le site d'Amnesty international. l'espoir du Président français était précisément de ne pas <<promouvoir les principes de l'Etat de droit et de la démocratie dans le Maghreb mais de faciliter le commerce»225. Selon Henri Guaino, conseiller de Nicolas Sarkozy, il n'est <<pas question d'interrompre la coopération politique, ni de cesser à s'intéresser aux droits de l'homme mais [...] ils ne constituent pas des préalables à la coopération. Les exigences en termes de droits de l'homme ne sont pas élevées, parce que l'UPM se veut être un processus progressif, qui n'impose pas le respect des droits de l'homme mais y mène»226. Ceci sous entend que le développement économique de la région mènerait irrémédiablement à l'amélioration de la situation des droits de l'homme. Cette perception renvoie au débat sur la nature du lien existant entre le développement économique et le développement humain: doivent-ils aller de paire ou bien l'un peut-il précéder l'autre? Le lien qui existe entre les droits de l'homme et le développement économique réside dans le fait que la protection des droits civils, politiques, économiques et sociaux permet une << bonne gouvernance ». Afin d'obtenir une croissance économique, un contexte politique et social stable doit être garanti or, le respect des droits de l'homme permet cette stabilité227. La question de la relation entre le développement économique et les droits de l'homme se pose dans l'autre sens : un Etat a-t-il besoin d'un développement économique soutenu pour assurer la protection des droits de l'homme? Ou en d'autres termes, quelle est l'importance du développement économique dans la protection des droits de l'homme. Si le respect des droits de l'homme facilite la croissance économique, l'inverse est juste également : la prospérité économique facilite la stabilité d'une société et ainsi permet aux droits de l'homme de s'étendre228. Il est vrai qu'en pratique, la protection des droits de l'homme a un coût: le bon fonctionnement du système judiciaire nécessite la formation et la rémunération du personnel juridique, de juges compétents ou la conformité des conditions de détention avec le respect de la dignité humaine. De même, le respect des droits et libertés -tels que la liberté d'expression ou le droit à un procès équitable- nécessitent des investissements financiers de la part d'un 225 Michaela Wiegel « Sarkozy's Devalued «Diplomacy of Values»», Frankfurter Allgemeine Zeitung / Qantara.de, 2007. 226 Interview par Alain Barluet, "Faut-il croire à une Union pour la Méditerranée?", Le Figaro du 23 mars 2008. 227 Jack Donnelly, « Human Rights, Democracy and Development», in Human Rights Quartely 21.3 (1999) p.622. 228 Ministre des affaires étrangères canadien Lloyd Axworthy, «A Blueprint for Peace, Justice and Freedom, Notes for an Address to the International Conference on Universal Rights and Human Values» 27 novembre 1998 accessible sur http://www.dfait-maeci.gc.ca/english/news/statements/98_state/98_079e.htm. Etat. Dès lors, il est difficile pour les pays en voie de développement d'assurer une protection globale et efficace des droits de l'homme. Néanmoins, le fait qu'un Etat jouisse d'une croissance économique hors paire n'implique pas le respect des droits de l'homme (voir le cas de l'Arabie Saoudite par exemple). Leur protection requiert la mise en place de mécanismes permettant de fixer des priorités et empêchant des dérives économiques nocives au développement humain. Ainsi, l'idée selon laquelle le développement des relations économiques entre les membres de l'Union européenne et les partenaires méditerranéens mènerait de fait à une évolution positive de la situation des droits de l'homme sur le pourtour méditerranéen peut sembler présomptueuse. Certes, il est nécessaire d'avoir un développement économique minimum pour assurer une protection efficace des droits de l'homme, mais ce développement ne peut faire face à l'immobilisme de gouvernements réfractaires. Le développement économique favorise le développement des principes démocratiques et des droits de l'homme, mais ceci à la condition que le lien entre eux soit effectif, autrement dit, à condition que les gouvernements en place soient volontaristes. Or, comme le note très justement Antoine Basbous, de l'Observatoire des pays arabes, «la principale préoccupation de ces dirigeants n'est pas d'intégrer un club de démocraties méditerranéennes, mais de sanctuariser leurs régimes [...]. Donner la liberté à leur peuple, instaurer un État de droit ou offrir à leur jeunesse une véritable perspective, cela n'est pas à l'ordre du jour»229. Il est peu probable que le développement de l'économie des Etats méditerranéens mène de fait à la démocratisation de leur régime si leurs partenaires ne les y pressent pas. Le partenariat euro-méditerranéen et l'échec de son recours à la conditionnalité le démontre bien: les pressions exercées à travers les programmes de développement n'ont eu que peu d'incidence et la coopération entre le Sud et le Nord a été avant tout de nature économique sans qu'aucune révolution démocratique n'ait lieu. 229 « L'Union pour la Méditerranée entre rêve et utopie», Le Figaro, Paris, 17 avril 2008. |
|