L'esthétique humaniste des films de Walter Salles( Télécharger le fichier original )par Sylvia POUCHERET Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Master 2 Esthétique et études culturelles 2007 |
Le regard compassionnelRevault d'Allonnes cite Rousseau qui dans sa Lettre d'Alembert ironise sur les vertus morales de la représentation théâtrale censée éveiller chez le spectateur le sentiment de la compassion. Pour lui, loin de rendre les spectateurs plus sensibles aux maux d'autrui, la fiction théâtrale les dispense d'en faire l'épreuve dans le réel: 76(*) « J'entends dire que la tragédie mène à la pitié par la terreur;soit mais qu'elle est cette pitié ? Une émotion passagère et vaine, qui ne dure pas plus que l'illusion qui l'a produite. » Si pour Rousseau, la compassion devant la souffrance de l'autre reste un sentiment ambigu et aucunement altruiste (car le souci de l'autre est parti prenante du souci de soi )il reste qu'elle doit se transformer en défense de celui qui souffre. Cependant ,la généralisation des bons sentiments,leur objectivation dans une oeuvre filmique tend à reléguer le spectateur démocratique dans sa sphère privée, dans la solitude de son coeur. Susan Sontag dénonce le regard compassionnel comme méconnaissance de l'autre, impuissance face à sa souffrance et comme regard moralisateur sur la condition d'assisté. Nous verrons que le film Carnets de voyage (2004)cristallise tous les écueils envisagés par Sontag. En particulier lors de la séquence filmique de la visite du Ché, jeune étudiant en médecine, dans une léproserie. Les lépreux sont montrés comme gentils,injustement souffrants et authentiques. Ils méritent la sollicitude et l'attention exceptionnelle du jeune homme. Mais ce regard philanthropique a un prix. Il assigne irrémédiablement le lépreux à une place subalterne et ne l'intègre pas dans une socialité partagée, c'est à dire dans une société de semblables différents. D'autre part il conforte le spectateur compassionnel dans un regard éloigné, distancié ,retourné contre ses propres fondements. Il devient l'alibi ou le masque d'une véritable méconnaissance d'autrui. L'épisode de la léproserie constituerait donc une démonstration militante pour le souci de l'autre mais se termine en simulacre de la reconnaissance de l'autre. Il ne fait que glorifier le regard de celui qui est doué de compassion, le sanctifie dans sa posture servant d'exemple à suivre et l'éloigne de son frère souffrant tandis que ce même frère souffrant ne peut prétendre à la distance de son autonomie responsable . Hannah Arendt77(*) fait une critique politique du sentiment dans son Essai sur la révolution en établissant que la compassion reste sans conséquence et hors de sa place en politique car elle abolit précisément ce jeu des distances de la socialité partagée . Elle observe également que la compassion, lorsqu'elle est exposée à l'écran du domaine public subit le même sort que le bien exposé à la lumière publique: « il cesse d'être bon, il se corrompt, intérieurement et, partout où il va, il porte sa corruption. » * 76 Revault,Ibid.,p82 * 77 Revault,Ibid,p56-57 |
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