8. Conclusions générales
Partant du constat que l'étalement urbain qui
caractérise nos villes n'est pas durable et qu'une forme plus compacte
serait préférable, le premier but assigné à ce
travail de mémoire sur les friches industrielles des secteurs de gare
était de définir sous quelles conditions une densification du
tissu urbain pouvait mener à plus de durabilité, et par quelles
mesures architecturales et urbanistiques la reconversion des friches
industrielles des secteurs de gare pouvait participer à cette
densification qualifiée ou « durable ».
Un second constat, selon lequel la reconversion des friches
industrielles en Suisse, et en particulier dans les secteurs de gare,
n'était pas systématique et ce malgré la valeur
stratégique de ces terrains en termes de développement
territorial durable, nous à menés à tenter de
déterminer quels étaient les obstacles auxquels se heurte la
réutilisation des friches, et de comprendre par quels moyens il est
possible de les contourner.
Au terme de notre analyse, nous pensons avoir esquissé
des éléments de réponse à ces deux questionnements
:
D'une part, une série de conditions sous lesquelles une
densification du tissu urbain nous paraît pouvoir créer plus
d'urbanité en ville, et par là freiner l'étalement urbain,
ont été énoncées ; confrontées à
l'étude de la reconversion de la friche Gare/Crêt-Taconnet
à Neuchâtel, ces conditions ont pu être illustrées et
précisées. Cette liste n'est pas exhaustive, mais
synthétise cependant un certain nombre d'éléments
permettant de dépasser les limites relevées par les auteurs
sceptiques face à l'utilité d'une densification des espaces
bâtis: augmentation du trafic, congestion, pollution, diminution des
espaces publics et des espaces verts, et au final diminution de la
qualité de vie.
D'autre part, un grand nombre d'obstacles auxquels se heurte
la reconversion des friches industrielles ont été relevés
et analysés. L'analyse de nos trois études de cas a ensuite
permis de montrer comment il était possible de gérer au mieux ces
contraintes en vue de concrétiser des aménagements sur ces
terrains.
Nous sommes cependant conscients que l'étude d'un seul
cas de reconversion14, si elle permet de retirer de nombreux
enseignements et d'énoncer un certain nombre de recommandations, ne
permet pas d'acquérir une vision d'ensemble des obstacles et des
contraintes qui bloquent une reconversion plus systématique des friches
industrielles en Suisse. L'idée première de cette recherche, qui
était de se procurer des données individualisées sur
l'ensemble des friches (localisation, taille, affectation, desserte en
transports publics etc.) et de présenter un état des lieux de la
situation des friches industrielles des secteurs de gare, aurait permis
d'oeuvrer dans ce sens ; cependant, face au manque de données
disponibles 15, notre recherche a dû se limiter à
l'étude de cas particuliers.
14 Si trois projets sont présentés dans ce
travail, seule la reconversion du secteur Gare/Crêt - Taconnet est
déjà entamée en termes de construction.
15 L'étude de Vasla et Westermann (2004)
présente une vue d'ensemble de la situation des friches industrielles en
Suisse ; cependant, le recensement complet et détaillé des
terrains n'est pas, à l'heure actuelle, accessible au public.
La récente attention portée par la
Confédération au problème des friches industrielles est
cependant de bonne augure pour l'avenir; l'intérêt
également de l'ASPAN (association suisse pour l'aménagement
national) à cette problématique montre qu'une prise de conscience
généralisée de l'importance de ces terrains pour le
développement territorial national est en train d'émerger. Il est
à espérer que cette effervescence ne s'arrêtera pas
là et engendrera une dynamique positive quant à la collecte
d'information au sujet d'expériences de reconversion.
Quatre hypothèses de travail ont été
formulées au terme de notre analyse théorique. Leur confrontation
à la réalité au travers de nos études de cas a
permis de valider partiellement ces hypothèses :
Hypothèse 1
1) La reconversion des friches industrielles des secteurs
de gare peut participer à freiner l'étalement urbain à
condition de créer des aménagements d'une certaine
densité, ainsi que fonctionnellement et socialement mixtes
Il est ressorti de nos réflexions théoriques que
la densification du tissu urbain pouvait être une alternative efficace
à l'étalement urbain à condition de mener à une
meilleure qualité de vie. L'étude du projet de reconversion de
Crêt-Taconnet montre que la reconversion d'une friche urbaine, en
remplaçant des bâtiments industriels sous-utilisés par des
bâtiments de bureaux, de logement et d'activités commerciales et
culturelles, mène à une densification tant de bâti que
d'activités16, mais aussi à la création
d'espaces publics qualifiés. D'autre part, cet exemple montre
également que le concept de mixité fonctionnel tel
qu'appliqué à ce site est pertinent en matière de
qualité de vie. Certaines réticences ont cependant
été faites face aux impacts de la mixité fonctionnelle sur
une réduction de la mobilité individuelle motorisée.
Enfin, il s'avère qu'il est délicat de se prononcer autrement que
théoriquement sur les effets de la mixité sociale - en
l'occurrence réalisée partiellement dans notre étude de
cas - sur la qualité de vie du quartier. Un approfondissement de cette
problématique nécessiterait la connaissance des opinions des
résidents et usagers du site.
Quoi qu'il en soit, il apparaît qu'un projet de
réaménagement dense et mixte fonctionnellement permet de
créer une qualité urbaine, autrement une urbanité
17, propre à rendre le « vivre en ville »
attractif. Nous affirmons donc, au terme de notre étude de cas, que la
densité et la mixité (fonctionnelle) dans les projets de
reconversion de friches industrielles de secteur de gare permet de participer
à freiner l'étalement des activités et des personnes
à travers le territoire.
16 Une réserve est faite à l'égard de la
densification de bâti au vu du fait que les zones industrielles
permettent de plus grands indices de construction. A Crêt-Taconnet, si
l'ensemble du secteur a bien été densifié, le
périmètre sud, très dense dans sa situation originale,
offre après reconversion une surface de plancher inférieure.
17 Voir définition chapitre 2.3.2
Hypothèse 2
2) La mise en valeur du patrimoine industriel et
ferroviaire qui fait l'histoire de ces sites participe à la
qualité des reconversions de friches industrielles des secteurs de
gare
L'étude des sites des Eaux-Vives, de Pérolles
-Arsenaux et de Gare/Crêt-Taconnet illustre la dimension patrimoniale qui
caractérise les friches industrielles des secteurs de gare:
bâtiments ferroviaires, industriels ou de logement, voies ferroviaires et
industrielles ou encore murs de soutènement pour citer les
éléments que nous avons pu découvrir sur ces trois sites.
La mise en valeur de ce patrimoine permet d'ancrer les nouveaux quartiers dans
une continuité temporelle et spatiale. Elle donne une meilleure chance
aux nouveaux aménagements de s'intégrer pleinement dans leur
environnement bâti. C'est ce que nous avons constaté dans le cas
de Crêt-Taconnet, où la mise en valeur du tracé des rails
et du mur de soutènement ont permis au quartier de conserver ses
caractéristiques principales.
Cependant, l'étude de ces trois site nous incite
à intégrer d'autres éléments qui permettent
l'intégration d'un nouvel aménagement et participent à sa
qualité globale. Il s'agit d'une part de l'utilisation qui était
(ou est encore) faite des lieux en tant que friche, que ce soit de
manière formelle avec des affectations transitoires, ou alors de
manière informelle par des cheminements de promenade ou des squatts. Il
s'agit d'autre part de l'organisation spatiale des bâtiments
originels.
Nous confirmons, à l'issue de ce travail, que la mise
en valeur du patrimoine bâti participe à la qualité des
reconversions de friches industrielles des secteurs de gare, en
précisant que d'autres éléments - utilisation informelle
et organisation des bâtiments - font l'histoire de ces sites et
méritent d'être conservés.
Hypothèse 3
3) La qualité des projets de reconversion des
friches industrielles des secteurs de gare dépend de la capacité
des pouvoirs publics à garantir la concrétisation des objectifs
d'un développement urbain durable
La qualité des projets telle que nous l'avons entendue
dans ce travail est la capacité de ces projets à créer une
densité qui mène à une plus grande qualité de vie ;
autrement dit leur capacité à participer à freiner
l'étalement urbain dans le souci d'un développement urbain plus
durable. La qualité des projets dépend, au vu des recommandations
émises au chapitre 7, de nombreux éléments tels que la
mixité, l'accessibilité selon les divers modes de transport -
dont la marche à pied -, la création d'espaces publics
qualifiés etc. L'expérience de Crêt-Taconnet montre que ces
objectifs, visant à créer un aménagement qui
intègre certains critères du développement durable, et
notamment une densification judicieuse en fonction de considérations
architecturales et urbanistiques plutôt qu'en fonction des indices
uniquement, doivent être défendus par les pouvoirs publics.
Mais cette expérience montre également que les
objectifs d'un développement urbain durable peuvent être soutenus
par le secteur privé. En effet, dès lors que la
concrétisation de ces objectifs est viable économiquement (valeur
indirecte des espaces publics, répartition des risques par la
construction de logements, stratégie à long terme par
l'investissement dans la construction écologique par
exemple), le secteur privé peut avoir intérêt à
poursuivre des objectifs de densification qualifiée plutôt que de
densification à tout prix.
Parce que les autorités sont garantes de la
concrétisation locale des objectifs nationaux d'aménagement du
territoire, en l'occurrence d'une utilisation parcimonieuse du sol par
l'urbanisation, il est primordial que les projets de reconversion de friches
industrielles des secteurs de gare soient conduits sous l'égide des
pouvoirs publics. Nous émettons cependant une réserve par rapport
à la formulation de notre hypothèse ; la qualité des
projets de reconversion des friches industrielles des secteurs de gare
dépend notamment, mais pas uniquement, de la capacité des
pouvoirs publics à garantir la concrétisation des objectifs d'un
développement urbain durable. Le secteur privé pourrait à
l'avenir avoir un rôle de plus en plus important à jouer dans la
mise en oeuvre de solutions innovantes et de synergies en matière
d'aménagement durable.
Hypothèse 4
4) La concrétisation d'un projet sur les friches
industrielles des secteurs de gare dépend de la capacité des
pouvoirs publics à contourner les obstacles inhérents à ce
type de terrains
Notre recherche nous a amenés à voir que la
plupart des obstacles relevant de la nature en déclin et de la
localisation urbaine de ces friches pouvaient être dépassés
par la mise en place d'une planification appropriée par les pouvoirs
publics. L'acquisition de données utiles sur les terrains et les
bâtiments sous-utilisés ou sur la contamination des sites est
aussi dépendante d'un engagement actif des autorités pour la
réutilisation des friches.
Là encore cependant, l'étude de
Crêt-Taconnet a montré que le rôle du secteur privé
s'est révélé décisive dans l'établissement
d'une gestion de site plus à même de gérer la
complexité d'un projet de reconversion.
La concrétisation d'un projet sur les friches
industrielles des secteurs de gare dépend donc effectivement de la
capacité des pouvoirs publics à contourner les obstacles
inhérents à ce type de terrain, mais aussi de l'implication du
secteur privé. D'autre part, il s'est avéré que le
potentiel de blocage le plus important était difficilement
résoluble: le conflit entre la définition de la
propriété foncière et le rôle assigné aux
pouvoirs publics en matière d'aménagement du territoire peut
rendre extrêmement difficile l'aboutissement d'un projet de
réutilisation de friches industrielles.
Nous souhaiterions terminer en soulevant une question que nous
n'avons pas eu le temps de traiter dans le cadre de ce travail, mais qui est
primordiale. Nous avons observé que l'ampleur du processus de formation
de friches industrielles de ces dernières décennies
résultait de l'incapacité des formes construites -
bâtiments -, ainsi que de leur support - terrains affectés
spécifiquement à un type d'activités - à s'adapter
aux récentes mutations de l'économie. Il paraît donc
important de s'interroger sur les moyens d'éviter que les constructions
d'aujourd'hui ne deviennent, dans un futur plus ou moins proche, des friches
à leur tour.
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