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La responsabilité civile des organisateurs de loteries commerciales

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par Roger LANOU
Université de Ouagadougou - Maà®trise en droit des affaires 2003
  

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INTRODUCTION GENERALE

Il est de plus en plus fréquent de recevoir des messages publicitaires sur lesquels on peut lire des formules du genre : « C'est officiel, vous venez de gagner vingt et cinq millions de centimes à notre grand jeu concours ...». Le prétendu succès, annoncé par lettre nominative, s'avérant rapidement n'être qu'une présélection pour le tirage final. Les destinataires agissent alors en justice, réclamant cette somme d'argent et présentant l'attitude de la société organisatrice de loteries publicitaires comme une faute. Il revient par conséquent au juge de retenir un fondement pour engager la responsabilité de la société et de déterminer la somme à servir éventuellement au prospect.

Mais que recouvre l'expression loterie publicitaire ou loterie commerciale ?

La publicité est l'ensemble des moyens destinés à informer le public et à le convaincre d'acheter un produit ou un service1(*). Lorsqu'elle consiste à transmettre un message publicitaire imprimé directement à la personne visée, elle est désignée par l'expression "publicité directe"2(*). Une variante de cette dernière est le mailing qui consiste en l'envoi d'un message précis à un client déterminé3(*).

La loterie, quant à elle, peut être définie comme un jeu de hasard qui consiste à tirer au sort des numéros désignant des billets gagnants et donnant droit à des lots4(*).

Les loteries publicitaires désignent alors une combinaison entre deux techniques : le mailing et la loterie5(*). Il s'agit pour les sociétés de vente par correspondance d'organiser des loteries avec prétirage à l'intention des consommateurs, repérés sur des fichiers informatiques, dans le but de les inciter à acheter des produits déterminés6(*). Les loteries commerciales, quant à elles, regroupent l'ensemble des loteries organisées par une société commerciale dans un but commercial. Les loteries publicitaires ne sont donc, en réalité, qu'une espèce particulière des premières.

Pour ce qui est du mécanisme, les loteries publicitaires comportent deux formules. Dans la première, encore appelée "sweepstake", la désignation du gagnant est faite a priori, par tirage au sort. Le numéro gagnant est tiré auparavant mais l'inconnue demeure jusqu'à la confrontation des numéros des participants avec la liste des gagnants. Dans la seconde, le tirage de la loterie se fait après la distribution des titres de participation. Ce dernier procédé, d'utilisation classique, comporte deux variantes : soit le consommateur reçoit un bon de participation qu'il remplit et dépose dans une urne ou tout autre réceptacle prévu à cet effet, soit le prospect reçoit un bon personnalisé et un numéro de participation dans des documents qu'il garde après renvoi de son bon ou bulletin de participation7(*). C'est cette dernière formule qui intéressera notre étude.

D'une façon générale, le contentieux lié aux loteries publicitaires revêt deux aspects, l'un pénal, l'autre civil. Notre étude ne s'étendra pas à l'aspect pénal de ce contentieux, qui permet de condamner l'organisateur de loteries publicitaires sur le fondement de plusieurs textes aussi bien en France8(*) qu'au Burkina Faso9(*).

Malgré l'abondance des textes répressifs, et les condamnations fréquentes prononcées, « la sanction pénale se révèle à elle seule insuffisante pour décourager les sociétés publicitaires les plus agressives »10(*). L'arme la plus dissuasive s'avère donc être la responsabilité civile. Dans le même sens, un auteur s'interrogeait : « Une société commerciale peut-elle licitement et sans engager sa responsabilité civile, faire naître chez autrui la croyance erronée a un gain important à une loterie organisée par elle ? » 11(*).

En effet, M. VIRASSAMY résume de façon complète le premier problème de droit auquel les juges ont du faire face avec la généralisation du phénomène des loteries publicitaires. Depuis 1988, la Cour de cassation française s'est, à plusieurs reprise, prononcée sur cette question en approuvant des condamnations civiles à l'encontre des organisateurs de loteries commerciales12(*).

Mais sur quel fondement ces sociétés sont-elles sanctionnées ?

Cette question mérite d'être étudiée car l'hésitation est manifeste quant au fondement à donner à cette responsabilité. En effet, les décisions des juges oscillent au gré des actions entre quatre fondements à savoir le fondement délictuel de l'article 1382 du Code civil, le fondement contractuel des articles 1101 et suivants du Code civil, le fondement du contrat apparent proposé par une partie de la doctrine13(*), et enfin le fondement quasi-contractuel de l'article 1371 du Code civil consacré par la Chambre mixte de la Cour de cassation française le 6 septembre 2002.

D'abord, en ce qui concerne le fondement délictuel, il est le plus ancien et le plus utilisé par les juges pour motiver leurs décisions. En effet, les juges ont très souvent considéré que la société organisatrice de loteries publicitaires, en faisant faussement croire à une personne qu'elle a gagné une somme d'argent, commettait une faute civile.

Pour ce qui est du fondement contractuel, il n'a été que quelques fois utilisé par les juges14(*). Dans cette hypothèse, l'annonce de gain, faite sans réserve significative, est considérée comme une offre de contracter et la réponse du participant, demandant le paiement du lot gagné, comme une acceptation à la pollicitation. Il en est de même pour l'engagement unilatéral15(*), sauf que pour ce dernier, sa formation ne nécessite pas l'acceptation du destinataire.

Quant au quasi-contrat de l'article 1371 du Code civil, il a été consacré, pour la première fois, comme fondement à la responsabilité de l'organisateur de loteries dans deux arrêts de la Chambre mixte de la Cour de cassation française en date du 6 septembre 200216(*). Il est défini par ledit article comme un  fait purement volontaire de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties. Ce fondement postule qu'un simple fait volontaire suffise pour faire naître l'obligation à la charge de son auteur.

Enfin, le contrat apparent, proposé comme fondement de la responsabilité civile de l'organisateur de loteries publicitaires, a été développé par la doctrine pour la protection des cocontractants ou des tiers17(*). L'on considère que, parce que le destinataire a légitimement cru au gain du lot indiqué, qu'il est admis à le réclamer. La bonne foi suffit donner effet à sa croyance au gain.

Désigner le fondement le plus adapté à la sanction des organisateurs de loteries commerciales n'est pas une oeuvre facile, chaque fondement présentant des avantages et des inconvénients soit par rapport à l'appréciation ou à la qualification des documents envoyés au particulier, soit au regard de l'appréciation de la bonne ou de la mauvaise foi du destinataire, soit enfin par rapport à l'appréciation du préjudice et à l'évaluation de la réparation.

Une fois la question du fondement de la responsabilité résolue, il faudra, pour qu'il y'ait réparation, prouver l'existence d'un dommage qui devra ensuite être évalué par le juge en vue de sa conversion en une indemnité réparatrice. Les questions relatives à la réparation méritent d'être traitées au regard du fondement retenu dans chaque espèce.

D'abord, pour ce qui est du fondement délictuel, le préjudice, selon les juges, est constitué par la déception de l'attente légitime du prospect et la perte de l'illusion du gain. La réparation devra nécessairement se faire en conformité avec le principe de la réparation intégrale, principe directeur de la responsabilité civile. Mais comment et à combien évaluer le préjudice moral de déception ?

Dans la responsabilité contractuelle l'article 1147 du Code civil rend le cocontractant responsable de toute inexécution de son obligation contractuelle, à moins de prouver une cause étrangère non imputable à lui. L'organisateur pourra donc être condamnée à des dommages et intérêts, d'un montant égal au lot promis, du seul fait du non-paiement de celui-ci.

Enfin, le quasi-contrat quoique différent du contrat dans sa formation, reste assez proche de lui dans ses effets. C'est ainsi que la réparation dans le quasi-contrat consistera en une condamnation à exécuter les engagements pris notamment l'allocation de la somme promise au prospect.

La responsabilité de l'organisateur de loteries publicitaires peut ainsi être basée sur plusieurs fondements, selon la présentation des documents et le contenu exact de ceux-ci. Il y a de ce fait la nécessité d'étudier les divers fondements possibles en essayant tant que faire se peut de faire ressortir les critères qui permettent au juge de retenir un fondement plutôt qu'un autre. Cette étude constituera la première partie de notre travail.

Ce fondement trouvé par le juge, il lui restera encore à apprécier l'existence d'un préjudice qu'il devra évaluer en vue de la réparation. L'étude de la réparation du préjudice subi par le prospect sera l'objet de la seconde partie de notre travail.

Titre I : Les fondements de la responsabilité de l'organisateur de loteries commerciales.

Titre II : La réparation du préjudice subi par le prospect.

* 1 R. LEDUC, La publicité, Dunod, 2ème éd., Paris 1974, p. 2.

* 2Ibidem.

* 3 B. K. SOME, Le régime juridique de la publicité commerciale au Burkina Faso, Mémoire de maîtrise, Ecole Supérieure de Droit, Ouagadougou 1987, p. 1.

* 4 Dictionnaire LAROUSSE.

* 5 H. HENRY, Les loteries publicitaires dans les contrats par correspondance, JCP 1986, I, 3264, n°13.

* 6 B. LECOURT, Les loteries publicitaires : la déception a-t-elle un prix ? JCP n°29 du 21 juillet 1999, I, 155.

* 7 Ibidem.

* 8 En France la matière est régir par  : la Loi du 21 mai 1836 relative aux loteries prohibées (Cf. Crim., 18 juillet 1995, Bull. crim., n°271 ; Crim., 21 novembre 1989, D. 1989, IR., 40) ; les art. L. 121-1 et s. du Code de la consommation relatifs aux publicités trompeuses, et les art. L. 121-36 et s. du même Code relatifs aux conditions de validité propres aux loteries publicitaires (Art. introduits par la Loi n° 89-421 du 23 juin 1989).

* 9 Au Burkina Faso la matière des jeux et loteries est régie par : le Décret 71-175 du 23 septembre 1971 portant interdiction du jeu Système International de progression Arithmétique (SIPA) sur le territoire du [Faso] (J.O.RHV. du 14 octobre 1971, p. 677) ; l'Ord. 78-62 du 15 juin 1978 modificative aux Ord. 67-25 du 10 mai 1967, et 67-44 du 28 août 1967 instituant une Loterie nationale (J.O.RHV. du 23 novembre 1978, p.858) ; l'Arrêté Interministériel 91-108 MFP.MDPS. du 30 décembre 1991 définissant les conditions d'exploitation des casinos au Burkina Faso et la nature des jeux de hasard pouvant y être pratiqués (J.O.BF. du 2 janvier 1992, p.3) ; le Décret 98-289 du 9 juillet 1998 portant définition des conditions d'autorisation des jeux de hasard et d'exploitation des établissements de jeux (J.O.BF. du 23 juillet 1998, p.5475) ; la Loi 43-96 du 13 novembre 1996 portant Code pénal (Promulguée par le Décret 96-451 du 18 décembre 1996), qui en ses art. 203 et 204 punit les auteurs d'infractions à la réglementation des maisons de jeux et des loteries non autorisées par la loi, des peines d'emprisonnement de deux mois à un an et d'une amende de 50 000 à 300 000 francs CFA ou de l'une de ces peines.

* 10 De GOUTTES, Conclusions ss. Cass. Ch. mixte 6 sept. 2002, www.courdecassation.fr, p. 10.

* 11 G. VIRASSAMY, note ss. Civ. 2ème, 3 mars 1988, Bull. civ., II, n°57 ; JCP 1989, II, n°21313.

* 12 Civ. 2ème, 3 mars 1988, D. 1988, Somm. 405, obs. J-L. AUBERT ; Civ. 2ème, 7 juin 1990 ; Civ. 1ère, 28 mars 1995, D. 1995, Somm. p. 227, obs. Ph. DELEBECQUE ; Civ. 1ère, 11 mars 1997, Civ. 2ème, 7 juin 1998 ; Civ. 1ère, 19 octobre 1999, D. 2000, Somm. p. 357, obs. D. MAZEAUD  ; Civ. 1ère, 12 juin 2001, JCP 2002, II, 10104, obs. D. HOUTCIEFF.

* 13 A. BENABENT, Droit Civil, les obligations, 7ème éd., 1999.

* 14 Civ. 2ème, 11 février 1998, JCP 1998, I, 185, Chr. G. VINEY. ; Civ. 1ère, 12 juin 2001, D 2002, Somm. p. 1316, obs. D. MAZEAUD.

* 15 Civ. 1ère, 28 mars 1995, D. 1996, p. 180 note J.-L. MOURALIS ; RTDciv. 1996, 397, obs. J. MESTRE.

* 16 Cass. Ch. mixte, 6 septembre 2002, Petites Affiches du 24 octobre 2002, n°213, note D. HOUTCIEFF.

* 17 A. BENABENT, Droit civil, les obligations, op. cit., n°501.

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