2. 1. 3. Processus psychologique de l'impact du
message de peur sur les comportements dangereux: les modèles
théoriques de Rogers et de Witte
L'exposition d'un prospect à une menace le pousse
à adopter deux types de conduite pour résoudre l'inconfort mental
induit par la peur ressentie (Dantzer, 1989; Festinguer, 1957) selon la
théorie de la dissonance cognitive. Cette théorie montre que
lorsque des informations contraires aux croyances et aux comportements des
individus sont perçues, ces derniers développent une impulsion
motivante pour réduire le déséquilibre psychologique
ressenti. Ces deux types de conduites sont :
§ L'action ou processus de contrôle du
danger : la perception du danger engendre une peur qui motive
l'individu à agir et à rejeter son habitude malsaine pour y
échapper. Le cas échéant, on constate un effet positif de
l'émotion phobique sur la persuasion sociale.
§ La défense ou processus de
contrôle de la peur : la perception de la menace engendre une
peur qui pousse l'individu à rejeter l'information diffusée dans
le message préventif afin de réduire l'émotion
négative ressentie. Cela se traduit par exemple par un évitement
de la communication ou un dénigrement de celle-ci. En
conséquence, il est constaté un effet nul ou négatif de la
peur sur la persuasion sociale.
L'adoption de l'action ou de la défense de l'individu
est aussi fonction d'un certain nombre de caractéristiques propres
à l'individu: son âge, son sexe, ses croyances, son environnement
proche, ses principes et idéaux...etc.
Figure 2. Comportement de l'individu face au
message de peur
Message de peur
(Émission du message phobique)
- Croyances
- L'environnement proche
- Les principes et idéaux
- L'âge
- Le sexe
- Etc.
Défense
Action
Adaptation Non adaptation
(Changement du comportement) (Refus de changer de
comportement)
Source : Auteur
Des psychologues et chercheurs en marketing ont tenté
de comprendre pourquoi une campagne de prévention fondée sur
l'émotion phobique se soldait dans certains cas par un succès
(action) et dans d'autres par un échec (défense). Nous
présentons ci-après les modèles estimés les plus
robustes sur les plans empirique et théorique pour étudier
l'impact de la peur sur les attitudes et les comportements. Il s'agit du
modèle de motivation à se protéger (Rogers, 1983) et du
modèle des processus parallèles étendus (Witte, 1992).
Ø Le « Protection motivation
model » ou modèle de motivation à se protéger
Le modèle de motivation à se protéger a
été proposé par Rogers en 1975, puis revu en 1983. Il
explique les conditions nécessaires au déclenchement du processus
de contrôle du danger. Ce modèle se concentre plus
précisément sur les processus cognitifs médiateurs de la
relation entre la peur et la modification du comportement incriminé par
l'annonceur.
Selon Rogers, le message de peur n'explique pas à lui
seul la réussite de la persuasion. Il est un catalyseur dans le sens
où il active les processus cognitifs qui conduisent le prospect à
modifier son comportement. Si l'un de ces états intermédiaires ne
possède pas une intensité suffisante, l'individu n'est pas
motivé pour se protéger et n'adoptera pas le comportement
préconisé par l'annonceur.
Figure 3. Le modèle de motivation
à se protéger ou modèle de Rogers
Présentation de la menace
Oui
Non
Echec du message
La menace est-elle sévère ?
Oui
La menace risque t-elle de se produire ?
Non
Echec du message
Oui
Existe-t-il des solutions efficaces pour se
protéger ?
Non
Echec du message
Oui
Le prospect est-il capable de mettre en oeuvre ces
solutions ?
Echec du message
Non
Oui
Oui
Adoption du comportement préconisé par
l'annonceur
Motivation à se protéger de la menace
Sources : Rogers, 1983
Le processus de persuasion est initié ici par le
traitement de la menace présentée dans le message de
prévention. Pour que cette dernière produise l'effet
escompté (déclenche une motivation pour se protéger du
danger), il faut qu'elle soit suffisamment sévère et susceptible
d'être vécue par le prospect si celui-ci ne modifie pas son
comportement. L'individu se trouve alors dans de bonnes conditions pour
évaluer la solution proposée par l'annonceur afin d'éviter
la menace. Cette recommandation a une chance d'être adoptée si
elle est jugée efficace et si le prospect se sent capable de la mettre
en oeuvre. Si la sévérité de la menace, sa
probabilité d'occurrence, l'efficacité de la solution
préconisée et sa faisabilité sont fortement perçues
par le prospect, cela déclenche alors un état
intermédiaire de motivation à se protéger. Si tel est le
cas, celui-ci se sentira capable de contrôler la menace et par induction
son émotion de peur en s'appuyant sur la solution proposée
(processus de contrôle du danger). Les solutions proposées sont
finalement adoptées par le prospect, sauf si l'intensité de la
motivation à se protéger, qui dépend elle-même de
l'intensité des premières phases cognitives (traitement de la
menace et de la solution), est trop faible.
Le modèle de Rogers présente toutefois la
limite de ne fournir aucune explication quant aux échecs observés
lorsque l'émotion phobique active une stratégie de défense
ou d'évitement (processus de contrôle de la peur). De même,
l'impact de l'émotion négative sur le processus de contrôle
du danger est très peu abordé.
Ø L'Extended Parallel Process Model ou
modèle des processus parallèles étendus
Nous devons ce modèle à Witte (1992). Witte
estime que le processus de contrôle du danger est essentiellement
cognitif et ajoute que l'exposition du prospect à une menace forte
déclenche une émotion de peur qui peut affecter la perception du
danger en le surévaluant. Cette réaction motive l'individu
à rechercher une solution et le pousse vers celle
préconisée par l'annonceur si elle est jugée efficace pour
échapper à la menace.
Witte explique à travers son modèle quand et
pourquoi les appels à la peur sont efficaces et quand et pourquoi ils ne
le sont pas. Selon le modèle des processus parallèles
étendus, la façon dont une personne réagit aux appels
à la peur dépend de son évaluation de la menace
perçue (perception).
Lorsqu'elle évalue la menace, la personne en
considère la gravité, puis elle juge sa
vulnérabilité, c'est-à-dire les chances que cela lui
arrive. Si une personne ne croit pas qu'elle est en danger, ou que la menace
pour sa santé n'est pas certaine, elle ne va pas réagir au
message. On aura une perception faible de l'émotion de peur, et donc
aucun changement de comportement, d'où l'échec du message
auprès de ce type de cible.
Si la perception de la menace atteint un niveau
élevé (c'est-à-dire la personne croit que la menace est
grave et qu'elle est en danger), elle va avoir une réaction de peur et
va être poussée à agir. La nature de sa réaction va
dépendre de son opinion sur l'efficacité de l'action
recommandée et de son opinion sur sa capacité d'agir.
Lorsqu'une personne a peur, mais qu'elle sait réagir
efficacement à une menace, elle adopte le comportement recommandé
pour maîtriser le danger. Ce comportement s'appelle action ou
maîtrise du danger.
Par contre, si la perception de la menace dépasse la
perception de l'efficacité (la cible ne se sent pas capable
d'éviter efficacement la menace parce que l'action recommandée
est trop difficile, trop coûteuse ou ne marchera pas), la personne
commence à réfléchir à la façon de
maîtriser sa peur. Elle va éviter le message, nier qu'elle est en
danger, rire du message ou se fâcher contre la source ou la question et
l'ignorer. Elle peut même adopter plus de comportements néfastes
pour sa santé (effet boomerang). Il y a à ce moment
réaction ou maîtrise de la peur.
En d'autres termes, tant qu'une personne perçoit une
menace, elle va être poussée à réagir. En fait, plus
la menace est grande, plus la motivation est grande. Le choix entre la
maîtrise de la peur et la maîtrise du danger va dépendre du
niveau d'efficacité perçue par rapport au niveau de menace
perçue. Le diagramme de la page suivante, qui est une
présentation schématique du modèle de Witte, montre
comment une personne analyse un message d'appel à la peur et
réagit en fonction de cette analyse.
Les diverses perceptions obtenues suite à
l'exposition au message de peur dépendent de certaines
caractéristiques propres aux individus telles que : l'estime de
soi, l'attitude par rapport au risque, la vulnérabilité, les
expériences passées de la cible avec le danger,
l'anxiété, le niveau de dépendance de la cible par rapport
au comportement incriminé, les caractéristiques
sociodémographiques, etc. Aussi, il peut arriver que les individus en
situation de dissonance cognitive soient moins impliqués par le message
que ceux en situation de consonance cognitive.
Figure 4. Le modèle des processus
parallèles étendus (Witte, 1992)
Source : (Witte, 1992)
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