La procédure d'immatriculation des terrains en droit camerounais selon le decret n?°2005/481 du 16 decembre( Télécharger le fichier original )par Simplice GOUAMBE Université de yaoundé II-SOA - DEA droit privé 2006 |
mINTRODUCTION GENERALE
INTRODUCTION GENERALE 1. La terre en Afrique est un bien précieux, car elle exprime dans une certaine mesure la cohésion familiale. Elle constitue l'une des sources de développement économique et social d'un pays. A cet effet, la réglementation de son utilisation et de son occupation s'impose. Ainsi, plusieurs règles régissent le processus d'acquisition des terres. 2. En Afrique, deux modes de gestion de la terre coexistent : d'une part, le mode traditionnel, qui consiste à confier l'ensemble des terres à un chef coutumier, gardien de la tradition ancestrale. Il est le seul qui puisse distribuer les terres à ses sujets ; et d'autre part, le mode moderne. Ici, la gestion de la terre est confiée à une entité étatique. Ce dernier mode, dit encore mode du droit écrit, diffère d'un pays à un autre, d'un régime politique à un autre1(*). 3. Au Cameroun, la législation foncière a connu une longue évolution en ce qui concerne les modes d'accession à la propriété. L'accession à la terre se faisait de façon traditionnelle. Seuls les autochtones avaient la possibilité de devenir « propriétaires terriens ». Les allogènes pouvaient seulement louer un terrain pour s'y implanter ; ils n'avaient aucun droit sur la terre sinon, le droit de jouissance. Cette pratique était source d'insécurité. L'arrivée des colons au Cameroun a contribué à son abandon. Ces derniers ont instauré des nouvelles méthodes d'acquisition de la propriété. Cependant, cette acquisition se faisait selon que l'on se trouvait du coté du Cameroun oriental ou du Cameroun occidental. 4. Dans la partie du Cameroun sous administration anglaise, l'accès à la terre avait pour but de permettre à la population d'utiliser et d'exploiter les terres. La population n'avait qu'un droit de jouissance et non un droit de propriété. On délivrait un « certificate of occupency » à une personne après une procédure. Ce certificat était la preuve d'un droit de jouissance. Dans cette partie du Cameroun, l'accès à la terre n'a pas connu de nombreuses réglementations ; tel n'est cependant pas le cas dans la partie du Cameroun sous administration française. Ici, l'accès à la terre était subordonné à plusieurs règlementations. Il sied cependant de classer ces règles en deux grandes périodes. La période d'avant 19742(*) et la période d'après 1974. 5. Avant 1974, trois systèmes ont régi le processus d'acquisition de la propriété : le système de la transcription3(*) institué par la loi française du 24 juillet 1921 avec son arrêté d'application du 15 septembre 1921. Ce système fut abandonné en 1959 ; le système de la constatation4(*) institué au Cameroun par les décrets du 20 mai 1955 et 10 juillet 1956 et enfin le système de l'immatriculation institué par le décret du 21 juillet 19325(*). Précisons que le régime foncier de l'immatriculation ne s'applique qu'aux fonds de terre de toute nature. Avant 1974, l'immatriculation des terres était facultative, ceci parce qu'il fallait respecter certaines coutumes et la conception coutumière de droit sur la terre. 6. Au lendemain de l'indépendance, seuls les systèmes de constatation et d'immatriculation étaient encore en vigueur au Cameroun oriental6(*). Cependant le système de la constatation a été abandonné en 19667(*) au profit du système de l'immatriculation. Le décret du 25 novembre et l'arrêté du 30 novembre1966 ont consacré l'immatriculation comme le seul mode d'accession à la propriété foncière et elle est devenue obligatoire. La grande réforme de 1974 a d'ailleurs entériné ce processus d'accès à la propriété. 7. L'immatriculation est définie par le Professeur Alexandre Dieudonné TJOUEN comme « une opération qui consiste à dégager de façon nettement définie les droits individuels de l'emprise communautaire et à les placer sous l'empire du régime du livre foncier dont l'aboutissement est pour les droits immobiliers la délivrance d'un titre foncier »8(*). 8. Nous devons savoir que l'immatriculation applicable au Cameroun a été largement inspirée du « TORRES ACT » en vigueur à l'époque en Australie et en Allemagne9(*). Pour immatriculer un terrain, il fallait suivre une procédure. La procédure en Australie était différente de celle pratiquée en Allemagne. En Australie par exemple, la procédure d'immatriculation était simple. On délivrait, à tout candidat à l'obtention d'un titre de propriété sur un terrain, un certificat après une longue procédure. En Allemagne par contre, la procédure d'accession à la propriété consistait, pour celui qui avait besoin d'un titre de propriété, à s'adresser à l'administration avec un dossier, contenant tous les éléments, qui devrait être soumis au contrôle d'un juge, qui, au terme de ce contrôle émettait un avis favorable ou défavorable. En cas d'avis favorable, le nom du requérant était inscrit dans un livre foncier appelé « Grundbuch » et il avait droit sur la parcelle du terrain. 9. Le législateur camerounais s'est suffisamment inspiré de ces deux procédures pour instituer en 1974 une procédure essentiellement administrative. Celle-ci est appliquée sur l'ensemble du triangle national. 10. Selon le vocabulaire juridique de Gérard CORNU, la procédure peut être définie comme l'ensemble des formalités qui doivent être suivies pour aboutir à un certain résultat. Ainsi, la procédure d'immatriculation est l'ensemble des formalités qui doivent être suivies pour aboutir à la délivrance d'un titre de propriété. La procédure d'immatriculation est aujourd'hui régie par le décret N°2005/481 du 16 décembre 2005 modifiant et complétant certaines dispositions du décret N°76/165 du 25 avril 1976 fixant les conditions d'obtention du titre foncier. Contrairement au décret de 1976 où la procédure d'immatriculation est lourde et coûteuse, le décret de 2005 apporte un souffle nouveau à la procédure d'immatriculation10(*). 11. Un problème se pose cependant de savoir si toutes les terres peuvent faire l'objet d'une procédure d'immatriculation. Au Cameroun toutes les terres ne peuvent pas faire l'objet d'une procédure d'immatriculation sauf celles relevant de la première dépendance du domaine national, c'est-à-dire l'ensemble des terres occupées ou exploitées mais non encore immatriculées. Le domaine national est défini comme l'ensemble des terres camerounaises non immatriculées en dehors des terres du domaine public11(*). La deuxième dépendance du domaine national concerne les terres libres de toute occupation ou de toute exploitation .Les terres de cette dépendance suivent la procédure de concession12(*) . 12. La procédure d'immatriculation est une voie d'obtention du titre foncier. Pour celà, elle doit être distinguée des modes dérivées de ladite obtention : Il s'agit d'abord du morcellement qui consiste à avoir un titre sur une parcelle de terrain qui a au préalable fait l'objet d'un premier titre foncier; ensuite de la mutation, qui est le fait d'avoir un même terrain titré mais de changer de titulaire ; on peut également mentionner la cession qui consiste pour le détenteur d'un titre foncier à céder ses droits sur le terrain à un tiers ; enfin la fusion qui consiste à réunir deux ou plusieurs titres fonciers pour obtenir un seul lorsque lesdits terrains sont situés côte à côte. 13. Nous remarquons que ces modes dérivés diffèrent de la procédure d'immatriculation proprement dite en ce sens qu'ils ne se réalisent que sur les terrains ayant au préalable fait l'objet d'un titre foncier. 14. Rappelons que la procédure d'immatriculation est essentiellement administrative au Cameroun. De ce fait, elle obéit à deux impératifs peu conciliables : Immatriculer le plus possible et ne léser personne. A cet égard, Monsieur GASSE Victor 13(*) souligne que la procédure poursuit un objectif double : prévenir les appropriations illégitimes et en particulier les empiètements irréguliers ; prévenir les omissions de droits réguliers pour empêcher leur empiètement14(*) . 15. La procédure d'immatriculation a fait l'objet de plusieurs études. La doctrine y a consacré des nombreux écrits. Le professeur Alexandre Dieudonné TJOUEN dans son ouvrage15(*) a fait une analyse de la procédure de l'ancienne législation. Il a relevé que la procédure est longue et coûteuse. Dans le même ordre d'idées monsieur André TIENTCHEU NJIAKO a caractérisé l'ancienne procédure d'un « véritable parcours de combattant »16(*). C'est certainement au regard de ces tares qui jonchaient la procédure d'immatriculation que le législateur a pris en 2005 un décret modifiant certaines dispositions de l'ancienne procédure. Lequel décret vient à point nommé dans un pays où la croissance démographique est galopante et où la population a recours de plus en plus à la terre non seulement pour l'agriculture mais également pour l'implantation des maisons d'habitation. 16. Constatant le recul de la population à procéder à l'immatriculation et le souci de l'Etat de maintenir le contrôle de la distribution des terres, le législateur, par ce nouveau décret, a voulu que la procédure d'immatriculation ne soit plus un parcours de combattant mais plutôt un parcours de victoire; c'est-à-dire de redonner la confiance et de l'assurance à tout candidat à l'immatriculation ; d'où l'intérêt que nous portons en choisissant le thème de notre étude. 17. Le choix opéré pour ce thème est d'analyser minutieusement les nouvelles dispositions du nouveau décret relatif à l'immatriculation aux fins d'en tirer toutes les conclusions nécessaires. Dans cet optique, il sied de nous interroger sur l'effet de ce décret sur la procédure d'immatriculation. Quelques questions vont nous guider : en quoi la nouvelle procédure se démarque-t-elle de l'ancienne ? Ensuite cette nouvelle procédure est-elle à la hauteur des attentes de la population ? Enfin n'existe-il pas de nouvelles lacunes de la part du législateur qu'il faille rectifier en vue d'une procédure qui épouse les réalités économiques, sociales et culturelles du Cameroun ? Toutes ces questions et bien d'autres, que nous nous poserons tout au long de cette étude, guiderons notre réflexion. 18. L'intérêt de cette étude est double : d'abord faire une lumière aux usagers des services des affaires foncières à propos de la procédure d'immatriculation directe ; ensuite proposer des solutions aux éventuels problèmes que peut engorger la procédure. Sur ce, notre travail sera axé autour de deux parties : La première sera consacrée aux caractéristiques de la nouvelle procédure d'immatriculation (Première partie) et la seconde traitera des difficultés rencontrées lors de la procédure d'immatriculation (Seconde partie). * 1 La gestion de la terre différait selon que l'on se trouvait sous la domination allemande, anglaise, espagnole, française et portugaise. * 2 C'est la période où la grande réforme foncière a eu lieu au Cameroun à travers l'ordonnance N°74/1 du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier, ordonnance N°74/2 du 6 juillet 1974 fixant le régime domanial ; ordonnance N °74/3 du 6 juillet 1974 relative à la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique et les modalités d'indemnisation. * 3 Pour avoir un droit sur un terrain, il suffisait d'inscrire dans un livre foncier chaque bien que l'on avait et le conservateur affectait à celui-ci un compte. Elle s'apparente aujourd'hui au régime de la publicité foncière * 4 L'on faisait constater par des autorités administratives ses droits sur la terre, et cette dernière lui délivrait un titre de propriété. * 5 Décret du 21Juillet 1932 instituant au Cameroun le régime foncier de l'immatriculation. * 6 Lire MELONE Stanislas, La parenté et la terre dans la stratégie de développement :L'expérience camerounaise. éd Klincksieck,Paris 1972, p 166 et Suiv. * 7 Loi N°66-31 cor du 7 juillet 1966 modifiant les dispositions de l'article 5 du décret-loi N°2 du 9 janvier 1963. * 8 TJOUEN Alexandre-Dieudonné, Droits domaniaux et techniques foncières en droit camerounais : étude d'une réforme législative, Paris économica 1982, p. 133. * 9 Lire TJOUEN Alexandre-Dieudonné op. cit.; également GASSE Victor,Droit foncier outre-mer et son évolution depuis les indépendances, th.dacty, Tome I. * 10 Tandis que le décret de1976 fixe deux conditions à l'immatriculation :les conditions de fonds relatives à l'auteur et à l'objet de l'immatriculation et une condition de forme relative à la procédure d'immatriculation proprement dite ;le décret de 2005 ne vient régir uniquement que la condition de forme à l'immatriculation * 11 cf. ordonnance n°74/1 du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier. * 12 Cette procédure est régie par le décret N°76/166 du 27 avril 1976 fixant les modalités de gestion du domaine national. * 13 GASSE Victor, Droit foncier outre mer et son évolution depuis l'indépendance, th. dacty tome I Université d'Aix-Marseille, 1968 p37. * 14 GASSE Victor, op.cit. P 37. * 15 TJOUEN Alexandre-Dieudonné op.cit. pp155 et Suiv. * 16 TIENTCHEU NJIAKO André, Droits fonciers urbains du Cameroun, PUA, Yaoundé 2003, p 59 .Lire, du même auteur ; Droit réels et domaine national au Cameroun, PUA, Yaoundé 2005, 544p. |
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