III. Les limites du PIB :
Le Produit intérieur brut (PIB) mesure la production
totale de biens et services d'un pays pendant une période donnée.
Sa croissance est considérée comme une mesure de la santé
économique d'un pays.
Cependant, que ce soit par son évolution ou par son
ratio par habitant, le Produit intérieur brut n'est qu'une mesure
globale, une moyenne. Il ne permet d'appréhender ni les
inégalités sociales ni leur évolution. On peut très
bien avoir un PIB moyen qui augmente alors que les revenus (qu'il est
censé mesurer) diminuent pour une majorité de la population et
augmentent fortement pour une minorité, ce qui renforce les
inégalités. Le calcul du PIB s'appuie sur la
comptabilité nationale, donc sur ce qui est déclaré
à l'Etat. Pour rentrer plus en profondeurs et montrer les insuffisances
du PIB dans la mesure de la croissance économique d'un pays, examinons
les exemples suivants :
· Une société où il y a beaucoup
d'accidents de la route, qui vont exiger des soins médicaux, des
réparations de véhicules, des services d'urgence, etc., aura
tendance, toutes choses égales par ailleurs, à avoir un PIB plus
gros qu'une société où les gens conduisent prudemment.
Plus précisément, elle aura tendance à orienter une plus
grande partie de ses ressources économiques et de ses activités
vers la réparation des dégâts, sans progression globale du
bien-être, plutôt que vers la production de bien-être
supplémentaire
· 8
La destruction organisée de la forêt amazonienne
est une activité qui fait progresser le PIB mondial. Nulle part, on ne
compte la perte du patrimoine naturel qui en résulte, ni ses
conséquences diverses sur le climat, la biodiversité, le long
terme et les besoins des générations futures. Le PIB ne compte
pas les pertes de patrimoine naturel, mais il compte positivement sa
destruction organisée.
· De même, une entreprise qui pollue une
rivière pour assurer sa propre croissance économique et
contribuer ainsi au PIB occasionne des dégâts qui réduisent
le bien-être de certaines personnes. Or ces dégâts ne sont
pas considérés en tant que tels dans les comptés de la
richesse économique.
· Premier exemple Si, pour atteindre des taux de
croissance élevés, on contraint ou on incite les gens à
travailler de plus en plus, et à avoir moins de loisirs et de temps
libre, ce phénomène ne sera vu que sous l'angle du progrès
du PIB, car le PIB ne considère pas que la progression du temps libre
est une richesse digne d'être comptée.
· L'activité bénévole ne fait pas
partie des activités qui contribuent à la richesse nationale au
sens du PIB, justement parce que q'elle est gratuite, non monétaire.
Cette activité ne produit-elle pas des richesses et du bien- être
au même titre que l'activité salariée ?
· On estime au Mali que le temps total passé au
travail domestique non rémunéré est plus important que le
temps total de travail rémunéré (Enquête budget
temps de la DNSI 2000). Si l'on décidait par exemple de lui attribuer la
même valeur monétaire par heure de travail, cela pourrait doubler
le PIB !
On sait bien que le beaucoup-avoir n'est pas le bien -
être. Ce dernier peut être approché selon deux grandes
dimensions. La première est celle du bien-être subjectif,
évalué sur la base d'enquêtes d'opinion ou de satisfaction,
qui sont, certes, délicates à interpréter, mais qui
permettent toutefois de dresser des constats de divergence possible entre
l'évolution du niveau de vie (beaucoup-avoir) et la perception de
l'évolution du bien-être.
L'autre approche du bien-être est celle du
« bien-être objectif », sur la base de
critères multiples comme la bonne santé et l'espérance de
vie, l'accès à l'éducation et la maîtrise des
connaissances, la sécurité économique, la
prévalence de la pauvreté et des inégalités, les
conditions de logement et de travail etc. Or le PIB ne mesure que des volumes
d'outputs (volume des biens, quantité de services consommés), il
ne mesure pas ces outcomes.
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La contribution des services de santé à la
croissance n'est mesurée (dans le meilleur des cas) que par le volume
des consultations, des admissions à l'hôpital, des soins, et non
pas sur la base de la contribution de ces services à
l'amélioration de l'état de santé et des conditions de
vie. Avec une telle mesure une politique efficace de prévention des
risques sanitaires aura tendance à diminuer la contribution des
services de santé à la croissance, alors qu'elle fera
vraisemblablement progresser le bien-être.
Une même croissance de 2% ou 3% par an pendant des
années peut, selon les cas, s'accompagner d'un creusement ou d'une
réduction des inégalités sociales. Ces
phénomènes ne sont pas comptés dans la conception
dominante de la richesse.
Est-ce normal ? Est-il indifférent à notre
bien-être de vivre dans une société où coexistent
une masse de pauvres et une poignée de très riches ? Est-ce
qu'un euro ou un dollar de croissance en plus dans la poche d'un pauvre ne
produit pas plus de bien-être que la même somme dans le
portefeuille d'un riche ? C'est portant l'hypothèse de ceux qui
assimilent PIB, richesse et progrès. Et à nouveau, s'il est vrai
qu'aucun comptable national ne défend une telle assimilation, il est
clair qu'elle est quotidiennement et massivement pratiquée parce que,
dans les jugements de progrès, la domination écrasante des
dimensions marchandes et monétaires n'est pas contrebalancée par
la présence d'indicateurs alternatifs ayant un poids semblable.
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