CHAPITRE IV : Les
facteurs d'environnement
De multiples facteurs, qui peuvent être
considérés comme indépendants de la politique
économique, ont agi sur la croissance. Parmi les facteurs
d'environnement, les plus importants sont les facteurs sociopolitiques, le
climat, l'évolution démographique et enfin l'environnement
international.
Section I : Les
facteurs d'environnement interne et la croissance
I. Les Facteurs
sociopolitiques et croissance
De 1960 à nos jours, cinq régimes politiques se
sont succédés :
ü le régime de la Constitution de 1960
(1960-1968),
ü le régime du Comité Militaire de
Libération Nationale (1968-1974),
ü le régime de la Constitution de 1974
(1974-1991),
ü le régime de transition démocratique
(mars 1991-juin 1992) et enfin,
ü le régime de la troisième
République depuis 1992.
Ces cinq régimes correspondent à quatre phases
de politique économique :
ü la période socialiste (1960-1968)
ü la période d'économie mixte
étatiste (1968-1982)
ü la période de libéralisation avec le PAS
(1982-1992)
ü depuis 1992, le régime démocratique et
l'économie libéralisée.
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Le 22 septembre 1960, le Mali voit le jour à la suite
de l'éclatement de la fédération qui l'unissait au
Sénégal. Modibo Keïta en devient le premier
président. Sa politique économique, inspirée du
modèle marxiste-léniniste, amène la nationalisation des
entreprises nationales et étrangères, la création de
nombreuses entreprises publiques et l'intervention de l'Etat dans tous les
domaines de la vie économique et sociale. Le contrôle des prix est
instauré et le commerce international est confié à un
monopole public : la SOMIEX. Enfin, pour rompre définitivement avec le
colonisateur, le Mali quitte la zone franc et crée le franc malien en
1962. Le Mali se heurte alors très rapidement à plusieurs
contraintes : le manque de cadres compétents, les faibles incitations
à la production et les contraintes financières (sortie de
devises, inflation).
Dans ce contexte difficile, Modibo Keïta est contraint de
signer le 6 mai 1967 des accords de coopération monétaire avec la
France, sans toutefois rejoindre l'UMOA, ce qui sera fait longtemps
après sa chute en 1984. Le soutien populaire, dont
bénéficiait Modibo Keïta lors de l'accession à
l'Indépendance, s'érode vite. D'une part, le contrôle de la
commercialisation des produits agricoles, l'obligation de consacrer une partie
du temps à la culture des champs collectifs, le maintien de prix aux
producteurs très bas et plus généralement la
stratégie de transfert du surplus agricole vers le secteur non agricole,
provoquent le mécontentement des paysans.
D'autre part, le blocage des salaires entraîne une chute
du pouvoir d'achat des ménages urbains. Ainsi, à l'exception de
la classe dirigeante, l'ensemble de la population malienne est touché
par la politique économique du gouvernement. L'abandon du soutien
populaire provoque le coup d'état militaire de novembre 1968. Selon Azam
et Morrisson (1999), la principale caractéristique du régime
était une contradiction fondamentale entre les discours et les faits.
Sur le plan idéologique, le régime prétendait être
au service de tous. Dans la réalité, il ne
bénéficiait qu'à une petite minorité de cadres
politiques et administratifs. Ceux-ci s'étaient accaparé le
surplus agricole prélevé sur les paysans, en théorie
destiné à financer les investissements.
A partir de la fin de 1968, le Comité Militaire de
Libération Nationale (CMLN), présidé par Moussa
Traoré, assume l'ensemble des pouvoirs législatifs et
exécutifs. Jusqu'à la mise en application de la Constitution du 2
juin 1974, ce sont les ordonnances du CMLN qui régissent la vie
administrative du pays.
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CMLN : Comité Militaire de
Libération National
Les nouveaux dirigeants abandonnent le discours
marxiste-léniniste de l'ancien gouvernement pour s'orienter vers un
modèle de « socialisme plus libéral ». Les
premières mesures concernent le monde rural. Les champs collectifs sont
par exemple supprimés. Toutefois, la dérive vers un régime
militaire autocratique se manifeste dès 1969 lorsque Moussa
Traoré cumule les fonctions de chef de l'Etat et de chef du
gouvernement.
Au cours des années soixante-dix, le régime de
Moussa Touré poursuit une politique économique peu rigoureuse,
marquée par un développement important de la corruption et du
clientélisme. La situation politique et économique se
dégrade rapidement et le gouvernement de Moussa Traoré perd la
confiance de la plupart des groupes sociaux. De 1969 à 1980, on
dénombre cinq tentatives de coup d'état (août 1969, mars
1971, novembre 1976, février 1978 et décembre 1980) et autant de
grèves (avril 1969, mars 1971, janvier 1977, mai 1977, novembre 1979 et
mars 1980). L'éducation, la santé et le secteur des
infrastructures sont délaissés. Les arriérés de
paiements intérieurs s'accumulent et la dette extérieure ne cesse
de croître. Les pertes du secteur paraétatique s'accumulent.
Devant la dégradation de la situation
économique, le Mali s'engage avec les institutions de Bretton Woods dans
des programmes de stabilisation et d'ajustement structurel dès 1982. Par
ailleurs, le Mali réintègre l'UMOA en 1984. En 1988, le Mali
poursuit son effort d'ajustement avec le Programme d'Ajustement Sectoriel des
Entreprises Publiques (PASEP) et le Programme d'Ajustement Sectoriel Agricole
(PASA). Ces programmes permettent de libéraliser les prix et le
commerce, d'entamer une réforme de la fiscalité interne et
externe, de restructurer ou de privatiser les entreprises publiques, de
simplifier le cadre réglementaire régissant les activités
économiques, de libéraliser les marchés
céréaliers et d'améliorer l'efficacité du secteur
cotonnier.
En dépit de ces réformes, la
société malienne ne fait plus confiance à Moussa
Traoré qui règne depuis près d'un quart de siècle
sur le pays. De violentes émeutes éclatent à Bamako fin
1991. Moussa Traoré est arrêté le 24 mars 1992. Des
élections démocratiques sont organisées sous le
contrôle d'observateurs internationaux. Alpha Oumar Konaré est
élu président le 8 juin 1992.
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Le régime de la IIIe République doit
gérer un ajustement monétaire majeur près de trente ans
après le précédent qui avait marqué le retour du
Mali dans la zone franc. Le 12 janvier 1994, la monnaie (le franc CFA) est
dévaluée de 50 pour cent. Le changement de parité permet
d'accroître le revenu des agriculteurs de produits d'exportation, mais
aussi celui des producteurs de céréales. Les exportations de
fruits et légumes ont fortement augmenté. Le Mali est devenue
l'un des principaux fournisseurs de la Côte d'Ivoire en bétail.
L'activité industrielle manifeste également des signes de
reprise. L'industrie textile et le secteur minier sont particulièrement
dynamiques.
Quelles sont les conséquences de l'évolution
politique du pays sur ses performances économiques ?
Différents éléments peuvent agir sur la
croissance. Il s'agit, tout d'abord, de l'instabilité politique. Si le
Mali a connu moins de coups d'Etat que d'autres pays voisins comme le Burkina
Faso, l'instabilité politique n'en a pas été moindre
comme en témoigne l'importance des grèves et des procès
politiques. Or, l'agitation politique augmente la probabilité d'une
menace sur les droits de propriété et par conséquent
incite les agents à moins investir.
L'instabilité politique constitue sans doute un facteur
de moindre croissance économique au Mali. Toutefois, s'il
apparaît naturel d'établir une relation entre l'instabilité
politique et la croissance, on ne saurait, sans précaution, en
déduire une relation de causalité univoque. En effet, il est tout
aussi vraisemblable que la faible croissance du Mali a engendré une
instabilité politique accrue. Il s'agit ensuite des règles
juridiques et de la qualité des institutions politiques qui
déterminent la sécurité des investissements. Or,
malgré des progrès récents dans le cadre de
l'intégration régionale l'application du droit reste toujours
incertaine au Mali.
Un autre élément, plus difficile à
saisir, est la conséquence sur la croissance du degré de
démocratie du régime. La rationalité des hommes politiques
les pousse à exercer une mainmise sur le système
économique dans la mesure où la perturbation du fonctionnement du
marché par l'instrument fiscal ou réglementaire est un bon moyen
d'entretenir des relations de type patrons-clients en engendrant des rentes de
situation au bénéfice de quelques uns. Ainsi semble s'expliquer
la politique de forte protection et de réglementation intensive
pratiquées au Mali jusqu'aux mesures de libéralisation du
début des années quatre-vingt-dix.
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Ces interventions sont inéquitables mais
également défavorables à la croissance puisqu'elles
engendrent des distorsions de marché qui ne permettent pas une
allocation efficace des ressources. Or, l'exercice des droits
démocratiques constitue un frein relativement efficace aux pratiques
clientélistes de l'Etat. Il en existe certes, un autre, à savoir
l'intégration régionale qui constitue un point d'appui
supplémentaire et fondamental à la libéralisation,
puisqu'il permet de soustraire en partie la politique commerciale de
l'influence des groupes de pression locaux.
La démocratie agit aussi sur la croissance en
réduisant l'instabilité politique (Azam et Morrisson, 1998). En
effet dans un régime démocratique les conflits se
résolvent à moindre coût que dans un régime
autoritaire. Le Mali n'a connu que trois présidents en presque 50 ans
d'Indépendance. Le pays vit sous un régime démocratique
seulement depuis 1992 et les autorités peinent à rétablir
sur l'ensemble du territoire et pour l'ensemble des différentes couches
sociales, l'autorité d'un Etat largement compromise par les
dysfonctionnements passés. Le Mali a donc certainement souffert de
l'absence de démocratie durant de longues années et des
séquelles affectant l'autorité d'un Etat désormais
démocratique demeurent.
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