7.2 Relevé
sémiologique
Suite à l'élaboration de cette anamnèse,
j'ai procédé à un relevé sémiologique en
fonction des critères cliniques du DSM IV en matière de
diagnostic d'un trouble de personnalité limite :
Critères cliniques du DSM IV
Critère n° 1 : Efforts
effrénés pour éviter les abandons réels ou
imaginés
Tout au long de ses diverses relations, Mme F. a lutté
contre les abandons, fussent-ils de quelques heures, grâce à des
stratégies conscientes (menaces, disputes) ou inconscientes
(somatisation). Dans les cas d'abandons réels, notamment de la part de
son dernier compagnon (D.), ces efforts échappaient à toute
logique et les comportements associés tendaient plutôt à
aggraver la situation.
Les efforts contre les abandons imaginés ont
été constants toute sa vie et touchent non seulement l'objet
principal mais également ceux qui ont eu une valeur investie à un
moment donné dans le passé. Ils s'expriment principalement sur le
mode de la jalousie : en toutes circonstances, l'évocation par l'un de
ses compagnons d'une femme qui pourrait devenir un objet de désir
(collègue, amie, cliente, etc.) provoque immédiatement une mise
à distance et des commentaires péjoratifs.
Critère n° 2 : Mode de relations
interpersonnelles instables et intenses, caractérisées par
l'alternance entre les positions extrêmes d'idéalisation excessive
et de dévalorisation
Lors de chaque rencontre, Mme F. est extrêmement
enthousiaste envers ses nouveaux amis, cherche à leur ressembler,
identifie ses projets aux leurs, adopte les mêmes goûts, les
mêmes loisirs... Mais à la moindre critique ou à la moindre
tentative de mise à distance, Mme F. les accable de reproches
(derrière leur dos) et rompt la relation.
Ce mode de relation est clairement illustré lorsque Mme F.
accélère le départ du domicile conjugal de son second mari
et de sa fille très peu de temps après avoir rencontré un
nouvel amant. Ce dernier incarnera l'homme idéal pendant quelques
semaines ; puis, devant son hésitation à abandonner
lui-même sur le champ sa famille pour venir s'installer avec Mme F., elle
le tiendra personnellement responsable de son malheur et du départ de
son mari.
Critère n° 3 :
Perturbation de l'identité: instabilité marquée et
persistante de l'image ou de la notion de soi
L'épisode de la traduction manquée est très
significatif. Mme F. a toujours surévalué ses capacités
professionnelles réelles, en se fiant toujours à l'image qu'elle
donnait et à celle que lui renvoyaient ses collègues et
responsables. Elle a toujours entretenu envers les tâches qu'on lui
confiait une pensée anticipative « magique »,
gommant mentalement toutes les difficultés et contraintes qu'elle
rencontrerait au cours de sa mission. Lorsqu'elles survenaient, ces
difficultés se révélaient en général
insurmontables car non prévues et mal négociées
(agressivité, évitement, etc.).
Devant les échecs les plus évidents, elle n'a
jamais reconnu la moindre faute personnelle, ou alors des fautes imaginaires et
gratifiantes sur le fond (« ma seule erreur, c'est de m'être
opposée au licenciement de X., le seul qui était valable dans
cette boîte, ça n'a pas plu à la Direction »), ou
qui la disculpaient définitivement (« je suis entrée
trop vite dans le bureau de X., le Directeur Général, il
était en train de tripoter sa secrétaire, c'était
évident qu'après cela il allait m'accuser de tous les
maux »).
Elle accusait systématiquement les autres, soit d'avoir
fait capoter volontairement le projet pour d'obscures raisons
supérieures, soit d'avoir fait preuve d'une immense incompétence
qu'elle ne pouvait à elle seule compenser.
Critère n° 4 : Impulsivité
dans au moins deux domaines potentiellement dommageables pour le sujet (par
ex.., dépenses, sexualité, toxicomanie, conduite automobile
dangereuse, crises de boulimie).
Il est évident que dans la vie de Mme F. l'alcool et les
médicaments psychotropes (hypnotiques et anxiolytiques) ont toujours
joué un rôle important au niveau de sa thymie. Elle a
également été très dépensière par le
passé.
Mais on ne peut plus parler aujourd'hui d'impulsivité
caractérisée dans ces domaines, car le principe de
réalité (problèmes financiers ou migraine) s'est
imposé au fil des années, doublé par un certain nombre de
rituels qu'elle s'impose pour maîtriser sa vie.
L'auto-agressivité se situerait plutôt au niveau des
échecs personnels et professionnels, tellement fréquents et
répétitifs qu'ils semblent s'apparenter à de
l'autodestruction.
Critère n° 5 :
Répétition de comportements, de gestes ou de menaces suicidaires,
ou d'automutilations
L'idéation suicidaire est apparue assez récemment
dans la vie de Mme F., en même temps que l'aggravation du syndrome
dépressif. Elle n'a jamais commis de TS avérée ni
d'automutilation. Elle conçoit actuellement le suicide comme un projet
à terme (2 ans) qui aurait pour déclencheur l'épuisement
de son capital (Mme F. ne travaille plus depuis près d'un an et elle
puise dans ses économies pour vivre).
En revanche, dans les disputes avec ses compagnons ou dans ses
lamentations envers l'avenir, elle évoquait souvent cette
possibilité « pour échapper à toute cette
m.... »
Critère n° 6 :
Instabilité affective due à une réactivité
marquée de l'humeur (p. ex., dysphorie épisodique intense,
irritabilité ou anxiété durant habituellement quelques
heures et rarement plus de quelques jours).
Cette instabilité affective est très
prononcée chez Mme F. L'état caractériel est marqué
par une dysphorie de fond. L'anxiété et l'angoisse accompagnent
pratiquement toute relation interpersonnelle. L'humeur est cyclothymique et
peut changer en quelques secondes, suite à une réflexion
jugée blessante, à des chaussures qui lui font mal ou à
une averse inopinée. Les agressions verbales qui s'en suivent
inévitablement sont assez stéréotypées, sous forme
de reproches adressés à l'autre, rendu systématiquement
responsable.
Certains sujets semblent également la préoccuper
brutalement et monopoliser toute son anxiété (par exemple,
concernant l'inscription de sa fille en première année
d'université, elle a commencé à stimuler agressivement
celle-ci chaque jour dès le mois de décembre (bien trop tôt
donc) et ne s'en est plus souciée à partir de mars (le bon moment
pour retirer les dossiers d'inscription).
Critère n° 7 : Sentiments chroniques de
vide
Mme F. a exprimé ce sentiment de vide permanent pendant un
entretien. Surtout au réveil, elle se demande toujours pourquoi elle se
lève, rien dans sa journée ne l'intéresse. Elle ne lit
jamais, n'écoute pas de musique. Lors de ses angoisses d'abandon,
notamment quand son dernier compagnon s'absentait pour des raisons
professionnelles, elle avait parfois le sentiment de ne plus vivre, que le
temps était figé et que rien ne pourrait jamais plus la
distraire.
Critère n° 8 : Colères intenses
et inappropriées ou difficulté à contrôler sa
colère (p. ex., fréquentes manifestations de mauvaise humeur,
colère constante ou bagarres répétées)
Chez Mme F., les crises de colère, ou tout du moins leur
manifestation, ont diminué avec l'apparition des symptômes
dépressifs. Néanmoins, elle semble toujours prête aux
conflits interpersonnels (notamment avec ses voisins), immédiatement
conduits sur le mode de la colère. Une fois énervée, elle
devient incapable de se maîtriser et peut proférer les propos les
plus blessants sans jamais sembler éprouver le moindre remords. Une fois
la crise passée, elle n'exprime jamais aucun regret et semble
réduire sa dissonance en essayant de justifier les propos qu'elle a
tenus, souvent aux détriments de la plus élémentaire
logique.
Dans ses années de jeunesse, elle entretenait avec ses
différents compagnons des rapports basés sur la confrontation
permanente et les reproches. Ses compagnons ne pouvaient pas échapper
à ces relations, car elle était incapable de tolérer
calmement la moindre frustration ; s'ils pouvaient faire l'effort de satisfaire
toutes les exigences de Mme F., il y avait de nombreux facteurs qu'ils ne
contrôlaient pas et dont la survenance était susceptible de
déclencher sa colère (au restaurant par exemple où une
trop longue attente entre les plats pouvait transformer un dîner
d'amoureux en cauchemar). Dans ce cas Mme F. finissait toujours par diriger sa
colère contre son compagnon, l'accusant par exemple de mollesse et de
manque de virilité s'il refusait d'agresser violemment le serveur).
L'hypersensitivité, et notamment l'hyperacousie manifeste
dont souffre Mme F. est sans aucun doute un facteur aggravant de cette
dysthymie.
Au fil des ans, et notamment depuis l'apparition des premiers
symptômes dépressifs, la colère se transforme peu à
peu en abattement et en litanie dysphorique, mais l'agressivité reste
sous-jacente et le conflit reste la solution privilégiée pour
résoudre tous les problèmes interpersonnels.
Critère n° 9 : Survenue transitoire dans
des situations de stress d'une idéation persécutoire ou de
symptômes dissociatifs sévères
L'idéation persécutoire fait partie de la
personnalité de Mme F. et s'exprime fortement en cas de conflit ou de
stress. Elle exprime sans cesse des suppositions sur les intentions des gens,
suppositions qui révèlent très souvent une grande
incompréhension du fonctionnement psychique des personnes
concernées.
Quand elle évoque le bruit incroyable que font les
habitants de l'immeuble (fort calme au demeurant), on peut imaginer un
véritable complot destiné à la faire souffrir. Il faut
préciser ici encore que l'hyperacousie dont elle souffre et son seuil de
tolérance très bas provoquent sans doute chez elle un vrai
trouble, mais elle associe automatiquement à ces nuisances sonores une
idéation persécutoire (et non pas par exemple à de simples
maladresses ou à un manque de savoir-vivre).
Le tableau clinique confirme la présence d'au moins cinq
des neuf symptômes décrits dans le DSM IV, condition
nécessaire pour proposer le diagnostic de trouble de personnalité
état-limite.
Pour confirmer ce diagnostic ou bien l'infirmer, il convient
maintenant d'étudier les différentes hypothèses
nosographiques concernant les nombreux symptômes et syndromes
présents dans le tableau clinique.
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