7.3 Etude des
différentes hypothèses nosographiques : diagnostic
différentiel
1) Névrose obsessionnelle et troubles
phobiques Les rituels de lavage effectués par Mme F.
lorsqu'elle est contrariée ou en colère ainsi que sa peur
irrationnelle de la saleté et des microbes pourraient faire penser
à une pathologie névrotique obsessionnelle, car ils occupent une
grande place dans sa vie.
Mais le côté labile des
idées obsédantes, l'absence de lutte contre ces idées et
l'absence de critique devant les rituels très rationalisés font
écarter ce diagnostic.
2) Paranoïa J'ai longtemps pensé
que les troubles psychiques de Mme F. étaient sous-tendus par une
structure psychotique encore compensée de type paranoïaque6(*), tant ce type de traits est
présent dans sa personnalité. Sa méfiance envers les
"mauvais objets" clivés est totale, elle projette sur eux les pires
intentions et fourberies. L'orgueil et l'hypertrophie du Moi sont
également en haut de tableau (elle qualifie volontiers les gens qui
travaillent avec elle de « petite main »,
« mignonnette sans cervelle »,
« grouillot », etc.) et sous-estime toujours ses
interlocuteurs, allant volontiers jusqu'au mépris, aux dépens de
toute réalité objective. Elle a également la
volonté illusoire de toujours se débrouiller seule. Il faut
également ajouter la susceptibilité, les jugements erronés
et une certaine rigidité du psychisme (mêmes réactions
stéréotypées envers des situations manifestement
différentes).
Mais le paranoïaque n'a pas cette angoisse de
l'abandon ni cet aspect autodestructeur dans la relation anaclitique qu'elle
entretient avec les gens ; il se juge autosuffisant, ce qui n'est vraiment
pas le cas de Mme F..
3) Dépression Cet aspect est celui qui
me semble le plus délicat à appréhender, car le tableau a
considérablement évolué au cours des derniers mois.
Le tableau dépressif est désormais prégnant.
L'anxiété, voire l'angoisse, est présente dans toutes les
relations interpersonnelles. Certains caractères peuvent nous faire
penser à un syndrome dépressif unipolaire majeur, mais d'autres
excluent ce diagnostic.
En faveur d'un syndrome dépressif
unipolaire majeur :
Mme F. éprouve désormais un
fort sentiment d'absence de valeur personnelle (sur les plan professionnel
aussi bien qu'affectif) associé à une perte totale d'espoir
envers l'avenir. Son affect dépressif lui fait envisager le suicide
comme la seule solution possible pour échapper à l'insupportable
(de graves soucis financier à terme) ; elle n'envisage aucune
amélioration possible et ne croit plus à la
chance.
Considérant le suicide comme la solution finale pour
échapper à ses ennuis professionnels, elle nourrit peu de
préoccupations quant aux éventuels échecs futurs.
Par contre, elle ne parvient toujours pas à mentaliser et
à accepter les risques d'abandon interpersonnels et est prise de panique
lorsque son ancien mari qui vit près de chez elle a le moindre souci de
santé ou évoque la possibilité de
déménager.
La fragilité de l'estime de soi est
devenue extrême, La dépendance envers l'autre est très
forte.
Mais :
L'affect de tristesse n'est pas stable
et peut se transformer en colère revendicative au sujet de la relation
exigeante, hostile et dépendante qu'elle essaie de prolonger avec son
ancien compagnon (qui accepte de moins en moins ce mode de communication et
évite au maximum tous les contacts, même
téléphoniques).
Le ralentissement psychomoteur affectant
les patients déprimés majeurs est également absent du
tableau clinique de Mme F., bien que celle-ci se plaigne très souvent
d'être fatiguée.
De plus, jusqu'à ces derniers
mois, les notions d'échec, de culpabilité et de remords
étaient totalement absentes de son discours, attribuant toujours les
causes de ses ennuis à une origine externe.
Enfin, elle reste
sur une position d'autosuffisance illusoire concernant l'aide que pourrait lui
apporter un thérapeute, contrairement aux déprimés
sévères qui font généralement un bon accueil de
cette aide.
Les caractères dépressifs
présentés par Mme F. ne peuvent donc pas aboutir au diagnostic
d'un syndrome dépressif unipolaire majeur, tel que décrit dans le
DSM IV.
4) Troubles de la personnalité
a. Personnalité histrionique
Comme les
personnalités histrioniques, Mme F. est constamment en recherche
d'attention vis-à-vis de ses proches et, toujours dans la demande,
adopte volontiers un comportement manipulateur, notamment pour empêcher
les abandons réels ou imaginés. La labilité de ses affects
et de sa thymie est également une caractéristique importante de
son caractère.
Mais l'instabilité de ses relations, la
nature anaclitique de ces dernières et les sentiments de vide, de
solitude et d'incompréhension qui l'habitent en permanence ne permettent
pas d'assimiler le cas de Mme F. à celui d'une personnalité
pathologique de type histrionique.
b. Personnalité
schizotypique
L'idéation persécutoire qui envahit Mme
F. lorsqu'un conflit l'oppose à des "mauvais objets" ainsi que les
illusions qu'elle entretient concernant ses capacités professionnelles
pourraient faire penser à une personnalité schizotypique.
Mais dans son cas, cette idéation constitue un symptôme
transitoire qui ne se manifeste que dans les situations de stress (souvent
provoquées par son hypersensitivité par rapport à
l'environnement). De plus sa réactivité interpersonnelle reste
intacte, elle n'est pas « coupée du monde ». Elle
n'est pas non plus « envahie » par cette idéation et
parvient à adapter son comportement manifeste au principe de
réalité.
Les traits empruntés à la
personnalité schizotypique ne caractérise donc pas les troubles
de Mme F.
c. Personnalité anti-sociale
Le comportement
manipulateur de Mme F., souvent exprimé sans aucun remords ni aucune
culpabilité, pourrait être celui d'une personnalité
psychopathe.
Mais ce comportement n'est jamais mis en oeuvre pour
rechercher des profits, un pouvoir ou un avantage matériel ; sa
finalité est toujours une forme de lutte contre l'abandon ou la perte
d'objet. De plus, le contrôle pulsionnel est plus étendu que celui
du psychopathe et elle parvient toujours à rester dans les limites d'un
comportement socialement acceptable.
d. Personnalité dépendante
La peur
d'être mise à distance ou abandonnée, très
présente chez Mme F. est également la caractéristique
principale d'une personnalité dépendante.
Mais face
à une menace d'abandon, la personne dépendante réagit par
une attitude de soumission et une tentative de rapprochement, alors que Mme F.
lutte le plus souvent en manipulant agressivement son partenaire pour le tenir
à la bonne distance.
Face à l'abandon réel, Mme F.
réagit par un sentiment de vide affectif, de colère et de
revendication. La personne dépendante réagit plutôt en
cherchant une relation de substitution.
Contrairement à la
personne dépendante, ses relations sont intenses et très
instables.
Bien que présentant des similitudes avec la
personnalité dépendante, Mme F. n'en présente pas toutes
les caractéristiques.
* 6 ou par un aménagement
caractériel de type « psychose de caractère »
en sortie du tronc commun aménagé, suite au traumatisme
désorganisateur tardif (la violence de son premier mariage)
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