7.7.2.3 Choix des interventions initiales
Le choix des interventions initiales devra être
déterminé avec soin. Celles-ci devront posséder les
caractéristique suivantes :
- Etre exemplaires et si possible indépendantes de
l'humeur du moment (stables).
- Tenir compte de la charge émotive et affective
sous-jacente. Il est certain que les premières situations
analysées ne devront pas être des « sujets qui
fâchent », lourdement chargés d'affect et
déclenchant un processus de réponses
stéréotypées, à la limite du biologique. Mme F.
serait incapable de les analyser et retournerait son angoisse sous forme
d'agressivité contre le thérapeute ou contre elle-même
(malaise, migraine, arrêt de la thérapie).
Au cours des premiers entretiens, il sera important de
reconnaître ces situations exemplaires, d'étudier leur
récurrence et d'identifier les processus communs qui y participent.
En étudiant l'anamnèse de Mme F., les grandes
catégories de situations à problème semblent être
les suivantes :
- Le malentendu professionnel : le mensonge, l'illusion et
la déception
- Le malentendu familial : lorsque les mots dépassent
la pensée ou ne l'atteignent pas
- Le malentendu affectif : les relations anaclitiques, la
peur de l'abandon, la dépendance et le rejet de cette dépendance,
l'ambiance invivable au quotidien pour les proches
Dans le cadre du présent mémoire et pour illustrer
l'approche cognitivo-comportementale préconisée pour ce trouble,
voici le détail d'une situation de « malentendu
professionnel » très récurrente.
Situation
Mme F. a une idée très arrêtée des
compétences que doit posséder un Ingénieur
Conseil (sa profession) :
Compétence n°1 : faire son
métier d'ingénieur, c'est-à-dire concevoir, conseiller,
organiser, contrôler.
Compétence n°2 : Elle pense
aussi que de nos jours il doit être très fort dans le maniement
des ordinateurs.
Madame F. a une bonne formation et beaucoup d'expérience,
elle sait très bien concevoir, conseiller, organiser et
contrôler ; elle possède donc parfaitement la
compétence n° 1, de loin la plus importante dans son métier
(nous pourrions dire 95% de l'ensemble).
Mais Mme F. ne possède pas la compétence n°2,
car elle manipule l'ordinateur avec maladresse, angoisse et
inefficacité ; de nos jours cela risque d'étonner ses
employeurs potentiels, mais au fond ce n'est pas si grave car son vrai
métier est ailleurs, il consiste à diriger des projets
importants. Il lui suffirait de prendre ses notes sur papier et de demander
à un collaborateur de les saisir sur ordinateur, avec pour seule
conséquence une petite blessure narcissique.
Voici ce qu'il va se passer :
- Lors de l'entretien d'embauche, Mme F. va présenter
normalement sa compétence n°1 (son métier
d'ingénieur). Pour ne pas avoir à répondre à des
questions concernant la compétence n°2 (le maniement de
l'ordinateur), elle va émailler son discours de termes informatiques
très élaborés et très précis, qui ne sont
pour elle que des enveloppes vides, mais dont elle connaît l'importance
pour l'interlocuteur. L'évocation tranquille de ces termes vont
l'élever implicitement au rang d'expert auprès de son futur
responsable qui ne jugera alors pas nécessaire de demander d'autres
précisions sur ce point (d'autant plus que cette compétence
représente un plus mais n'est pas fondamentale pour le poste
proposé).
- Une fois embauchée, Mme F. pourrait progressivement et
judicieusement rétablir la vérité quant à ses
difficultés en informatique. Pour des raisons narcissiques, elle ne le
fera pas. Lorsque, inévitablement, elle aura des tâches à
effectuer sur ordinateur, elle déploiera des trésors
d'imagination et de ruse pour se faire aider sans que l'on découvre son
incompétence, ou alors adoptera des stratégies d'évitement
ou de contournement.
- Totalement obnubilée et angoissée par ces
problèmes basiques de manipulation d'ordinateur, elle va commencer
à négliger la partie importante de sa mission (sa
compétence d'ingénieur) et à réagir aux critiques
par des aménagements caractériels à base
d'agressivité et de recherche de conflit.
- Lorsqu'on lui demande des explications sur son travail qui se
dégrade, elle se justifie en rationalisant à l'extrême ses
comportements étranges, ne laissant aucune place à la discussion.
Le malaise devient général et se solde par un jugement unanime
contre Mme X. Mais n'ayant pas de reproches précis et surtout
consensuels à lui adresser (car elle donne à chacun une image
différente d'elle-même), elle se retrouve licenciée avec de
bonnes indemnités.
- Elle ressent le licenciement comme un rejet
caractérisé et une blessure narcissique grave, voire un
traumatisme (en général, elle ressent ensuite une
véritable phobie envers son ancien lieu de travail, et s'en approcher
provoque beaucoup de réactions affectives, même plusieurs
années après). Mais elle reste totalement ignorante des processus
qui ont conduit à ce licenciement (qu'elle explique le plus souvent
selon une idéation persécutoire).
Remarque : Il est arrivé une fois à Mme
F., fortuitement mise au pied du mur malgré ses multiples
stratégies, d'être prise en flagrant délit
d'incompétence dans le maniement d'un ordinateur. Elle a ressenti cet
événement comme un véritable traumatisme narcissique et,
telle une enfant honteuse, ne voulait plus retourner à son travail.
Ayant créé précédemment une illusion importante
concernant ses compétences, elle a bien sûr provoqué
à cette occasion une déception de la même ampleur.
Analyse du processus
A la base, Mme F. a une fausse croyance concernant les exigences
du poste et un mauvais jugement de ses propres compétences. Cette
croyance engendre une pensée dysfonctionnelle lors de l'entretien
d'embauche (« je vais être rejetée si je ne connais pas
bien le maniement des ordinateurs »). Elle réagit par une
stratégie sûrement plus narcissique que vraiment manipulatrice
(faire croire qu'elle est experte pour être admirée et
acceptée). Par ce mensonge non élaboré, elle crée
chez l'autre une illusion et chez elle les conditions de son futur
échec.
S'il elle avait réellement été dans la
manipulation (à l'instar du psychopathe), elle aurait subtilement fait
marche arrière une fois le contrat d'embauche signé.
L'hypothèse d'une "pensée magique" concernant ses
capacités pourrait également être retenue et approfondie en
abordant les processus et les schémas.
Face à la situation réelle, elle déploie
beaucoup d'efforts pour ne pas être démasquée. Ici, nous ne
sommes plus dans les pensées dysfonctionnelles, mais bien dans la
réalité, car la révélation de son
incompétence provoquera inévitablement la déception (par
contraste avec l'illusion qu'elle a créée).
Lorsque les malentendus s'accumulent et que le licenciement
survient, elle n'intègre pas le processus, mais formule des conclusions
erronées qui renforcent sa fausse croyance (« je savais bien
que mon incompétence dans le maniement de l'ordinateur me serait
nuisible » et « si je ne crée pas l'illusion je
serais rejetée, personne ne peut m'aimer telle que je
suis »).
La figure de la page suivante schématise ce processus
d'échec programmé.
Cognition/Comportement
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Résultat
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Conséquence
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Fausse croyance ou interprétation erronée
concernant les exigences du poste et des compétences
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Pensée dysfonctionnelle (je vais être rejetée
si je ne connais pas bien le maniement des ordinateurs)
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Stratégie (mensonge, manipulation) - sans but réel
de profit
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Stratégie (mensonge)
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Succès provisoire (embauche)
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· Renforcement de la fausse croyance (si j'avais dit la
vérité je n'aurais pas été prise)
· Renforcement du comportement stratégique
· Création de l'illusion chez les autres
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Persistance dans le mensonge après l'embauche
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Situation dangereuse, risque de créer la
déception
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Angoisse
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Obsession d'être démasquée
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Stratégies d'évitement et de contournement,
conduites agressives
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· Perte de vue des objectifs importants de la mission
· Dégradation des relations interpersonnelles
· Multiplication des malentendus
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Conduites irrationnelles de justification
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Réactions unanimes de rejet
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· Traumatisme
· Licenciement
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Persistance du déni de responsabilité
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Reproduction des mêmes pensées et des mêmes
comportements dans les situations similaires
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Renforcement de la fausse croyance (« c'est à
cause de mes lacunes en informatique que j'ai été
licenciée ») .
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