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Prévention, dépistage et prise en charge précoce du problème d'alcool en médecine générale : essai d'analyse d'un déni collectif

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par Michel Naudet
Université Paris 8 - Diplôme d'Etudes Supérieures Universitaires en Addictologie 2003
  

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Conduites d'alcoolisation : Etapes vers la dépendance

Est-il possible de modéliser les conduites d'alcoolisation et leur cheminement vers la dépendance ? La réponse à cette question est bien sûr négative, tant les interactions en jeu sont nombreuses et complexes.

Nous allons pourtant essayer ici, en nous référant aux travaux de Lewis et de Wise (1996)9(*), d'aborder les facteurs neurobiologiques de l'alcoolo-dépendance. Nous garderons à l'esprit que cette approche est forcément réductrice dans la mesure où nous prendrons très peu en compte des dimensions essentielles du comportement de boisson, à savoir les aspects environnemental, culturel et social.

Premières alcoolisations et effets subjectifs

Si c'est sans doute le hasard qui a amené l'homme des temps anciens à consommer pour la première fois une boisson fortuitement fermentée, c'est précisément l'aspect culturel de l'alcool qui provoquera aujourd'hui la première prise de boisson alcoolisée par un enfant ou adolescent.  : vider le fond d'un verre en cachette après un repas de famille, boire un peu de champagne le jour de sa Communion, tremper un petit beurre dans le verre de vin de Papi et bien d'autres circonstances encore. En écoutant les patients alcooliques, il est surprenant de constater à quel point beaucoup de ces malades se souviennent exactement de leur première rencontre avec l'alcool, souvent mieux que de leur première rencontre amoureuse...

La qualité subjective de cette première expérience sera très variable d'après les sujets et dépendra notamment du système neurobiologique inné et acquis. Trois cas peuvent se présenter :

1) A cause d'un problème biologique, par exemple un déficit en ALDH10(*), l'alcool aura un effet aversif amenant le sujet à ne pas renouveler l'expérience (le déficit de cet enzyme est endémique chez certains peuples asiatiques et arabes).

2) Au contraire, l'alcool produit un effet psychotrope bénéfique que l'individu cherchera par la suite à reproduire. Cet effet peut être de deux ordres :

- Un renforcement positif suite à l'activation du « système de la récompense11(*) » dopaminergique. Le rôle appétitif, motivationnel et décisionnel de ce système facilite, via le noyau accumbens, la transformation de la motivation en action et la mémorisation de l'expérience (Mogenson et coll., 1980)12(*). Sur le plan comportemental, cela se traduira par une désinhibition.

- Un renforcement négatif (soulagement d'une anxiété ou d'une tension intérieure). Il a été montré que :

o L'alcool, à l'instar des benzodiazépines, facilite la transmission GABAergique et induit des effets anti-stress et anxiolytiques.

o Il a des effets anti-dépresseurs potentiels ou, au minimum, des effets positifs sur l'humeur.

3) L'alcool n'a aucun effet subjectif notable sur le sujet qui ne cherchera pas particulièrement à renouveler l'expérience. Pourtant, il y sera probablement amené pour des raisons autres que neurobiologiques, sous l'influence de facteurs environnementaux ou psychologiques (troubles de la personnalité, événements de vie, profession, etc.).

Consommation occasionnelle puis régulière

Sauf s'il est allergique à l'alcool ou déterminé, pour des raisons éthiques, religieuses ou personnelles, à ne jamais en consommer, son comportement social amènera l'individu à boire occasionnellement de l'alcool à des fins récréatives. Cette consommation pourra également être induite par des problèmes psychiques ou psychosociaux (dépression, états anxieux, phobie sociale, troubles de la personnalité, etc.).

La consommation régulière d'alcool, qu'elle soit festive ou qu'elle corresponde à une automédication, déclenche une série de processus physiologiques ayant pour conséquence le renforcement de la conduite d'alcoolisation :

- Sensibilisation du « système de récompense » dopaminergique qui va inciter l'individu à reproduire l'expérience de boisson.

- Constitution de processus associatifs puissants (conditionnement opérant, mémoire des expériences agréables, association de l'alcool et du plaisir, savoir-vivre, fête, convivialité, etc.), automatisation des comportements.

- Développement d'une tolérance biologique due à l'épuisement des effets pharmacologiques de l'alcool et à la nécessité d'augmenter les doses pour obtenir les mêmes sensations.

- Développement d'une dépendance psychique, à la fois comportementale (effectuer des activités liées à l'alcool), émotive (retrouver une humeur ou des sensations agréables ou bien éloigner des sentiments désagréables) et cognitive (raisonner différemment).

Dépendance

Le phénomène de tolérance aboutit à une dépendance physique pour l'alcool.

L'intoxication chronique développe un ensemble de processus adaptatifs qui caractérisent l'état de dépendance. De nature homéostatique, ces processus tentent de contrebalancer les effets pharmacologiques de l'alcool sur les systèmes neuronaux concernés. En cas de sevrage, l'équilibre sera rompu et les effets physiologiques des processus adaptatifs provoqueront des symptômes (dits « de sevrage »). Ces derniers se produiront non seulement lors d'une abstinence, mais également lorsque l'alcoolémie deviendra insuffisante (fins de nuit par exemple), et de plus en plus fréquemment à mesure que la dépendance deviendra sévère.

Pour atténuer et faire disparaître ces symptômes, le malade dépendant devra recourir à l'alcool, augmentant ainsi sa tolérance et la sévérité de sa dépendance.

La principale responsabilité des symptômes de sevrage est attribuée à un hypofonctionnement de la transmission GABAergique, comme l'expliquent à la fois les signes neurologiques (hyperexcitabilité du SNC), les signes végétatifs (tremblements, sudation) et l'efficacité des benzodiazépines (notamment Valium) dans le traitement de ces symptômes.

Le risque alcool apparaît donc comme un phénomène progressif : il y a un continuum entre la consommation "socialement acceptée" et "normale" (à faible risque) et la dépendance sévère. Il existe en particulier deux groupes intermédiaires importants, les consommateurs à risque et les consommateurs à problèmes. Les premiers consomment de l'alcool à un niveau dont de nombreuses études ont montré qu'il diminue l'espérance de vie sans que l'individu n'en subisse de conséquences concrètes au quotidien. Les seconds subissent déjà des conséquences de leur consommation d'alcool.

Ces cinq catégories de comportements vis-à-vis de l'alcool peuvent s'inscrire dans la pyramide de Skinner13(*) qui représente parfaitement le caractère progressif et sélectif des différentes étapes vers la dépendance.

Pyramide de Skinner14(*)

* 9 Lewis MJ, Alcohol reinforcement and neuropharmacologic therapeutics, Alc Alcohol, 1996. Wise RA. Neurobiology of Addiction, 1996, Curr Opin Neurobiol

* 10 ADLH = Aldéhyde Déshydrogénase, enzyme essentielle pour la dégradation de l'alcool par le métabolisme hépatique.

* 11 Le concept de « système de récompense » a été proposé par Olds et Milner (1950) suite à des expériences sur des rats qui pratiquaient compulsivement une autostimulation électrique intracrânienne sans aucune utilité physiologique, bien au contraire, car cette activité les accaparaient tellement qu'ils en oubliaient de boire et de manger et en mouraient. D'où l'hypothèse qu'il existe dans le SNC un système dont la stimulation produit du plaisir, en dehors de toute utilité physiologique. Le recensement des structures cérébrales concernées montre qu'elles appartiennent toutes au système DA-MLC (dopaminergique méso-limbo-cortical) et qu'elles jouent un grand rôle dans les processus appétitifs, motivationnels et décisionnels.

* 12 Mogenson GJ, Jones DL, Yim CY. From motivation to action : fonctional interface between the limbic system and the motor system; Prog Neurobiol, 1980; p 69-97.

* 13 Skinner H. Spectrum of drinkers and intervention opportunities. CMAJ 1990;

* 14 Schéma extrait de Médecine et Hygiène n° 2451, Diffusion de la pratique de l'intervention brève : méthodes de formation et de mobilisation des acteurs de soins de premier recours, P. Michaud, J. Abesdris.

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