Communication et contrôle de la trypanosomose animale africaine : étude de cas des interrelations entre les agro-éleveurs et leurs prestataires de services vétérinaires dans la province du Kénédougou (Burkina Faso).( Télécharger le fichier original )par Der DABIRE Université de Ouagadougou, Département de Sociologie - Maîtrise en Sociologie 2005 |
III/ Analyse critique des circuits d'information et de communication chez les agro-éleveurs.Chez les agro-éleveurs de la province du Kénédougou, la communication est perçue comme « une grande valeur sociale » en raison de son importance dans l'organisation et la vie du groupe. Dans les entretiens, cette importance se représente par les fonctions sociales de la communication dans leur système d'organisation sociale à savoir l'éducation d'une part et d'autre part la gestion des relations sociales. D'abord les interviewés affirment que la communication remplit une fonction éducative dans la mesure où elle participe à « former les esprits des gens dans la société » et à « développer de nouvelles idées ». Pour montrer cette relation entre l'éducation et la communication, ils soutiennent avec force que : « c'est par la parole que nous communiquons ». Or cette parole sous toutes ses formes fait l'objet d'une éducation à laquelle le jeune enfant Sénoufo, Siamou, Toussian, Samogho ou Dioula se soumet dès son bas âge. En effet, conscient des multiples circonstances dans lesquelles l'homme est appelé à parler dans sa vie, les groupes ethniques présents dans le Kénédougou soumettent leurs enfants à une éducation à la parole dont les veillées de contes sont des occasions privilégiées d'apprentissage et de formation au savoir parler. D'ailleurs dans leur système de représentation sociale, savoir parler, savoir maîtriser la parole en tout lieu et en tout temps est un impératif de communication comme l'exprime le proverbe suivant : « si tu ne sais dire la vérité en tout lieu et en tout temps, donne ton sabre de guerre à une femme et elle te conduira vers la victoire ». Obéissant à cette logique, ces groupes ethniques accordent un soin particulier à l'acte de prise de la parole. C'est pourquoi, l'on constate que dans ces dites sociétés la parole n'est pas donnée à qui veut parler mais à qui sait parler. Car cet acte implique le respect des hiérarchies sociales, la soumission de l'individu au groupe et le respect des traditions et coutumes. Ainsi, en situation réelle, c'est l'aîné qui prend la parole, demande l'autorisation du groupe, des ancêtres ou d'Allah, parle et la donne aux autres suivant la loi du plus âgé au moins âgé et celle de la génération la plus ancienne à la dernière. Du reste, cette relation entre communication et éducation dans les sociétés de tradition orale a été déjà démontrée par André Nyamba20(*). Parlant des Sanan, qui présentent d'ailleurs une organisation sociale analogue à celle des Senoufo, Siamou, Toussian ou Dioula , il analyse l'importance de la parole dans leur organisation sociale en ces termes : « les Sanan parlent dans de multiples circonstances de leur vie : à la fête, au décès ,lors des funérailles , relations sociales , etc. ; c'est pourquoi dans leur système d'éducation , il existe une éducation à la parole dont les veillées de contes sont des occasions d'apprentissage de la parole ; c'est le temps du « savoir dire » qui précède celui du « savoir-faire » et celui du « savoir-être ». Mais en réalité les deux derniers savoirs se construisent sur le premier. D'où l'importance de savoir maîtriser la parole, en tout lieu et en tout temps ».21(*) Certes, il en était ainsi pendant longtemps, mais de nos jours, cette éducation à la parole a perdu de rigueur suite à la multiplicité des lieux d'éducation chez les agro-éleveurs. En ce sens que l'éducation des enfants Senoufo ou Dioula n'est plus seulement l'apanage de la famille, du lignage ou de la société, mais aussi celui de l'école, des medersa et des média. Ensuite, les agro-éleveurs affirment que la communication participe à la gestion des relations sociales dans la mesure où elle vise à la « recherche de l'entente au sein de la société ». Ce qui s'explique par les nombreux et fréquents contacts entre agro-éleveurs révélés par les enquêtes. Mais, les fréquentes salutations familiales illustrent bien cette relation entre communication et gestion des relations sociales. En effet, ils sont soumis à de longues salutations matinales qui dépassent le cadre familial pour embrasser les concessions voisines, celles du quartier, celles des belles familles ou les concessions d'autres villages. Comme l'écrit André Nyamba22(*) « le matin, après s'être `lavé les yeux' l'on va saluer l'aîné de la famille, s'enquérir de sa santé, savoir s'il a passé une bonne nuit ; il s'agit de longues litanies répétitives dont l'objectif de toute évidence n'est pas prioritairement d'ordre informationnel ; (...) », elles ne visent pas seulement à s'enquérir des nouvelles et de la santé des autres mais aussi recherchent la cohésion familiale voire sociale. Car à travers leur fréquence, ces populations de tradition orale manifestent un grand besoin d'entretien de bonnes relations sociales à l'intérieur et à l'extérieur du groupe. Des relations sociales allant des rapports familiaux, des liens de parenté, de voisinage, d'alliance et d'affinité aux rapports d'échanges économiques avec l'extérieur en passant par les rapports hiérarchiques et d'autorité à l'intérieur des groupes sociaux. Et ces salutations prennent l'allure d'une obligation sociale au point que tout manquement est vivement ressenti et condamné par la société. Pour ce faire, deux expressions sont couramment utilisées : « c'était ta salutation... ! », employée lorsqu'on salue quelqu'un à qui on veut lui témoigner sa volonté de maintien de bonnes relations et « salut à toi..., il y a deux jours », employée pour signifier le refus de rompre les relations sociales à quelqu'un qui était perdu de vue. Conscients de ce rôle social de la communication dans leur système d'organisation sociale, les agro-éleveurs accordent une attention particulière à sa gestion. Ainsi des personnes sont déléguées dans chaque village pour servir d'informateurs de la communauté à travers des circuits organisés et reconnus par tous. La figure suivante en indique une représentation simplifiée sans tenir compte des spécificités de chaque village. Figure 2: circuit simplifié d'information dans les villages du Kénédougou. Le schéma ci-dessus indique que les informations proviennent du chef du village et transmises à la population par le biais du griot ou de l'informateur du village. Du reste, il faut admettre avec les griot ou les informateurs que le chef de village est la source de production de l'information comme s'exprime un jeune griot originaire du village de Diéri : «L'information vient du chef de village. Il me la transmet oralement et je suis chargé d'informer la population ». Ce que les différents chefs confirment à travers les propos ci-après : « les chefs ne disposent pas de radio ni de téléphone ; ce sont les griots qui se chargent d'informer la population » dixit le chef de village de Diéri. Et le responsable administratif du village de M'bié d'affirmer ceci : « dans le village on a un informateur chargé de la diffusion des informations ». Mais l'ensemble des déclarations précédentes indiquent que le « chef », le « griot ou l'informateur du village » et la « population » sont les acteurs clés socialement identifiés qui participent au fonctionnement de ce système. D'abord, le « chef » représente la source d'information de toute la société comme s'expriment les agro-éleveurs eux-mêmes en majorité : « nous obtenons nos informations chez le chef ». Il a pour rôle de produire l'information et de la diffuser au sein de la société. Ce rôle est bien perçu par la majorité des chefs interviewés car pour eux : « il faut faire circuler l'information ». Mais, cet acteur source et producteur d'information est pluriel dans les représentations et les expressions des agro-éleveurs. Le « chef » dont il est question dans leurs propos ne correspond pas uniquement au chef du village. Il est aussi : « le chef de famille » ; « le chef de quartier », « le chef de terre », « le responsable administratif ». Bref, c'est le « chef », dépositaire d'une autorité politique et morale. Certes dans une conception orchestrale de la communication, le chef est incontournable dans le circuit de communication. Mais, il comporte des biais de communication relatif à son statut de chef politique ayant un rapport spécifique à l'information. Les chefs estiment qu'ils font « circuler » les informations, mais il faut admettre l'existence possible de sélection des informations et des destinataires. Et cette sélection introduit des biais dans la communication qui s'énoncent en termes de blocage, de rétention, de distorsion, d'intoxication, de désinformation et de sous information. Ensuite, le « griot » ou « l'informateur » du village représente le vecteur social des informations. Intermédiaire entre le « chef » et la population, son rôle est de diffuser les messages du chef auprès de la population comme ils le définissent eux-mêmes : « notre travail là consiste à faire passer l'information ». Ce sont les griots dans certains villages et les informateurs dans d'autres. Mais, si les griots sont les professionnels de la communication d'autrefois, les informateurs actuels semblent être une innovation technique entreprise par les communautés elles-mêmes dans ce domaine. D'ailleurs, ceci n'est pas un cas isolé en la matière car de la voix naturelle, des trompettes, du tam-tam et des pieds, ces communautés en sont venues à l'usage du vélo et du microphone équipé de haut parleur comme moyens techniques d'information et de communication. Et, entre les informateurs et le « chef », il y a le « messager » du « chef ». Celui-ci est un proche parent que le « chef » choisi de son propre gré pour l'envoyer auprès du « griot » ou « l'informateur » du village en cas de besoin. Mais, selon l'adage qui dit que « le griot est la bouche et l'oreille du chef », ces intermédiaires au service du chef ont-ils la capacité de véhiculer une information contraire à celle du chef ? Ceci pour montrer que les griots ou informateurs sont associés au processus de sélection qui commence avec le chef sans oublier qu'ils sont de véritables sources de déformation des informations dans la société. Enfin, la « population » représente une pluralité d'acteurs sociaux parmi lesquels les individus isolés, et les organisations de la société civile (OSC). Ce sont les récepteurs des informations provenant du « chef ». Mais ils sont aussi « informateurs » dans la mesure où l'information reçue par un individu est « partagée avec les autres ». Deux outils de communication sont utilisés dans ce système. Dans les entretiens, les différents acteurs affirment qu'ils s'informent par « la bouche, en face à face » et se déplacent par « le vélo ». Mais, il existe une pluralité de lieux de transmission des informations. Dans les villages fortement islamisés, la majorité des informations sont transmises à la mosquée comme l'affirme le chef de village de Sokoroni : « Avant, on envoyait des enfants vers les différentes concessions, mais, présentement, on passe l'information dans les mosquées ». Ce qui s'inscrit dans les stratégies d'information des chefs de façon générale. Mais, la mosquée n'est pas le seul lieu du côté de la population de Sokoroni comme le dit leur président des éleveurs : « Chez nous ici, quand quelqu'un a besoin de nouvelles, il s'adresse au chef de quartier ou bien il va à la mosquée ». Dans les villages où le facteur religieux n'est pas très déterminant, les informations se transmettent «chez le chef, dans les concessions, pendant les réunions, en assemblée villageoise, sous l'arbre à palabre et pendant les occasions de culte, de rencontre et de rassemblement dans les villages ». Ce qui s'inscrit dans la logique des outils et espaces de communication utilisés par les agro-éleveurs. Ils sont qualifiés de média traditionnels de communication (MTC) en opposition aux média modernes tel que la radio, le journal, le téléphone, la télévision, le cinéma, l'Internet etc. L'interaction entre tous ces éléments forment un circuit officiel, connu de tous les acteurs par lequel les informations sont véhiculées dans les villages. Cependant, lorsque certains enquêtés affirment qu'ils reçoivent aussi les informations « par les amis » et qu'on peut les transmettre également « par bouche à oreille », il convient de noter qu'il existe un circuit parallèle par lequel, l'information circule de proche en proche. Ce qui s'inscrit dans la logique des relations sociales dans la mesure où ce sont des relations de parenté, d'alliance, d'affinité, de copinage, de partenariat et d'aventure qui caractérisent les contacts selon la majorité de nos enquêtés. Figure 3: esquisse d'un circuit d'information dans les villages du Kénédougou sud. Source officielle : - chef du village, Chefs de quartier / conseil des anciens. Griot / informateur du village - organisations de la société civile, Source parallèle : relations sociales (Parents, amis, alliés, copains et partenaires) Source : résultat des entretiens. Au regard de ce circuit, la circulation des informations semble obéir à deux logiques sociales à savoir la logique des relations sociales et celle de l'organisation socio-politique de la société. Selon la logique des relations sociales, les agro-éleveurs reçoivent les informations par l'intermédiaire des personnes avec qui ils entretiennent des relations d'amitié, d'alliance, de collaboration et de parenté. Elle est représentée par la source parallèle sur le schéma. Suivant cette source, l'échange des informations se déroule essentiellement à l'intérieur de cercles fermés d'amis, de parents, de copains, etc. En conséquence, les individus isolés, sans contacts extérieurs ont moins d'informations dans ce système. Or, un village est par définition un lieu d'interconnexion où tous les habitants se connaissent. D'où, la diffusion des informations de proche en proche par bouche à oreille semble adapter à ce contexte. Quant à la logique de l'organisation socio-politique, les agro-éleveurs reçoivent les informations suivant la structuration de la société en quartier, en clan et en concession et la stratification de la société en classe d'âge, en caste, en corps de métier spécialisé et en groupement. Cette logique est représentée par la source officielle des informations qui ont pour origine soit le chef de village, le chef de terre ou le responsable administratif villageois. Mais à partir de là, les informations partent dans quatre directions : - la première, ce sont les griots/ informateurs qui vont informer la population dans leurs maisons ; - la seconde direction, le chef réunit ses différents chefs de quartiers en conseil des anciens et leur transmet les informations. Ces derniers réunissent dans leurs quartiers respectifs leurs différents chefs de famille et leur transmettent les informations afin qu'ils informent leurs membres de famille respectifs ; - la troisième direction, ce sont les griots/informateurs qui vont informer les différents responsables des associations, groupements et tons, qui se chargent d'informer leurs membres respectifs ; - enfin, la quatrième direction, particulièrement observable dans les villages fortement islamisés, ce sont les griots/informateurs qui s'adressent à la foule après les prières à la mosquée. Mais les quatre directions ne sont pas exclusives, car dans un même village, un même individu peut recevoir les informations provenant des quatre directions voire des deux sources. Le problème est de savoir que chaque source comporte des risques de modification des informations dans la mesure où il existe toujours un ou deux intermédiaires entre le chef qui émet et l'agro éleveur qui reçoit. Des risques qui constituent à nos yeux des contraintes dans la quête d'information de qualité en ce sens que l'agro éleveur n'est pas directement en contact avec le professionnel de la santé. Par conséquent, il ne reçoit pas le message délivré par ce dernier mais un message venant de son chef de village avec tous les biais de sélection et de dénaturation possibles. C'est pourquoi, de nos jours, les agro-éleveurs ont besoin d'informations sur la TAA délivrées par les professionnels de la santé à travers les formations et les brochures en langue locale. * 20 (« Les significations sociales et individuelles du téléphone chez les Sanan du Burkina Faso » in Enjeux des technologies de la communication en Afrique. Du téléphone à l'Internet, 2004) * 21 (Ibid, 2004) * 22 (Ibid, 2004) |
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