IV-3 L'ACTIVITÉ ÉCONOMIQUE DU CHRÉTIEN
COMME EXIGENCE DE LA MISSION DE L'HOMME DANS LA CRÉATION
Max Weber (1864-1920) avait fait une grande étude
comparative des religions du monde pour tenter de comprendre comment elles ont
influencé ou non le développement économique. Dans son
ouvrage intitulé L'Ethique protestante et l'Esprit du Capitalisme, il
part d'un constat, le caractère très majoritaire des protestants
tant des possesseurs de capital et des chefs d'entreprise que des cadres
supérieurs qualifiés et en particulier du personnel des
entreprises modernes doté d'une formation technique ou commerce
supérieure. Et suite à ce constat, il découvre que les
étudiants protestants s'orientaient de préférence dans les
hautes facultés d'économie et/ou de gestion, tandis que les
étudiants catholiques s'orientaient davantage vers les études
à caractère social. Il compris que l'éthique protestante
qui considérait la réussite comme une bénédiction
de Dieu, avait certainement de l'influence sur cette tendance économiste
des protestants. Et, donc le fait que les catholiques s'intéressaient
davantage au social, traduisait également une éthique religieuse
catholique de la réticence face à l'argent et au devoir
chrétien de venir au secours des nécessiteux en « bon
samaritain ».
Aujourd'hui encore, la question de l'argent ou des richesses
dans la vie d'un catholique reste encore un sujet délicat et
névralgique qui suscite bien de la méfiance voire même de
la peur dans nos Eglises ; un tabou, tout comme certaines questions touchant la
sexualité.
Nos Eglises locales ont donc hérité de cette
morale catholique méfiante face à l'argent et aux biens
terrestres de façon générale
Mais lorsque nous nous efforçons d'en faire un sujet de
réflexion nous ne pouvons pas ne pas nous heurté à la
complexité et à l'ambivalence de la question. Parce qu'il s'agit
de développer une morale des biens temporels, de la richesse de
façon générale et surtout de l'argent en particulier,
« le nerf de la guerre ».
De nombreux fidèles gardent encore en mémoire,
les sermons sur la parabole du jeune riche en dialogue avec Jésus «
Va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres ; puis, viens et
suis-moi » (Mt 19,16-30). Beaucoup de théologiens se sont servi de
cette phrase du Christ pour développer une éthique de la richesse
purement eschatologique, faisant le choix du dépouille de soi jusqu'au
martyre. Une autre théologie fondée sur la Parabole des talents
n'a pas manqué de faire l'éloge des biens temporels comme
étant la preuve d'une mise à profit de l'intelligence et du
labeur humain. Face donc à cette ambivalence de la question
économique, bon nombres de fidèles ont
préféré se dérober pour ne pas être l'objet
de calomnie au niveau de leur communauté. Longtemps, le commerce fut
fustigé comme un vol, une activité malhonnête que toute
personne qui craint Dieu devrait éviter dans sa vie.
Le développement économique est pourtant l'un
des domaines qui a plus de place dans notre monde aujourd'hui. Car il touche
toute l'existence quotidienne dans sa qualité et exprime le
progrès social. Nul ne peut se passer de l'argent, et mener une vie
normale comme au paléolithique où les peuples vivaient de chasse,
de pêche et de cueillette.
Le développement économique est une
activité qui concerne également l'homme dans sa recherche des
biens nécessaires à sa subsistance et à son
développement. Car l'homme est appelé à croître,
à grandir et à se développer. C'est pourquoi il
éprouve de nombreux besoins, insatiables sur terre, sa nature fait que
ces besoins portent sur des réalités matérielles qui alors
deviennent des biens à acquérir. Il s'agit donc et avant tout
d'une activité productrice de richesses pour la subsistance de l'homme.
Mais, dès que nous parlons de richesses à acquérir ou
à a accumuler pour mieux vivre, le chrétien catholique se sent
intriqué et demeure pantelant face un Evangile qui proclame «
heureux les pauvres » et qui met les riches en enfer en leur disant
qu'ils ont déjà leurs récompenses ici sur terre. Le
chrétien bo en particulier a de la peine à se situer par rapport
à une éthique chrétienne qui à fait l'éloge
de sa pauvreté sociale, de sa misère (car Il y a donc
misère quand les biens vitalement nécessaires et indispensables
à une vie digne et à maintenir l'état social de vie) et
qui aujourd'hui l'invite à s'auto-prendre en charge.
L'activité économique consiste donc à une
adaptation de la nature à l'homme qui est chargé de la faire
correspondre à ses besoins. Tout effort humain dans le sens d'une vraie
croissance, celui du développement intégral et solidaire de
l'homme, même s'il se situe sur le plan purement temporel et terrestre,
contribue à la croissance de l'homme tout entier.
Toutefois, en raison de la présence du
péché et du mal en l'homme (l'orgueil, l'angoisse et l'oppression
des faibles etc.) qui corrompt la croissance économique et la
détourne de sa finalité, les chrétiens ont un
témoignage à apporter, celui qui ne serait pas orientée
vers le bien de l' homme. Car aujourd'hui, l'argent en tant que moyen n'est pas
un mal, bien au contraire. Mais sa nature, telle se réalise dans notre
monde est soumise à une monstrueuse perversion. C'est pourquoi le
chrétien à plus que besoin de la lumière de
l'évangile pour ne pas tomber dans cet état de perversité
et de divinisation de l'argent et des richesses économiques. Ainsi, il
parviendra à faire la part des choses entre le gain frauduleux des biens
et leur usage égoïste qui conduisent au péché, donc
à l'éloignement et à la richesse économiques en que
tant fruit du labeur humain et de la bénédiction de Dieu.
IV-3-1 LA LÉGITIMITÉ DES BIENS TEMPORELS DU
CHRÉTIEN
Dans les évangiles on retrouve un enseignement plus
explicite sur l'activité économique avec la parabole des talents
(Mt25, 14-30 ; Lc19, 12-27), ces paraboles bancaires dans lesquelles
Jésus met comme critère de vie chrétienne le devoir de
faire fructifier les dons de Dieu et donc de ne pas rester dans une attitude
d'immobiliste stérile. Il s'agit là d'une invitation à la
mise en valeur du ferment évangélique.
Il faut reconnaître que la richesse acquise dans la
légitimité et à la sueur du front (il ne faut pas
comprendre par « sueur de front » le seul travail de la terre
longtemps considéré comme seule oeuvre loyale et digne du
Chrétien) est une mise en valeur du rôle créateur de
l'homme, du chrétien, de son sens de l'entreprenariat grand stimulant
pour le progrès et l'innovation.
Malheureusement, les biens temporels, surtout l'argent, ont
souvent été considérés comme une présence de
l'esprit démoniaque dans la vie d'un homme par de nombreux
fidèles chrétiens. Et pour cela, il fallait s'en
débarrasser pour mieux se disposer au royaume. L'activité
économique apparaît presque comme la séduction de la
richesse avec les soucis du monde et les convoitises, et qui sont donc les
épines qui envahissent et étouffent la Parole de Dieu,
l'empêchant de porter son fruit, la moisson du royaume (Mc4,19 ; Mt13,22
; Lc8,14).
Dans l'Ancien Testament, certains écrits comme le
livre d'Hénoch, l'argent apparaît comme la puissance sur laquelle
s'appuient les impies, tandis que les pauvres et les pieux ne se confient qu'en
Dieu. Et dans le monde à venir, Dieu renverserait la situation. Les
riches, déjà rassasiés de biens, s'en iront au feu de la
géhenne avec toutes les richesses et les pauvres iraient jouir des
richesses de Dieu dont ils ont hérité
Il faut reconnaître que l'antithèse pauvre-riche,
désignait plutôt des attitudes religieuses. Le pauvre est synonyme
de juste, saint, tandis que le riche est l'impie ; qui persécute les
amis de Dieu (Ps22 ; 25 ; 34 ; 69 ; 147 ; 149). Les pauvres sont les humbles
qui cherchent Dieu, ceux qui mettent en lui leur sécurité, ceux
qui ont faim et soif de la justice de Dieu, et qui attendent sa bonté.
Pour ces « justes » même les récoltes de leurs
champs appartiennent à Dieu. Tandis que les riches sont les impies,
qu'ils disposent de biens matériels ou pas, il s'agit de ceux qui se
réfèrent à leur force et à leurs richesses, ceux
qui nient pratiquement Dieu et cherchent à ébranler la foi des
amis de Dieu. La pauvreté et la richesse renvoyaient davantage à
un état d'esprit qu'à une condition de vie misérable ou
aisée.
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